Le dilemme des FOD : Les pressions créées par la COVID-19 forceront-elles le gouvernement fédéral à revoir les règles des controversés fonds orientés par les donateurs?

Il y a 12 ans, quand Annabelle White a reçu un important héritage, elle voulait donner cet argent à des causes environnementales. Ayant déjà siégé au CA de la fondation de sa grand-mère, elle craignait la complexité et l’attention qui seraient associées à la direction de sa propre fondation. « Lorsqu’on crée une fondation, dit-elle, on reçoit beaucoup de demandes, et je trouve difficile de dire non. »

Elle a plutôt choisi d’établir un fonds orienté par le donateur (FOD), par l’entremise de MakeWay (anciennement Tides Canada) qui est une fondation nationale soutenant la conservation de la nature et la durabilité environnementale. Les représentants de la fondation lui font des recommandations en fonction de ses intérêts, et Mme White choisit les programmes qu’elle désire financer. Contrairement à beaucoup de FOD, qui sont des dotations dont le montant est investi afin d’octroyer des subventions basées largement sur les rendements obtenus, le fonds Dragonfly Ventures de Mme White débourse 100 % de ses ressources annuelles. « Chaque sou que je dépose dans le fonds est distribué », dit-elle.

Lorsque la pandémie a éclaté, elle a établi un autre FOD de 1 M$ que MakeWay utilise afin de verser des fonds à plusieurs organismes de bienfaisance. Mais Mme White n’a pas suivi la tendance qui consiste à créer un FOD axé sur les placements. « Concernant l’argent, affirme-t-elle, on croit depuis longtemps à la perpétuité, mais pour ma part je n’y crois pas. Les institutions financières sont faites par des hommes et elles ne peuvent pas durer indéfiniment. Au lieu de garder l’argent, accomplissez des choses maintenant. »

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Les FOD sont offerts au Canada depuis près de 60 ans, mais ils demeurent controversés et sont peu compris. Les FOD permettent à un groupe ou à un particulier de donner de l’argent à une fondation caritative tout en se réservant le droit de recommander à quels organismes de bienfaisance enregistrés ou à quels donataires reconnus on offrira l’argent. La fondation gère toutes les questions relatives à l’administration, aux rapports et à la gouvernance, et elle charge pour cela des frais qui représentent généralement un pourcentage de l’actif total. Les donateurs obtiennent un reçu fiscal au moment de créer le FOD, mais il n’est pas nécessaire que l’argent soit dépensé immédiatement. En fait, la plupart des FOD investissent le don initial et les fonds fructifient à l’abri de l’impôt. Certains comparent les FOD à des comptes d’épargne caritatifs personnels, mais il existe une différence majeure : les donateurs n’ont pas le contrôle du FOD, et les fondations qui détiennent des FOD peuvent ne pas tenir compte de l’avis des donateurs.

Le meilleur argument en faveur des FOD est que leur création est moins coûteuse et complexe que la création d’une fondation privée. Ils peuvent être ouverts avec aussi peu que 5000 $ et les donateurs peuvent compter sur l’expertise des gestionnaires de la fondation pour attribuer leur don. Par ailleurs, une personne qui reçoit un gain inattendu à la suite de la vente d’une entreprise ou d’un héritage peut mettre une partie de l’argent à l’abri de l’impôt en la plaçant dans un FOD.

« Si l’on a une facture fiscale substantielle, je ne vois pas pourquoi on donnerait tout cet argent au gouvernement au lieu de le donner à des œuvres de bienfaisance », dit Bob Little, un résident de Windsor qui, avec sa femme Debra, a ouvert un FOD avec une partie des revenus tirés de l’introduction en bourse de son entreprise. Le don à un FOD est irrévocable mais, contrairement aux fondations privées qui doivent débourser annuellement un minimum de 3,5 % de leurs actifs, le donateur n’a pas à octroyer immédiatement des subventions.

