Les raisons pour lesquelles nous avons besoin de lignes directrices sur la promotion de la religion

Dans le contexte actuel de montée de l’antisémitisme, de préoccupations liées à l’islamophobie et de questions concernant Noël et Pâques, il est plus important que jamais de promouvoir la compréhension et le respect des diverses croyances religieuses. Dans le secteur caritatif, nous savons que près de 40 % des organismes de bienfaisance enregistrés au Canada ont des objectifs religieux (environ 33 000 sur 85 000).

Ces organismes de bienfaisance servent leurs communautés de multiples façons, notamment en répondant aux besoins pratiques par le biais de banques alimentaires et de services de repas, de logements abordables ou de transition, et de groupes de rétablissement de la toxicomanie et de soutien aux personnes en situation de handicap. Ils répondent aux besoins spirituels par le biais de services religieux et de prières, et en fournissant des réponses aux questions existentielles sur le but et le sens des choses. Ils aident les jeunes par le biais d’une approche communautaire, de formation au leadership, de compétences professionnelles et d’occasions de bénévolat. Ils s’occupent des personnes marginalisées, des personnes âgées et des personnes incarcérées, en plus d’œuvrer à mettre fin à l’injustice, à la traite de personnes et à l’esclavage, ainsi qu’à la maltraitance envers les personnes âgées. Ce désir de servir et d’aimer les autres existe à cause de la foi, et non en dépit de celle-ci. Les contributions et l’incidence positive des organismes de bienfaisance religieux sont importantes et précieuses.

Malheureusement, ces contributions et cette incidence positive sont souvent négligées. Une simple mesure de reconnaissance pourrait témoigner d’un leadership positif et affirmer l’importance, la valeur et les contributions des divers organismes de bienfaisance religieux partout au Canada.

Comment? En publiant les lignes directrices sur la promotion de la religion.

Lignes directrices sur la promotion de la religion

Il est important de ne pas surestimer ou de faire preuve d’exagération. La publication d’un document de politique générale n’est pas une panacée contre les discriminations ou les tensions religieuses. Pourtant, dans un contexte d’incertitude pour les croyants, l’affirmation que la foi peut jouer (et joue) un rôle important dans le secteur sans but lucratif du Canada a néanmoins une grande valeur en soi et a une incidence tangible.

Comme nous le savons, les organismes de bienfaisance sont réglementés par l’Agence du revenu du Canada (ARC), qui veille à ce que ceux-ci respectent les exigences de l’impôt fédéral sur le revenu et de la common law. Pour aider les organismes de bienfaisance à éviter les problèmes, l’ARC publie des lignes directrices sur divers sujets. En novembre 2020, l’ARC a publié deux lignes directrices importantes sur le soulagement de la pauvreté et l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance et sur la promotion de l’éducation et l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance.

Il manquait notamment des lignes directrices sur la promotion de la religion et l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance.

Comme indiqué ci-dessus, les organismes religieux représentent près de 40 % des organismes de bienfaisance enregistrés au Canada. Les lignes directrices sur la promotion de la religion, mises en œuvre au sein de l’ARC, existent sous une forme ou une autre depuis plus d’une décennie. Les demandes d’accès à l’information ont conduit à la publication des projets de 2016, de 2017 et de 2019. Mais il n’y a pas eu de progrès quant aux lignes directrices.

Cette lacune a des répercussions réelles et tangibles.

Muslim Association of Canada c. Procureur général du Canada

Une décision de justice récente, Muslim Association of Canada c. Procureur général du Canada (2023 ONSC 5171), illustre certaines de ces répercussions tangibles. La Muslim Association of Canada (MAC) est un organisme à but non lucratif canadien enregistré qui gère des mosquées, des écoles et des centres communautaires partout au Canada. Dans le cadre de son rôle d’organisme de régulation, l’ARC effectue des audits auprès des organismes de bienfaisance enregistrés. Les audits sont menés par la Division de la conformité et par la Division de la revue et de l’examen (DRE). La DRE est chargée d’empêcher les groupes terroristes d’utiliser à mauvais escient les organismes de bienfaisance enregistrés.

