Le secteur caritatif au Canada : Perspectives 2022

La collaboratrice Sharon Riley a demandé aux dirigeants du secteur ce qu’il convient de savoir pour se préparer aux changements et aux incertitudes de 2022. Voici douze tendances qui, selon eux, seront d’actualité durant la prochaine année.

La collaboratrice Sharon Riley a demandé aux dirigeants du secteur ce qu’il convient de savoir pour se préparer aux changements et aux incertitudes de 2022. Voici douze tendances qui, selon eux, seront d’actualité durant la prochaine année.


En mars 2020, Casey Prescott, directeur général du Centre des arts du Yukon à Whitehorse, célébrait la production théâtrale de Frankenstein. La salle était comble, se souvient-il, et le public était enthousiaste et chaleureux. Puis la COVID-19 a bouleversé le monde. Il s’agissait de la dernière production du centre avant une longue fermeture, qui n’allait pas être la dernière.

Chaque fermeture, souligne Prescott, est une sorte de répétition générale pour l’avenir. Le Centre des arts du Yukon est désormais passé maître dans l’art d’alterner entre les fermetures, le passage au virtuel et les réouvertures. Comme tant d’autres dans le secteur, il a appris à réagir avec souplesse.

« Je ne peux pas penser en années en ce moment. Je ne peux penser qu’en trimestres », indique Prescott. Jusqu’à la fin de 2021, son organisme a connu trois fermetures en raison de la flambée de COVID-19 au Yukon, puis une quatrième en janvier 2022. Le territoire compte peu de lits d’hôpitaux, et les organismes du domaine des arts sont souvent les premiers à fermer en réponse aux besoins de santé publique.

En 2022, Prescott s’attend à d’autres perturbations et à des changements de cap brusques. L’année à venir pourrait bien être une autre année mouvementée, alors que le monde s’adapte à l’émergence du variant Omicron et que l’incertitude liée à la pandémie est à nouveau au premier plan des préoccupations de nombreux organismes. Encore une fois, l’instabilité liée au financement, au personnel et même à la capacité de fonctionner est une source d’inquiétude.

Alors que le secteur est confronté à des changements opérationnels, la pression est de plus en plus forte pour que des mesures concrètes soient prises à l’égard d’énormes enjeux de société qui ne sont pas près de disparaître. Ces questions vont de la crise climatique, à la réconciliation et à la justice raciale, en passant par l’investissement et les règles concernant les donataires non reconnus.

« Le monde change autour de nous, et les exigences en matière de philanthropie évoluent », explique Gabriel Kasper, directeur général du Monitor Institute de Deloitte, l’aile de stratégie d’impact social du géant de la comptabilité. « Les contextes changeants du secteur ont une grande incidence sur la façon dont la philanthropie devrait être mise en œuvre, et pas seulement sur le choix des enjeux à traiter. »

Tandis que les organismes de bienfaisance, les organismes sans but lucratif et les groupes philanthropiques relèvent ces défis, The Philanthropist Journal se penche sur les enjeux et les changements sociétaux qui seront au cœur des préoccupations en 2022.

Améliorer la santé financière du secteur

Selon les données d’août 2021 d’Imagine Canada, plus de quatre organismes de bienfaisance sur dix signalaient toujours des baisses de revenus, principalement attribuables à la pandémie et à ses effets, et dont la diminution moyenne était de 44 %. Grâce à l’aide disponible, de nombreux groupes ont pu se maintenir à flot malgré la chute des revenus. La Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC), par exemple, a acheminé plus de 4 milliards de dollars à des organismes de bienfaisance depuis le début de la pandémie, selon Imagine Canada.

Bruce MacDonald, président et chef de la direction d’Imagine Canada, prévient que l’aide gouvernementale finira par prendre fin. « Si l’on ajoute à cela le fait que, pour la plupart, les organismes n’ont pas encore été en mesure de reprendre des activités de financement en personne – qu’il s’agisse de faire du porte-à-porte ou de tenir des événements spéciaux importants – nous craignons qu’une autre période plus stressante et plus perturbatrice s’annonce pour les organismes de bienfaisance. » Bien que le terme de l’aide gouvernementale en réponse à la pandémie soit encore indéterminé, il arrivera un jour ou l’autre, malgré l’apparition de nouveaux variants et de nouvelles mesures de confinement.