La Vancouver Foundation a établi le premier FOD canadien en 1952. Depuis ce temps, les fondations communautaires utilisent cet instrument et, aujourd’hui, elles détiennent plus de la moitié de tous les actifs des FOD canadiens. Au début des années 2000, les institutions financières considéraient les FOD comme un moyen d’aider leurs clients à gérer la planification successorale et les dons de bienfaisance. À partir de ce moment-là, la popularité des FOD n’a cessé de croître. Aujourd’hui, plus de 250 fondations canadiennes possèdent des fonds orientés par les donateurs, dont la valeur est supérieure à 4,5 G$ alors qu’elle s’établissait à 3,2 G$ en 2016, selon Keith Sjögren, directeur général des services consultatifs chez Investor Economics. Bien que près de 90 % des dons au Canada soient encore offerts directement, les FOD sont devenus le type de don de bienfaisance ayant connu la croissance la plus rapide, représentant ces dernières années entre 800 M$ et 1 G$ annuellement. Aux États-Unis, les fondations détenant des FOD éclipsent tous les autres organismes de bienfaisance. Une étude de 2016 de The Chronicle of Philanthropy incluait six détenteurs de FOD parmi les 10 organismes de bienfaisance ayant reçu le plus de dons.

Cette croissance impressionnante a attiré l’attention et alimenté des discussions. Les défenseurs des FOD disent que ces fonds démocratisent la philanthropie, en donnant à des gens ordinaires les outils généralement réservés aux gens suffisamment riches pour établir des fondations à but non lucratif. Tandis que les critiques considèrent les FOD comme des concessions faites aux riches : des abris fiscaux déguisés en philanthropie, et qui réduisent, ou du moins retardent, les dons qui autrement seraient faits directement à des organismes de bienfaisance.

« Le donateur n’est soumis à aucune obligation ni incitation à faire la moindre distribution de dons de bienfaisance à partir de son fonds orienté » : c’est ce qu’affirmait Ray Madoff, directrice du Forum on Philanthropy de la Faculté de droit du Collège de Boston, au comité spécial du Sénat du Canada sur le secteur de la bienfaisance, en 2018. « Ce défaut d’exiger le versement des dons signifie qu’avec les fonds orientés par les donateurs, l’octroi au donateur de l’avantage fiscal n’est plus subordonné à l’avantage reçu par l’organisme de bienfaisance. »

D’autres personnes soulignent le manque de transparence au sujet de l’importance des fonds, de la provenance de l’argent et de sa distribution à des fins caritatives : à quoi et à quel moment sert cet argent? « Ce n’est pas clair dans quelle mesure l’argent est déboursé », mentionne Mark Blumberg, avocat renommé pour le droit concernant les organismes de bienfaisance, du cabinet Blumberg Segal LLP. « Certains FOD s’efforcent de donner de l’argent, tandis que d’autres font des pieds et des mains pour conserver l’argent le plus longtemps possible. » Les FOD doivent faire mieux pour ce qui est de la diligence raisonnable, avertit-il, ou ils pourraient subir des conséquences et susciter de nouvelles mesures réglementaires de la part de l’Agence du revenu du Canada (ARC).

Au moment où un fardeau sans précédent pèse sur les organismes de bienfaisance, le manque de transparence fait craindre que l’argent reste placé dans des FOD au lieu d’aider les personnes affectées par la pandémie. Même les défenseurs des FOD conviennent que c’est le temps d’ouvrir les vannes. Étant donné les énormes besoins, écrivait dans un blogue récent Hilary Pearson, présidente fondatrice de Fondations philanthropiques Canada, « il faut octroyer des subventions bien supérieures au déboursement minimum d’une fondation, et définitivement plus si l’on conseille un FOD ». Mais de nombreuses incompréhensions subsistent, et des acteurs de l’écosystème caritatif pointent du doigt d’autres intervenants (des institutions financières qui protègent leurs propres intérêts, des CA de fondations qui ne font pas attention, des donateurs qui cherchent à éviter de payer de l’impôt) qui seraient la cause de la mauvaise réputation de ces précieux instruments de la philanthropie.

