Les organismes à but non lucratif s’attaquent aux grands problèmes : la pauvreté, les inégalités en matière de santé, d’éducation et d’accès au travail, la discrimination sexuelle et raciale, les crises des réfugiés, l’insécurité alimentaire, le développement communautaire, etc. Cependant, un défi transversal exige une contribution à un autre niveau : la crise climatique. Dans cette série, la journaliste Diane Bérard se penche sur les raisons pour lesquelles les organismes à but non lucratif et les groupes de la société civile devraient faire de la transition socioécologique un élément central de leur stratégie, les moyens d’y parvenir et l’aide que peuvent offrir les bailleurs de fonds. Elle s’est entretenue avec sept organismes aux missions très différentes, qui contribuent toutes à la transition à leur manière.
La démocratisation du vélo est un élément clé de la transition des zones urbaines. Dans le sixième profil de la série Mission Transition, nous nous penchons sur Vélorution. Ses dirigeants et ses bénévoles croient que les vélos peuvent transformer des vies. C’est pourquoi ils veulent mener une révolution cycliste en fournissant des vélos aux participants et en leur apprenant à les utiliser et à les réparer.
Vélorution (Montréal et quelques projets ailleurs au Québec)
Rémi Laurent, directeur général
Mission : valoriser le vélo comme mode de déplacement actif et outil d’autonomisation.
En quoi consiste Vélorution?
Rémi Laurent : Vélorution est un projet de Cyclo Nord-Sud, un organisme à but non lucratif fondé en 1998 fondé sur deux missions. Tout d’abord, nous récupérons et réparons des vélos dans l’hémisphère nord afin de les envoyer dans les pays de l’hémisphère sud. Notre devise est « Revaloriser les vélos. Transformer des vies. » Au cours des 24 dernières années, nous avons envoyé plus de 62 000 vélos dans 22 pays d’Afrique et d’Amérique latine. Ensuite, nous menons une révolution du vélo, que nous appelons la « Vélorution », tout comme notre projet local d’autonomisation grâce aux vélos. La fondatrice, Claire Morissette, était une pionnière du mouvement cycliste. Elle croyait que les vélos pouvaient transformer des vies. Vélorution l’a prouvé en apprenant aux citoyens à utiliser et à réparer eux-mêmes leur vélo.
Quelle est votre définition de la transition socio-écologique?
RL : C’est un regard neuf qui permet d’adopter de nouveaux comportements. Les citoyens prennent conscience qu’ils sont libres de façonner l’avenir.
Comment Vélorution contribue-t-elle à cette transition?
RL : Je vais vous donner une réponse pratique et une réponse philosophique. Le vélo est un mode de transport écologique. Comme nos vélos sont usagés, nous contribuons à la réduction du volume des déchets. Le vélo vous permet également d’explorer plus loin que votre quartier et d’élargir vos horizons, de vous ouvrir au monde. L’enseignement de la mécanique s’inscrit dans le courant « fais-le toi-même » vers lequel nous devons tendre : consommer moins, extraire moins de ressources et générer moins de déchets. Il y a un également effet d’entraînement : quand on est capable de réparer, on peut aider les autres. En fin de compte, Vélorution contribue à la transition en démocratisant le vélo. En cessant de le considérer comme un passe-temps « hipster » ou comme un sport, nous pourrions contribuer à la multiplication des initiatives de transition. Enfin, et surtout, le sentiment d’appartenance est déterminant dans la volonté de contribuer aux changements sociétaux. Le cyclisme nous rapproche des autres et de notre environnement, physiquement et philosophiquement.
Le projet Vélorution a failli ne pas voir le jour. En janvier 2020, Cyclo Nord-Sud a envisagé de fermer. Que s’est-il passé?
RL : Pendant des décennies, le financement de Cyclo Nord-Sud provenait essentiellement d’une seule source : les programmes d’aide internationale. Au fil des ans, cette source s’est tarie. En janvier 2020, notre niveau d’endettement nous laissait deux choix : mettre fin à nos activités de façon ordonnée ou investir. Le conseil d’administration a choisi cette dernière option, car il estimait que notre mission répondait à deux défis sociétaux importants : les inégalités de revenus et la crise liée aux changements climatiques. Avant de prendre un nouveau départ, une importante réduction des coûts a été votée. Nous sommes passés de six à deux employés, dont moi. De membre du conseil d’administration, je suis devenu directeur général. L’autre employé était coordonnateur des bénévoles. Les bénévoles sont la pierre angulaire de Cyclo Nord-Sud et de son programme Vélorution; nous en avons des centaines partout au Québec. Un coordonnateur des bénévoles représentait donc un investissement stratégique. Son mandat consiste à donner les moyens d’agir aux bénévoles afin que leurs actions se traduisent par des résultats optimaux.
Quand la première activité de Vélorution a-t-elle été lancée?
