La collectivité de Saanich, sur l’île de Vancouver, a beaucoup de cœur — littéralement. Depuis l’été 2020, ses résidents ont décoré plus de 900 cœurs en bois et en argile, lesquels ornent maintenant des structures dans les parcs et les espaces communautaires.
Brenda Weatherston est une spécialiste des arts communautaires auprès de la municipalité, et l’une des sources d’inspiration du projet artistique communautaire HeArts Together. Lorsque la pandémie a confiné la collectivité l’an dernier, Brenda Weatherston s’est adressée à ses partenaires du secteur sans but lucratif et de bienfaisance afin de leur demander comment ça allait. Elle a découvert que bon nombre d’entre eux étaient dépassés et peinaient à communiquer avec les membres de la communauté.
« Nous savions que s’ils ne pouvaient pas contacter les gens, nous ne pourrions pas non plus. Mais nous pouvions collaborer pour donner aux gens quelque chose à faire à la maison, dit-elle. Les cœurs, ça fait peut-être un peu cliché, mais nous voulions prendre ce symbole et lui donner une nouvelle forme, un nouveau support et une nouvelle signification, afin d’en faire des objets très beaux et dont on prendrait soin. »
Elle a demandé l’aide de menuisiers bénévoles pour fabriquer les cœurs, qui ont ensuite été envoyés à des associations pour la santé mentale, à des établissements de soins pour bénéficiaires internes, à des refuges pour des femmes et des sans-abri, au Native Friendship Centre de Victoria ainsi qu’à des groupes pour des nouveaux arrivants et des jeunes. En tout, 16 organismes et plus de mille membres de la communauté en ont bénéficié. Et tout cela, avec à peine plus que des dons en nature et une subvention de 3500 $ d’un fonds d’intervention provenant de Fondations communautaires du Canada.
L’idée de Brenda Weatherston — que le simple fait de décorer un cœur pouvait avoir des bienfaits exponentiels — est une idée puissante. Le projet HeArts Together a pris une signification profonde pour différentes personnes : une mère et sa fille qui ont survécu à la maltraitance ont collaboré pour orner un cœur, ce qui les a aidées à affronter ensemble ce traumatisme; des membres de la communauté métisse ont décoré des cœurs pour célébrer leur culture; de nouveaux arrivants ont utilisé leurs cœurs afin de remercier leurs nouveaux voisins canadiens de leur soutien et de leur bienveillance; un jeune artiste souffrant du syndrome de Down, qui avait récemment emménagé dans la communauté, a pu partager son art et tisser des liens.
« L’exposition de cœurs dans les espaces publics fait en sorte que les gens se sentent chez eux et ont le sentiment d’être importants pour les autres, dit Brenda Weatherston. Vous ne pouvez peut-être pas aller au parc pour voir votre cœur exposé avec tous les autres, mais vous savez qu’il est là. Cela témoigne qu’on vous a demandé quelque chose; vous avez le sentiment que votre opinion compte et que la communauté est attentive à vous. »
Pendant la pandémie, beaucoup de personnes qui cherchaient un réconfort, un contrôle, une continuité et une connexion se sont tournées vers l’artisanat et les arts. Les arcs-en-ciel de solidarité sont apparus aux fenêtres, transmettant des vœux mutuels pour l’avenir. Des équipes qui fabriquaient des masques se sont tissé une raison d’être à travers le pays, en travaillant à leur machine à coudre. À Kahnawake, une communauté mohawk située près de Montréal, un projet communautaire de fabrication d’œuvres d’art avec des perles a gardé les mains et les têtes occupées durant le deuxième confinement, en reliant les gens entre eux et à travers la culture. Et cela ne se passe pas seulement chez les gens. Les projets d’art communautaire égaient des portes de garage dans des ruelles, des poteaux de téléphone, des vitrines vides et d’innombrables autres espaces publics.
L’artisanat et les arts ont transcendé l’expression créative pour devenir un moyen de participation à quelque chose de positif en maintenant la concentration, en produisant une œuvre significative et en se reliant au monde extérieur — et à quelque chose de plus grand que nos existences isolées. Et quoique l’ampleur de ces bienfaits en ait surpris plusieurs, ces bienfaits sont bien connus des gens et des organismes qui travaillent à des projets d’arts communautaires et de thérapie par l’art.
Rachel Chainey, de Montréal, est art thérapeute et coordonnatrice de Les Ruches d’art, la « maison mère » d’un réseau ouvert regroupant plus de 200 espaces d’art communautaires à travers le monde, qui utilise l’art pour des pratiques de développement communautaire s’appuyant sur les forces individuelles.
HQ Ruches d’art est situé sur le campus de l’Université Concordia, au centre-ville de Montréal. En temps normal, cet espace bourdonne de vie, des gens de tout âge et de toute origine s’y présentant pour des activités de création autonomes et dirigées — c’est un endroit où l’on peut se sentir chez soi et trouver un soutien, tout en explorant sa créativité. Le transfert des programmes en ligne a limité l’accessibilité et changé la façon de tisser des liens au moyen de l’artisanat, chez HQ et dans d’autres Ruches d’art, mais cela a aussi permis à d’autres personnes de se joindre au groupe et a inspiré de nouveaux projets, comme la nouvelle Ruche d’art virtuelle de l’éducatrice et art thérapeute Megan Kanerahtenha:wi Whyte, à Kahnawà:ke, qu’elle a lancée pour aider les gens à entrer en contact durant le confinement.
Nous croyons que l’artisanat n’est pas seulement une quête créative, mais une bouée de sauvetage.