Fondations communautaires vs institutions financières

En 2004, TD Waterhouse a déclenché une petite révolution en lançant le premier FOD commercial au Canada. Dans la sphère des fondations communautaires, qui avait jusque-là le monopole en matière de FOD, certains estimaient que les programmes de FOD des institutions financières constituaient une compétition déloyale pour attirer l’argent des donateurs. Ces géants financiers, dotés de gros budgets de marketing et de fonctions administratives sophistiquées et tirant profit d’économies d’échelle, pouvaient facturer des frais moins élevés que beaucoup de fondations communautaires en ce qui a trait aux FOD.

D’autres soulignent le conflit d’intérêts : les gestionnaires de patrimoine touchent une rémunération pour s’occuper des placements dans les FOD. « Le fait que les conseillers financiers et les promoteurs des FOD tirent des avantages financiers lorsque les actifs demeurent dans le FOD peut les amener à encourager subtilement les donateurs à considérer les FOD comme des comptes pour épargner plutôt que comme des fonds à débourser », a dit Mme Madoff au comité sénatorial.

Des critiques soutiennent que la philanthropie n’est pas ce qui motive les conseillers en placement. Leanne Burton, directrice du développement de partenariats chez MakeWay, mentionne que les fondations communautaires ne sont pas intéressées à constituer d’importants portefeuilles d’actifs, elles veulent distribuer l’argent aux personnes qui en ont besoin. Par contre, dit-elle, « [pour] beaucoup de fondations parrainant des FOD et que servent les institutions financières, le but principal n’est pas de distribuer l’argent dans le secteur caritatif ».

Des professionnels financiers qui travaillent avec des donateurs de FOD ne sont pas du tout d’accord. Carol Bezaire, vice-présidente, Fiscalité, successions et philanthropie stratégique, Placements Mackenzie, dit que les FOD incitent les conseillers financiers à encourager la philanthropie chez leur clientèle. « Auparavant, [les planificateurs financiers] pouvaient penser que si leur clientèle faisait des dons de bienfaisance, ils ne seraient pas rémunérés, dit-elle. Mais les FOD demeurent dans leurs registres comptables. [Les planificateurs financiers] deviennent des agents de la fondation elle-même. » Si un client désigne un fonds commun de placement comme la source du FOD, de l’argent est déboursé chaque année à des œuvres de bienfaisance, mais le don initial a le temps de croître — et c’est sur la gestion de ce fonds sous-jacent que Mackenzie gagne une rémunération. « Nous essayons de faciliter davantage de dons, affirme-t-elle. C’est une autre façon de promouvoir la charité. »

De plus, les conseillers financiers peuvent offrir aux particuliers une perspective plus globale de leurs options pour la planification successorale et la philanthropie, et simplifier les dons à l’aide d’un FOD. Une des clientes de Mme Bezaire a hérité d’un important portefeuille de placements à la mort de son mari, et elle était préoccupée des conséquences fiscales. Il s’est avéré que le couple faisait des dons annuels directs à 23 organismes de bienfaisance, et elle a demandé à la veuve : « Ça ne vous fatigue pas de faire tous ces chèques? » La cliente a fini par établir un FOD et le Programme philanthropique Mackenzie fait maintenant tout le travail pour elle.

Me Blumberg estime que faire valoir l’intérêt personnel est un argument spécieux : « La plupart des fondations communautaires canadiennes détiennent des FOD et, pour certaines, les frais annuels chargés pour ces dotations sont une source importante de fonds d’exploitation. » Les FOD représentent environ le tiers des actifs totaux des fondations communautaires, selon Investor Economics. Par conséquent, ces fondations ont intérêt à conserver l’argent dans leurs dotations, particulièrement s’il s’agit d’importants fonds de donateurs. « D’après mon expérience, les donateurs qui ont fait des dons considérables dans un FOD (des dons qui représentent parfois une grande proportion des actifs totaux du FOD) sont plus susceptibles de rencontrer des obstacles s’ils désirent distribuer l’argent, contrairement à ce qui se passe pour les comptes FOD moins substantiels. » L’avocat a représenté un client qui s’est heurté à la réticence d’une fondation lorsqu’il a voulu distribuer l’argent du FOD après la mort de la personne qui avait établi ce FOD.