La DRE a choisi la MAC pour l’audit. Abdul Nakua, dans son article intitulé Réflexion sur les vérifications menées par l’Agence du revenu auprès des organisations caritatives musulmanes , détaille l’expérience d’audit de 13 mois de la MAC, qui a comporté 30 visites d’emplacements, 27 entrevues, plus de 63 000 dossiers et plus d’un million de transactions financières. La MAC a contesté le processus d’audit et de prise de décision de la DRE sur la base de la Charte, en faisant valoir qu’il était partial et violait les droits de la MAC à la liberté de religion, d’expression, d’association et d’égalité.

Bien que le juge se soit montré « sensible à de nombreux » arguments de la MAC et qu’il ait par la suite affirmé que l’intérêt public était servi par la contestation de la Charte par la MAC, il a néanmoins rejeté l’affaire pour cause de « prématurité ». Les étapes de la procédure de l’ARC étaient toujours à la disposition de la MAC et devaient suivre leur cours avant que le tribunal n’intervienne.

Comment cette décision met-elle en évidence la nécessité urgente de remédier au manque de lignes directrices sur la promotion de la religion? Il existe plusieurs raisons :

1. Normes pour la comparaison

Le juge a cité « l’absence de points de référence permettant de mesurer la conduite de l’ARC » comme l’une des principales raisons du rejet de la contestation de la Charte par la MAC. Par exemple, la preuve a montré que la DRE a contesté les « activités sociales pour les jeunes » et les « activités sociales ou récréatives non structurées » de la MAC parce qu’elles n’étaient pas suffisamment accessoires à la promotion de la religion. Des éléments tels qu’une maison des jeunes avec « des tables de ping-pong, de football et de jeu de hockey sur coussin d’air, des canapés et un téléviseur » ont été précisément mentionnés.

Il est permis de penser que les lignes directrices publiées auraient pu fournir un point de référence pour la comparaison. Le projet de lignes directrices sur la promotion de la religion comprend la reconnaissance explicite du fait que :

Les organismes de bienfaisance peuvent mener des activités sociales et récréatives qui ne promeuvent pas directement la religion, pourvu qu’elles restent accessoires aux fins ou aux activités qui relèvent de la bienfaisance. Des exemples comprennent le café servi après un service religieux, les jeux, les groupes de jeunesse et les bazars (nous soulignons).

Le projet de lignes directrices explique également que les « activités accessoires » sont des activités qui sont liées et subordonnées aux fins d’un organisme de bienfaisance, qui soutiennent ces fins et qui constituent « un moyen raisonnable de les atteindre ». Pour déterminer si cette norme est respectée, « l’activité doit être considérée par rapport à l’ensemble du programme d’activités de l’organisme de bienfaisance. Si l’activité devient le principal moyen de poursuivre les objectifs de l’organisme de bienfaisance, il se peut qu’elle ne soit plus un objectif mineur de l’organisme de bienfaisance, mais une fin ou un objectif non déclaré en soi. »

La décision demande à plusieurs reprises des normes ou des critères de référence pour que le tribunal évalue l’audit de l’ARC et les demandes de la MAC au titre de la Charte. Un document de lignes directrices aurait pu fournir ces normes et ces critères de référence. Mais au-delà des juges et des tribunaux, des normes sont nécessaires. Les organismes de bienfaisance méritent de comprendre et de connaître les normes auxquelles ils seront soumis. Ils doivent également avoir accès aux normes lorsqu’ils prennent des décisions. Par le fait même, les organismes de régulation doivent utiliser des normes claires dans la prise de décision.

2. Les organismes religieux doivent être traités équitablement

Quelle que soit la religion promue par un organisme de bienfaisance, tous les organismes de bienfaisance religieux doivent être traités équitablement, tant entre eux qu’à l’égard des organismes de bienfaisance non religieux.

Même si la lettre d’équité administrative de la DRE (c.-à-d. un résumé détaillé des conclusions de l’audit) comptait 151 pages à simple interligne, le fait que « des tables de ping-pong, de football et de hockey sur coussin d’air, des canapés et un téléviseur » aient été mis en évidence est toujours préoccupant. Ces faits pourraient également (et facilement) s’appliquer à la plupart des installations de groupes de jeunesse dans les églises. Comme l’a reconnu la décision, « offrir un forum pour la communauté et la cohésion sociale est un élément accessoire de tout organisme religieux » et « pour réussir, [l’organisme religieux] doit être en mesure d’offrir un certain sens de communauté et de satisfaction qui va au-delà de la doctrine religieuse ».

La lettre d’équité administrative indique également que les aspects sociaux des festivals de l’Aïd et d’autres événements communautaires « l’emportaient sur l’aspect religieux de l’activité ».