Rachel Chainey, HQ Ruches d’art
« Nous croyons que l’artisanat n’est pas seulement une quête créative, mais une bouée de sauvetage, dit Rachel Chainey. C’est une expérience sociale puissante et génératrice. Nous éprouvons tous et toutes des difficultés et des peines, petites ou grandes. L’art peut englober tout cela. Et lorsque vous créez de l’art avec d’autres personnes, l’impact se multiplie : vous vous élevez grâce à ce que vous créez et grâce aux créations des autres, et vous ressentez un sentiment d’appartenance. »
Les bienfaits de l’art pour la santé cognitive et mentale ont fait l’objet de vastes études et ils ont été appliqués dans divers contextes. Les études ont conclu que la pratique de l’art augmente la santé générale et mentale en aidant à mieux gérer le stress. L’art et l’artisanat donnent aux gens un moyen de gérer leurs émotions et expériences pénibles. La création et l’implication artistiques peuvent aussi renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté.
Ce sont là de grands bienfaits. Et qui sont souvent atteints par de petits investissements. À Toronto, Art Starts offre à des jeunes de plusieurs communautés de la ville, dans des espaces communautaires, des activités artistiques et d’autres activités visant à leur inculquer des compétences pratiques. Fondé il y a 30 ans, cet organisme a transféré ses programmes en ligne durant la pandémie; il offre des séances artistiques pour les jeunes après l’école, des programmes de leadership pour les ados, et des cours pour permettre aux mamans et à leurs bébés de communiquer au moyen de l’art. L’organisme a aussi lancé des programmes qui répondent aux nouveaux besoins suscités par la pandémie, entre autres un programme intergénérationnel de narration numérique pour les aînés et les jeunes.
« Un des effets de la pandémie, c’est que nos esprits sont plus ouverts. Nous savons que les aînés sont isolés, tout comme les enfants. Nous nous sommes donc demandé : “Comment pouvons-nous réunir les communautés mal desservies?” », dit le directeur général, Bruce Pitkin. « Nous avions déjà pensé à des programmes intergénérationnels, mais ce n’est que maintenant que nous en avons mis en place. »
Il ajoute : « C’est bien qu’on reconnaisse le pouvoir de l’art et de l’artisanat pour guérir et donner espoir. Nous le savions depuis longtemps, aussi c’est bien de voir toute l’attention qu’on accorde à cela, en ce moment. Mais nous espérons que [cette attention accrue] se traduira par un financement accru. Nous avons besoin de plus de fonds. »
Le Saskatoon Community Youth Arts Programming (SCYAP) recourt aussi à l’art pour abattre les barrières auxquelles sont confrontés les jeunes et pour leur paver la voie du succès. L’organisme atteint une importante population de jeunes autochtones et de jeunes filles. « Cela nous brise le cœur de voir notre espace communautaire vide, sans la présence des jeunes », dit Clay Shaw, gestionnaire des opérations. Il s’inquiète au sujet des jeunes qui venaient régulièrement, mais qu’il n’a pas vus depuis des mois.
Le SCYAP fournit des trousses artistiques aux membres de la communauté et offre en ligne des cours d’art, de mentorat et de leadership. Son programme de longue date, Urban Canvas, a réuni des jeunes et la communauté l’automne dernier, dans un rare moment de rencontre en personne, afin de créer une grande murale sur un mur extérieur de l’édifice de l’Armée du Salut — la dernière murale d’un projet au cours duquel plus de 60 murales ont été créées dans la ville.
Clay Shaw souligne que les projets d’art public d’Urban Canvas, en plus de montrer la créativité et d’embellir le paysage urbain, enseignent des compétences, créent une capacité d’agir et tissent des liens. « Les participants peuvent regarder la murale, ou revenir des années plus tard et dire : “J’ai fait cela”, poursuit-il. Ce n’est pas seulement une histoire racontée sur un mur, mais aussi l’histoire de leur participation au projet. C’est extraordinaire de voir s’accroître la confiance des gens tout au long du projet. Et c’est extraordinaire lorsque les gens reviennent pour faire une autre murale. »
Au Textile Museum of Canada, l’artisanat crée un autre sentiment d’accomplissement en tirant le maximum de ce que l’on a sous la main. Tout au long de l’année dernière, le musée a offert en ligne des formations durables, axées sur la réutilisation et le surcyclage au moyen de confections, de teintures naturelles, d’emballages-cadeaux écologiques, et de paniers fabriqués avec des t-shirts.
« Durant la pandémie, la fabrication a permis d’exercer notre créativité concernant les matériaux que nous utilisons », dit la coordonnatrice du programme, Leah Sanchez. « Nous avons ainsi prêté plus attention à ce qui nous entoure, que nous pouvons utiliser, et cela nous a inspirés à transformer des matériaux connus en leur redonnant une nouvelle vie. »
À Saanich, Brenda Weatherston planifie poursuivre le projet HeArts Together, aussi longtemps qu’il y aura un intérêt de la part des partenaires sans but lucratif et de la communauté.
Tout comme Bruce Pitkin, elle se demande aussi si l’attention et la compréhension plus soutenues concernant l’importance et les bienfaits de l’artisanat et de l’art entraîneront une augmentation du financement : « Ceux et celles qui, comme nous, travaillent dans le domaine artistique savent que ce secteur est souvent le premier touché en cas de récession ou de crise. J’espère que les arts pourront continuer à être soutenus dans le cadre de la relance et de la guérison. »
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Christina Palassio est une spécialiste en communication pour le secteur sans but lucratif, et une pigiste. Sur les réseaux sociaux, elle utilise @mcpalassio.