Certains donateurs préfèrent l’anonymat relatif que leur fournit une institution financière. Lorsque John Grant (nom fictif) et son épouse ont décidé de créer un FOD pour soutenir deux organismes de bienfaisance éducatifs, ils ont choisi la Fondation Aqueduc de la Banque Scotia qui gérait uniquement des FOD. « Nous pouvions préciser que nous voulions financer uniquement ces deux organismes, puis négocier les frais et, après avoir établi un processus, le répéter chaque année, dit M. Grant. Pour nous, c’était important de ne pas s’impliquer personnellement auprès [des récipiendaires]. » Des représentants d’une fondation communautaire locale les avaient contactés, mentionne-t-il, ajoutant : « mais nous sommes plutôt réservés. Nous ne voulons pas faire l’objet d’articles dans les journaux, et la fondation communautaire affiche tout ». Le couple était mal à l’aise également parce que plusieurs familles qui contribuaient à la fondation étaient très connues. « C’était un cercle trop fermé, dit-il. Nous ne voulons pas mêler nos affaires aux leurs. »

Conserver les placements vs distribuer l’argent aux organismes de bienfaisance

Le fait que les donateurs reçoivent immédiatement un reçu fiscal, même si l’argent n’est pas distribué aux organismes de bienfaisance avant des années, est depuis longtemps un point de désaccord au sujet des FOD. Un riche donateur peut verser 100 M$ dans un FOD, mais il n’est pas obligé de donner 3,5 M$ par année à des œuvres de bienfaisance, comme devrait le faire une fondation traditionnelle, parce que le déboursement minimum de 3,5 % s’applique à la fondation, non aux comptes détenus dans un FOD individuel.

Toutefois, ces derniers mois, certains donateurs ont voulu hausser les taux de déboursement de leur FOD afin d’aider en ce temps de pandémie, et ils ont été étonnés de découvrir qu’ils ne pouvaient pas. Lorsqu’un FOD est conçu pour verser de l’argent à des organismes de bienfaisance récipiendaires, ce n’est pas difficile d’accélérer l’octroi des subventions. Mais si les fonds sont intégrés à l’ensemble des dotations d’une fondation communautaire, la fondation peut décider de maintenir les déboursements selon ce qui avait été établi.

Par exemple, les deux tiers des fonds de la Calgary Foundation sont des FOD. « Calgary est une ville très entrepreneuriale, et les gens aiment savoir à quoi sert leur argent », souligne Janeen Webb, vice-présidente de la sensibilisation des donateurs. Pour ses dotations, la fondation alloue un déboursement annuel de 4 % et elle a décidé de maintenir ce taux durant la pandémie. Est-ce que des donateurs s’y sont objectés? « Bien sûr, admet Mme Webb. Nous avons eu de bonnes conversations avec les donateurs, nous les avons écoutés, mais nous considérons la Calgary Foundation comme une ressource pour la communauté. Ce n’est pas notre première crise. Si nous avions grugé le capital, il n’est pas certain que nous aurions pu soutenir la communauté comme nous l’avons fait. »

La fondation a plutôt utilisé ses fonds sans restrictions, conjugués à l’argent gouvernemental et à des FOD non placés que les donateurs ont renfloué ou pour lesquels ils ont décidé d’accélérer l’octroi des subventions, de sorte que les déboursements totaux ont été plus du double de ceux de l’année précédente, dit Mme Webb. Certaines de ces subventions ont servi à soutenir des causes qui ne sont pas habituellement prévues par les donateurs des FOD, par exemple des organismes desservant des communautés autochtones. « Nous nous efforçons de pallier ce qui passe sous le radar », déclare Tim Fox, vice-président, Relations avec les Autochtones et stratégie en matière d’équité. « Les populations autochtones ne sont pas des bénéficiaires des fonds orientés par les donateurs… Nous avons adapté notre processus d’octroi des subventions, afin qu’il soit plus inclusif et qu’il accommode davantage les populations autochtones. »