RL : Au cours de l’été 2018, notre atelier de réparation mobile a visité différents parcs de l’arrondissement Saint-Michel [à Montréal]. Les parcs sont les lieux parfaits pour nos activités. Des enfants, comme Andès et son petit frère, Yassien, nous ont apporté leurs vélos brisés et sont repartis avec le sourire! Le vélo de Caroline était en bon état, mais elle est le genre de personne qui veut savoir comment les choses fonctionnent. Grâce à nos cours de mécanique, son vélo n’a plus de secrets pour elle. Assia avait envie d’explorer son quartier, mais elle n’avait pas de vélo et personne ne pouvait lui apprendre à en faire. Les choses ont changé après quatre séances avec nos bénévoles. Sa nouvelle compétence a été une source de fierté et d’indépendance. En outre, elle est devenue un modèle pour ses amies.
Que s’est-il passé après ce premier été?
RL : Nous savions que nous étions sur la bonne voie, alors nous nous sommes fixé l’objectif de créer un atelier de réparation permanent à Saint-Michel. Le 18 novembre 2018, nous avons ouvert les portes du premier atelier vélo communautaire du quartier : l’Atelier Vélorutionnaire Saint-Michel (AVSM). Sa mission est de favoriser l’autonomisation des citoyens de Saint-Michel et de développer la culture cycliste. En 2019, nous avons obtenu un financement municipal pour ouvrir un atelier de réparation mobile semblable dans Côte-des-Neiges, un arrondissement qui présente des similitudes avec Saint-Michel sur le plan socioéconomique. Malheureusement, ces deux arrondissements ont une faible culture cycliste et leurs citoyens consacrent une trop grande partie de leur budget à leur voiture.
Vélorution repose sur trois piliers. Quels sont-ils?
RL : Nous donnons accès gratuitement à des vélos. Nous les réparons gratuitement et apprenons aux citoyens à le faire eux-mêmes. Nous apprenons également aux femmes à faire du vélo. De plus, nos bénévoles font preuve d’une grande créativité pour trouver des vélos à donner. Par exemple, tous les vendredis, un collaborateur se rend à l’écocentre [là où les gens se débarrassent des déchets électroniques et de construction ainsi que d’autres biens non désirés, comme les vélos] de Saint-Agathe, une petite ville des Laurentides. Une fois qu’il a réparé les vélos récupérés, ceux-ci sont distribués à la population locale. Un garagiste retraité fait de même. Lui aussi détourne les vélos de l’écocentre et leur donne une seconde vie. J’aime cette histoire parce qu’elle déconstruit le stéréotype de « l’auto contre le vélo ».
Parlez-nous de votre programme pour les femmes.
RL : Nous sommes l’un des partenaires de Vélo Québec pour le programme Toutes à vélo favorisant l’équité des genres. Nous apprenons le vélo aux femmes pour les amener à l’utiliser comme mode de transport ou comme activité de loisir. Elles peuvent ainsi faire du vélo avec leurs enfants et se sentir plus en sécurité lorsqu’elles en font seules.
Vous intervenez bénévolement. Au fil des ans, Cyclo Nord-Sud a tiré parti de nombreuses collaborations.
RL : Oui, et cette aide professionnelle a fait une réelle différence. Nous avons reçu de l’encadrement pour le réaménagement de notre atelier, la gestion de nos stocks et la définition de notre raison d’être. Nous avons découvert la réflexion conceptuelle, et la méthode Lean 5S qui permet d’obtenir un lieu de travail propre, dégagé, sécuritaire et bien organisé afin de réduire le gaspillage et d’optimiser le rendement. Cet été, les étudiants de [l’école de commerce] HEC Montréal nous aideront à formuler notre théorie du changement. Je reste à l’affût de toute l’aide que je peux obtenir!
Quelle est la prochaine étape?
RL : En 2022, nous aimerions lancer la Vélorution dans d’autres quartiers. Notre méthode est simple : nous évaluons les besoins des citoyens, élaborons un projet pilote et formons des bénévoles pour qu’ils prennent l’initiative en main. Nous ne voulons pas jouer le rôle d’exploitant, car nous croyons à la personnalisation. La Vélorution doit être adaptée aux besoins particuliers des arrondissements.
Vélorution fait partie de la quatrième cohorte de l’Incubateur civique de la Maison de l’innovation sociale. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit?
RL : L’Incubateur civique est un programme qui vise à prototyper et à faire mûrir des idées de projets à impact social et environnemental, imaginés par des individus ou des collectifs engagés. Dans le cadre de la quatrième cohorte, Vélorution bénéficie d’environ sept heures d’encadrement par semaine, de janvier à juin 2022. Cela devrait aider à préparer notre programme pour lui faire prendre de l’expansion.
Comment la mission de Vélorution peut-elle s’intégrer dans les programmes des fondations?
RL : Je vois plusieurs éléments pertinents. Les fondations qui œuvrent pour l’autonomisation des filles et des femmes pourraient naturellement s’allier avec nous, tout comme les fondations axées sur les familles ou sur les enjeux liés à la santé. D’ailleurs, je sais que de nombreuses fondations ciblent la résilience des communautés, et nos ateliers de réparation mobiles deviennent des lieux de rassemblement informels.
Quel est votre besoin précis en ce moment?
RL : J’aimerais travailler avec une université pour mesurer les effets de Vélorution. Nous devons définir des indicateurs de performance pertinents.