Opinion

Faites-vous entendre au sujet des nouvelles lignes directrices de l’ARC sur les partenariats entre organismes de bienfaisance et donataires non reconnus

Plus tôt cette année, en réaction aux appels de l’ensemble du secteur exhortant le gouvernement fédéral à remplacer la règle de « direction et contrôle », un nouveau cadre de partenariat (les « versements admissibles ») a été mis en place dans le secteur caritatif. En juin, le Parlement a modifié la Loi de l’impôt sur le revenu afin de permettre aux fondations et à d’autres organismes caritatifs de fournir des ressources à des donataires non reconnus, sous réserve du respect de certaines exigences en matière de responsabilisation.

Le 30 novembre dernier, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a publié une ébauche de lignes directrices relatives à ces nouvelles règles. Le public a maintenant jusqu’au 31 janvier 2023 pour lui faire part de ses commentaires.

Les versements à des donataires non reconnus doivent viser à réaliser les fins caritatives de l’organisme de bienfaisance. Par ailleurs, il est essentiel que ce dernier conclue un accord écrit couvrant les activités caritatives menées par le donataire et tienne des registres des versements.

Fondations Philanthropiques Canada (FPC) se félicite grandement de ces changements. À l’instar d’autres chefs de file du secteur, nous revendiquons depuis longtemps des modifications réglementaires pour que les groupes en quête d’équité aient davantage accès aux ressources caritatives. En effet, il y a des moments où il convient qu’un organisme de bienfaisance s’associe à un organisme sans vocation de bienfaisance, comme un organisme à but non lucratif ou des initiatives populaires, pour être en mesure de mener à bien ses objectifs caritatifs.

Le nouveau régime de soutien aux donataires non reconnus constitue l’une des plus grandes avancées dans la législation qui régit le secteur depuis des dizaines d’années.

Avant ces changements, un organisme de bienfaisance qui souhaitait verser des fonds à un donataire non reconnu devait démontrer que les activités menées par le donataire étaient ses propres activités en assurant continuellement « la direction et le contrôle » de l’utilisation de ses ressources. Cette exigence posait problème pour diverses raisons. D’abord, les parties étaient tenues d’établir une relation hiérarchique inéquitable plutôt qu’un partenariat, ce qui contribuait à la discrimination et au racisme systémique. En effet, comme c’est le cas de bon nombre de secteurs, les groupes racisés et marginalisés sont sous-représentés au sein de la direction des organismes de bienfaisance. Par ailleurs, les initiatives populaires sont en grande majorité pilotées par des membres des communautés noires et autochtones ou d’autres groupes en quête d’équité et sont principalement destinées à ceux-ci. Dans le secteur, certains qualifient cette situation de « fiction juridique » puisque, en pratique, les activités des partenaires ne pourraient être des activités caritatives en raison de leur nature même. Les organismes de bienfaisance souhaitent s’associer à des donataires non reconnus principalement parce que ces derniers possèdent des capacités et un savoir-faire que les organismes de bienfaisance n’ont pas et ne peuvent pas avoir.

En réalité, les initiatives populaires sont souvent les mieux outillées pour définir et mettre en place des solutions pour les groupes auxquels elles sont destinées, et il est fréquent que ce soient les intervenants sur le terrain qui fournissent les ressources nécessaires au sein des groupes historiquement exclus. Les lacunes sont souvent comblées par des leaders communautaires qui n’ont pas de numéro d’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance et ne peuvent assumer tous les coûts et restrictions associés à l’enregistrement. Dans le secteur, nous savons bien que les donataires non reconnus sont essentiels à la poursuite de l’équité et de la justice, mais les organismes de bienfaisance étaient gravement limités par les exigences de direction et de contrôle – jusqu’à maintenant.

FPC a passé en revue l’ébauche de lignes directrices de l’ARC et présentera un mémoire.

À la suite de notre évaluation préliminaire, nous n’avons pas de réserves fondamentales à l’égard des lignes directrices. Celles-ci sont rédigées dans l’esprit de permettre l’établissement d’une vaste gamme de partenariats, y compris les subventions groupées.

Comme nous l’avons fait valoir auprès du gouvernement dans notre mémoire prébudgétaire de 2023, la mise en commun de fonds permet à un organisme de bienfaisance d’amasser des fonds auprès d’autres organismes dans un but commun et de gérer la relation avec les bénéficiaires et les autres partenaires ayant la meilleure expertise, des relations sur le terrain et le savoir-faire pour joindre une communauté dans le besoin et exécuter une initiative donnée. Cette pratique est souvent utilisée, surtout dans des contextes pressants qui évoluent rapidement, comme cela a été le cas lors de guerres, de désastres naturels et de la pandémie de COVID-19 au Canada et dans le monde.