De nombreuses fondations imposent des taux de déboursement annuels minimums pour les FOD. En fait, selon la recherche d’Investor Economics, les déboursements annuels moyens pour les FOD parrainés par les fondations sont au moins trois fois plus élevés que ce qu’exige la réglementation, et bien supérieurs à ceux des fondations privées (bien que ces moyennes peuvent masquer la réalité, car certains comptes de FOD offrent d’importantes subventions annuelles, tandis que d’autres n’en offrent aucune). Selon tous les intervenants du secteur interviewés pour cet article, il est rare que les détenteurs de FOD ne fassent pas de déboursements annuels; s’ils ne le font pas, c’est généralement parce qu’ils planifient d’offrir un don plus substantiel, par exemple un équipement pour un hôpital.

Afin d’empêcher les FOD de devenir des réservoirs de fonds caritatifs, la sénatrice Ratna Omidvar, qui a été vice-présidente du Comité sénatorial spécial, a suggéré d’étendre le déboursement minimum de 3,5% à chaque compte de FOD, de retarder la délivrance des reçus fiscaux tant que l’argent n’est pas distribué à des organismes de bienfaisance, et de fixer un délai de cinq ou dix ans pour les versements. Des intervenants du secteur caritatif ont toutefois laissé entendre qu’il serait difficile d’appliquer de telles dispositions en matière de distribution, et que cela pourrait s’avérer contreproductif. Pour sa part, Hilary Pearson s’oppose à un contingentement des déboursements. « Je ne crois pas qu’il faille réguler les comportements caritatifs, dit-elle. Fixer un chiffre pour les déboursements laisse entendre que c’est l’objectif visé, alors qu’en réalité ce n’est qu’un minimum. »

Les défenseurs des FOD craignent aussi que la législation décourage les gens d’établir de tels fonds. La plus grande richesse, les familles moins nombreuses et la plus longue espérance de vie « créent aujourd’hui, pour la philanthropie, les conditions d’une tempête parfaite », affirme Malcolm Burrows, chef des services-conseils en philanthropie chez Gestion de patrimoine Scotia. « Beaucoup de ces dons ne seraient pas effectués si on ne pouvait pas réduire le délai entre le don et la distribution [de l’argent] ». Il soutient également que les FOD sont injustement ciblés, soulignant que les universités, les hôpitaux et d’autres fondations détiennent également des millions de dollars qui ne sont pas utilisés immédiatement.

En même temps, il est essentiel de veiller à ce que l’argent de ces comptes soit distribué, surtout maintenant. M. Burrows ajoute : « Si l’argent demeure inutilisé, cela relève de la décision de la fondation qui détient le FOD. Le CA des fondations doit superviser le déblocage des fonds et instaurer des politiques qui encouragent la distribution de l’argent aux organismes de bienfaisance. Nous n’avons pas besoin de nouvelles lois; nous devons nous assurer que les régulateurs prêtent attention aux lois actuelles afin d’éviter de nuire au secteur caritatif. »

Confidentialité vs secret

La façon dont les FOD sont offerts peut créer de la confusion relativement aux droits des donateurs. Lorsqu’une fondation encourage le donateur Untel à donner son nom à un FOD, cela laisse entendre que ce donateur contrôle la Fondation Untel alors que, en réalité, c’est le CA de la fondation détenant le FOD qui exerce le contrôle. En outre, où tracer la limite entre « l’orientation » et « la direction » du donateur? Aux États-Unis, par exemple, Fidelity Charitable est poursuivi par deux donateurs de FOD après avoir vendu à prix réduit 100 000 000 $ US d’actions peu négociées du FOD, contrairement aux désirs du couple.

Ou encore, que se passe-t-il si le donateur n’est plus à l’aise avec les causes soutenues par la fondation où il a créé un FOD? Un FOD est une relation à long terme, comme un mariage. Vous pourriez vous associer au mauvais groupe, et vous pourriez ne pas être en mesure de transférer l’argent à un autre FOD, à moins d’avoir prévu dès le départ une disposition spéciale.