Sur ce point, la décision affirme que les activités sociales sont souvent une « partie essentielle de l’activité religieuse », mais va plus loin en soulevant de sérieux doutes quant à savoir « si l’ARC révoquerait le statut d’un organisme de bienfaisance chrétien parce qu’il organise des rassemblements de Noël ou des soupers de l’Action de grâce ou si elle révoquerait le statut d’un organisme de bienfaisance juif parce qu’il organise des séders ou des Souccots pour les nouveaux immigrants ».

Cette préoccupation a de nouveau été soulignée dans la décision non publiée du juge du 18 décembre 2023 relative aux dépens (le gouvernement fédéral a demandé 220 000 dollars de dépens, qui ont été refusés. Le gouvernement et la MAC ont dû chacun payer leurs propres dépens) : « La grande majorité des conclusions sur lesquelles la recommandation de révocation était fondée étaient, comme je l’ai indiqué dans mes motifs, des conclusions qui, selon moi, ne seraient jamais utilisées pour révoquer le statut d’organisme de bienfaisance d’un organisme de bienfaisance chrétien ou juif ».

C’est une conclusion très inquiétante. Mais, hormis les recours en justice, comment une synagogue, une église ou une mosquée peut-elle savoir que les mêmes principes sont appliqués de manière juste et équitable à chacune d’entre elles si la norme n’est pas publiée, et encore moins claire?

3. L’incidence tangible

Il est possible que des normes claires n’auraient pas changé le résultat puisque le juge s’est fortement appuyé sur le concept de prématurité. Mais nous n’en sommes pas certains. Il est également possible que des normes claires, et toute violation de celles-ci, auraient modifié la décision du juge.

Le juge a reconnu que la MAC pourrait être contrainte « à des échanges supplémentaires avec l’ARC et à la poursuite d’un appel interne au sein de l’ARC, avec la possibilité que le résultat de ces échanges et de ces appels confirme la recommandation de révoquer le statut d’organisme de bienfaisance [de la MAC] ».

La MAC aurait également pu se voir imposer les frais de justice du gouvernement. Comme il est indiqué plus haut, le gouvernement fédéral a réclamé 220 000 dollars de frais de justice à la MAC. Le juge a rejeté la demande de remboursement des frais du gouvernement, en soulignant que la demande de la MAC « a servi un objectif public valable en poursuivant le litige, même si elle n’a pas eu gain de cause ». Mais ce n’est peut-être pas le cas pour tous les organismes de bienfaisance qui choisissent de contester les décisions de l’ARC. Cela n’élimine pas non plus les coûts juridiques liés au lancement de la contestation.

Les organismes de bienfaisance doivent-ils assumer ces dépenses supplémentaires alors que des lignes directrices pourraient être publiées pour répondre à certaines questions dès le départ?

4. Besoin de transparence

Un projet de lignes directrices pour les organismes de bienfaisance religieux existe sous une forme ou une autre depuis 2013, mais n’a pas été publié. Des projets de 2016, de 2017 et de 2019 ont été obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information, mais les organismes de bienfaisance religieux se demandent si le projet de 2019 a été révisé, comment il a été révisé, dans quelle mesure il reflète (ou non) la nature et la portée des entités religieuses, et s’il renforce ou restreint le travail important effectué par les organismes de bienfaisance religieux partout au Canada.

Où en est-on avec les lignes directrices sur la promotion de la religion?

Nous savons que ces lignes directrices sont en cours d’élaboration depuis près de vingt ans et qu’elles ont été mises en œuvre au sein de la Direction des organismes de bienfaisance.

La Direction des organismes de bienfaisance reconnaît que la publication du guide favoriserait la transparence du processus décisionnel. Elle s’est d’ailleurs efforcée de publier le guide à partir de l’été 2021 jusqu’au début de l’année 2022.

Nous savons également que l’une des dernières actions de sensibilisation des parties prenantes a été menée auprès du Comité consultatif sur le secteur de la bienfaisance (CCSB) en 2020. Le CCSB a convenu que les lignes directrices devaient être mises à la disposition du public et a écrit au ministre du Revenu national pour qu’il « accélère la publication du projet des lignes directrices » et qu’il le fasse avant les élections fédérales, car cela pourrait « retarder davantage » la publication.