Nous sommes contents du texte des lignes directrices au sujet des subventions groupées (section 7.7, à partir du par. 83) et de la reconnaissance sous-jacente que ce type de pratique est normal et légitime. Nous sommes également heureux que l’ARC ait clairement articulé la possibilité d’acceptation de dons par des organismes de bienfaisance pour des programmes soutenant des donataires non reconnus. Toutefois, il revient toujours à l’organisme de bienfaisance, et non au donataire, de décider en définitive de l’affectation des ressources.

Nous avons toutefois décelé un écueil potentiel dans l’ébauche de lignes directrices à l’égard du terme « risque ». Il est mentionné 61 fois dans l’ensemble du document, lequel contient notamment un tableau détaillé pour l’évaluation des risques, mais aucune définition complète (risque de quoi?). Puisque le risque n’est pas toujours clairement défini, il est parfois difficile de comprendre à quoi les lignes directrices font référence. Par exemple, le montant de la subvention figure parmi les facteurs de risque – plus le montant est élevé, plus le risque est élevé. Mais de quel risque est-il question? Le risque que les activités proposées ne soient pas réalisées compte tenu de l’importance de la subvention? Le risque que les retombées sociales prévues ne se concrétisent pas? Le risque de vol ou de fraude? Le risque de conséquences imprévues ou indésirables?

Cela importe, car la mention fréquente de « risques » dans les lignes directrices sous-tend que le risque et les partenariats avec des donataires non reconnus contiennent intrinsèquement des aspects négatifs. Les donateurs d’expérience savent qu’il y a toujours un risque qu’un élément imprévu ou indésirable se produise, ce qui fait partie intégrante de l’octroi de subventions. Mais ils savent également qu’il arrive que les subventions versées pour soutenir de nouvelles idées, des organismes inconnus ou en émergence ou des approches avant-gardistes entraînent les résultats les plus extraordinaires. En effet, dans l’ensemble, les secteurs des organismes philanthropiques, caritatifs et à but non lucratif sont les mieux placés pour prendre des risques en vue d’aborder toutes sortes de problèmes sociaux – c’est d’ailleurs ce à quoi le grand public et les gouvernements s’attendent d’eux. Par conséquent, il est déraisonnable et préjudiciable de sous-entendre que la prise de risques est négative et qu’elle doit être évitée. Pour résoudre cela, les lignes directrices devraient définir plus clairement ce qu’est le risque et affirmer dès le départ que le risque peut avoir des avantages et qu’il revient aux organismes de bienfaisance d’établir leur propre tolérance au risque,  dont ils tiendront compte dans toutes leurs activités, y compris l’octroi de subventions à des donataires non reconnus. De plus, les lignes directrices devraient insister sur le fait que le risque principal que les organismes de bienfaisance ont la responsabilité de gérer est celui de s’assurer que les activités proposées par les donataires non reconnus s’arriment à leurs objectifs de bienfaisance.

Il importe que tous ceux qui sont touchés par les nouvelles règles contribuent à ce que les lignes directrices soient le plus utiles et le plus accessibles possible. Par exemple, nous sommes d’avis qu’elles pourraient être plus concises et plus claires; une partie du texte pourrait être transformée en annexes. Nous encourageons nos membres à nous faire part de leurs réflexions afin que nous puissions en tenir compte dans la préparation du mémoire de FPC. Nous espérons que tous les bailleurs de fonds, organismes de bienfaisance et donataires non reconnus du pays prendront le temps de passer en revue les lignes directrices et de transmettre leurs commentaires. Ces lignes directrices semblent peut-être arides et ennuyeuses, mais elles auront des conséquences majeures sur l’accès aux ressources à l’échelle du pays pour régler les problèmes les plus importants avec lesquels nous devons composer, en particulier pour les personnes les plus vulnérables et sous-représentées.

Le 10 janvier prochain, nous tiendrons un webinaire pour présenter les lignes directrices, répondre aux questions, écouter des réflexions et alimenter la discussion. De plus, en 2023, nous lancerons un sondage destiné aux membres qui souhaitent nous transmettre leurs idées par écrit pour éclairer le mémoire de FPC.

Vous pouvez vous inscrire au webinaire sur notre site Web.


Jean-Marc Mangin est président-directeur général de Fondations philanthropiques Canada, le réseau national pour les donateurs canadiens.

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