De plus, à cause du manque d’information disponible au sujet des FOD, il est difficile de vérifier si le CA des fondations fait preuve d’une diligence raisonnable suffisante pour que l’argent ne serve pas à parrainer des tournois de golf, financer des camps d’été où le donateur espère célébrer un mariage, ou soutenir des groupes haineux — des situations qui ont toutes été rapportées. Effectivement, l’anonymat associé aux FOD est un important argument de vente auprès de certains donateurs. Contrairement à ce qui se passe pour les fondations privées, pour les FOD il n’y a pas d’obligation de divulguer les dons ou les administrateurs. Si une fondation détenant 500 FOD donne de l’argent à un organisme de bienfaisance qui travaille en vue de lutter contre l’avortement ou l’immigration, de baisser les impôts des personnes riches, ou de combattre de prétendus préjugés de la gauche dans les médias, le public ne saura pas quel donateur individuel est responsable. Cette confidentialité peut empêcher des gens d’être importunés par des demandes de don, mais cela peut aussi cacher des sources de financement pour des causes controversées.

Tant les défenseurs que les critiques des FOD sont en faveur d’une plus grande transparence de ces fonds. Une récente étude de The Charity Report souligne que le « manque d’information » au sujet des FOD fait en sorte qu’il est impossible de savoir s’ils augmentent l’offre philanthropique ou s’ils détournent de l’argent des organismes de bienfaisance. Plusieurs intervenants du secteur interviewés pour cet article veulent que l’ARC pose plus de questions au sujet des FOD dans le formulaire de déclaration de renseignements des organismes de bienfaisance enregistrés : par exemple, combien de FOD détient une fondation; combien d’argent ou d’autres actifs composent ces fonds; et combien chaque fonds a déboursé.

Une plus grande transparence permettrait aussi de savoir si les taux réels de subventionnement des FOD sont élevés et si l’anonymat des donateurs est rare, plaide Keith Sjögren d’Investor Economics. Janeen Webb, dont la Calgary Foundation est l’un des très rares organismes communautaires qui font connaître publiquement leurs FOD (à l’exception des FOD pour lesquels les donateurs requièrent l’anonymat), souligne que la transparence stimule la générosité et « dissipe les craintes des gens, car ils ont l’assurance que ces fonds sont utilisés dans la communauté ».

Démocratie philanthropique vs abris fiscaux pour les riches

Ce qui préoccupe surtout les critiques, c’est que les FOD permettent aux personnes fortunées d’éviter de payer les impôts sur lesquels comptent tous les Canadiens, y compris les organismes de bienfaisance. « Il y a des gens qui ne réalisent pas que les deux tiers du financement du secteur caritatif proviennent des gouvernements, dit Me Blumberg. Avec la COVID, les besoins de la communauté ont augmenté considérablement, et beaucoup se demandent s’il vaudrait mieux hausser l’impôt à payer pour les programmes sociaux au lieu d’offrir d’importants incitatifs pour les dons des riches. »

Il croit que la crise sert de banc d’essai pour savoir dans quelle mesure les FOD répondent aux besoins sociaux. « Les gens disent que c’est bien d’avoir les FOD en prévision des jours sombres, mais les jours sont plutôt sombres en ce moment, aussi faut-il donner plus d’argent aux organismes de bienfaisance afin qu’ils l’utilisent pour le bien de la communauté, ou qu’ils le conservent sous forme d’actifs dans un compte d’investissement? »

Quant à elle, Annabelle White dit avoir été choquée en découvrant que certaines fondations ont refusé de débourser de l’argent des FOD afin de contribuer aux secours d’urgence. « Si un organisme faisait cela, je serais très contrariée », dit-elle. De telles zones grises dans les règles et les principes éthiques des FOD ne font que la conforter dans son choix de créer un legs vivant. « En ce qui a trait aux dons en argent, il vaut beaucoup mieux distribuer cet argent que de le dépenser pour payer des frais à des gestionnaires financiers. »

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