La raison pour laquelle les efforts de la Direction des organismes de bienfaisance visant à publier les lignes directrices n’ont pas abouti à la publication d’un document de lignes directrices n’est pas claire. Qui ou quoi continue à faire obstacle à la publication? S’agit-il d’une apathie politique? D’une antipathie politique? De l’influence des provinces? Ou d’autres choses complètement? Les organismes de bienfaisance religieux sont laissés à eux-mêmes.

Qu’en est-il de la mise en œuvre des lignes directrices sur la promotion de la religion?

Comme il est indiqué ci-dessus, nous ne savons pas ce que contient la version actuelle des lignes directrices, mais il est probable qu’elle soit différente du projet de 2019. Les documents relatifs à l’accès à l’information font référence à des « versions antérieures » des lignes directrices, ce qui suggère fortement que la version mise en œuvre au sein de l’ARC est différente des projets de 2016, de 2017 et de 2019.

Les organismes de bienfaisance religieux s’interrogent sur le contenu des lignes directrices et se demandent également si elles seront consultées. Il semble que la dernière action de sensibilisation des parties prenantes ait eu lieu en 2020 avec les membres du CCSB. Cependant, à cette époque, personne parmi ses membres ne représentait spécifiquement un segment quelconque des communautés religieuses du Canada.

Sans savoir si des modifications ont été apportées, et la portée de celles-ci, il est tout à fait possible que les lignes directrices contiennent des mises à jour défavorables. Il est tout aussi possible que les lignes directrices ne contiennent que des changements mineurs et qu’elles restent neutres à l’égard des organismes de bienfaisance qui font progresser la religion, ne favorisant ni n’entravant la promotion d’aucune croyance religieuse.

Cette incertitude signifie qu’il y a un risque inhérent à demander une réponse à la question « Où se trouvent les lignes directrices sur la religion? » et « Que contiennent-elles? ». Permettent-elles aux organismes de bienfaisance religieux d’avoir plus de pouvoir? Les restreignent-elles indûment? Quoi qu’il en soit, le document est mis en œuvre au sein de l’ARC, et les organismes de bienfaisance faisant la promotion de la religion méritent d’avoir accès à son contenu. La nécessité d’une révision ultérieure est une autre question.

Qu’est-ce que l’absence de lignes directrices dit de la valeur de la foi?

Lorsque les organismes de bienfaisance religieux sont ignorés de la sorte et que les lignes directrices restent confidentielles, cela envoie le message, même si ce n’est pas intentionnel, qu’ils ne méritent tout simplement pas d’être reconnus, ne serait-ce que par le biais d’un document de lignes directrices qui mentionne leur mission.

Bien que la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC ait fait des efforts pour publier les lignes directrices et comprenne le besoin de transparence, il n’est pas clair pourquoi ses efforts ne se sont pas concrétisés par la publication d’un document de lignes directrices. Qu’est-ce qui (ou qui) fait obstacle à la publication de ces lignes directrices? Là encore, les organismes de bienfaisance ne peuvent que spéculer.

Les organismes de bienfaisance religieux méritent de savoir ce qu’il advient des lignes directrices, ce qu’elles énoncent, la manière dont elles sont appliquées en interne et si elles reflètent correctement la nature et le champ d’action des organismes de bienfaisance religieux. Dans la décision de la MAC relative aux coûts, le juge a conclu « qu’il n’était pas déraisonnable pour le requérant [MAC] de contester la nature de l’enquête [de l’ARC]. Cette démarche était dans l’intérêt du public et, on l’espère, aidera les agences gouvernementales à affiner leurs procédures afin de garantir que les groupes minoritaires soient traités de manière juste et équitable ».

La publication de ces lignes directrices est une occasion moins coûteuse et plus appropriée de s’assurer que toutes les parties prenantes connaissent les normes et les critères de référence utilisés par l’ARC pour garantir que tous les groupes, en particulier les groupes minoritaires, sont traités de manière juste et équitable.

La publication de ces lignes directrices est également l’occasion pour le gouvernement de reconnaître que les croyants contribuent de manière importante et précieuse à la société canadienne par le biais d’actes de charité. Face aux tensions, cela véhicule un message positif à propos des communautés religieuses au Canada. Au lieu d’un vide d’information, cela apporte de la clarté, améliore la transparence et crée de la cohérence.

Nous espérons que ceux qui ont les réponses répondront, dans l’intérêt de l’ensemble du secteur caritatif et au-delà.

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