« La reprise est très attendue au sein du gouvernement et du secteur privé, affirme M. MacDonald. Mais avec la fin de ces mesures de soutien et le fait de ne pas être en mesure de relancer certaines de ces grandes initiatives de collecte de fonds, le système caritatif pourrait subir des pressions plus importantes. »

Aborder les questions d’équité et de représentation dans les conseils d’administration et au-delà

La pandémie a mis au jour les inégalités sociales. Le gouvernement du Canada a conclu, dans une analyse des décès liés à la COVID-19, que « le genre et le sexisme, le racisme systémique, les inégalités économiques et d’autres déterminants sociaux de la santé » ont une incidence sur le risque de contamination par le virus. Le taux de mortalité est plus élevé dans les communautés à faible revenu et parmi les minorités visibles, les immigrants récents et les personnes qui ne parlent ni le français ni l’anglais. Le variant Omicron pourrait être moins discriminatoire, bien que de nombreuses administrations n’aient pas encore pleinement évalué ses répercussions.

Selon Jean-Marc Mangin, de Fondations philanthropiques Canada, ces données ont été grandement révélatrices, et les inégalités sociales continueront de se faire sentir en 2022. Ces révélations ont de grandes conséquences sur les secteurs caritatif et philanthropique. « Nous ne sommes pas aussi représentatifs des réalités au Canada, et nous ne sommes pas aussi inclusifs que nous souhaiterions l’être », explique M. Mangin.

« Par le passé, la philanthropie a souvent fonctionné d’une manière qui est en quelque sorte à l’abri des fluctuations externes et des changements de paradigme dans le monde », indique M. Kasper de Deloitte, en soulignant que les fonds de dotation permanents et la croissance fiable des actifs ont créé une stabilité durable. Avec la pandémie et les demandes croissantes de justice raciale dans la société, le secteur est contraint de faire face aux grands enjeux sociaux. « La philanthropie opère peut-être en vase clos, mais elle n’est pas immunisée contre les changements. Nous avons vu beaucoup de bailleurs de fonds être soudainement poussés à changer leur approche. »

Cela mène à une augmentation du travail sur la diversité et l’inclusion, tant sur le plan du travail de première ligne que de la gouvernance interne. Toutefois, certains se demandent si le secteur est allé aussi loin qu’il aurait pu.

« Beaucoup de gens vivent une crise d’identité causée par le besoin de devenir plus attentif aux communautés racisées dans leur secteur ou leur travail. Et ils se rendent compte que ce qu’ils font relève de la performance ou est tout simplement inefficace », explique Jessica Bolduc, membre franco-anishinaabe de la Première Nation de Batchewana et directrice générale du Mouvement jeunesse des 4R.

Les conseils d’administration des secteurs caritatif et philanthropique ont souvent été critiqués pour cette tendance à pourvoir les postes de première ligne avec des travailleurs racisés alors que les décideurs – majoritairement blancs – occupent les postes au sommet de la hiérarchie organisationnelle.

« Les organismes philanthropiques sont toujours, dans l’ensemble, dirigés par des Canadiens blancs », affirme Andrew Chunilall, chef de la direction des Fondations communautaires du Canada, en se référant à un sondage publié par Statistique Canada en février 2021. Le sondage a révélé que, parmi les répondants, seulement 14 % des membres de conseils d’administration dans le secteur étaient des immigrants au Canada, 11 % étaient membres d’une minorité visible et 3 % s’identifiaient comme membres des Premières Nations, Métis ou Inuit.

M. Mangin souligne que les organismes bien établis dans le secteur doivent examiner sérieusement leur fonctionnement interne pour réellement devenir plus inclusifs sur le plan de la gouvernance, de la programmation et du personnel.

M. MacDonald, d’Imagine Canada, est d’accord. « Le changement radical autour des questions de lutte contre le racisme et l’oppression continuera à transformer l’ADN des organismes de bienfaisance et sans but lucratif », prédit-il.

La sénatrice Ratna Omidvar aimerait que les rapports sur la diversité des conseils d’administration soient plus uniformes à compter de 2022, et elle demandera à l’Agence du revenu du Canada d’ajouter une ligne demandant une divulgation annuelle sur la diversité des conseils d’administration. Cela, dit-elle, correspond à ce que les conseils d’administration du secteur privé sont tenus de faire chaque année.

Prendre des mesures concrètes pour la réconciliation

Mme Bolduc, du Mouvement jeunesse des 4R, cherchera à poser des gestes concrets pour favoriser la réconciliation. En 2022, dit-elle, elle sera à l’affût d’une transformation du secteur caritatif visant à rééquilibrer les flux financiers afin que davantage d’initiatives et d’organismes dirigés par des Autochtones et des Noirs puissent avoir accès au financement.

La réconciliation est de plus en plus au centre des préoccupations du secteur, en particulier alors que des organismes de partout au pays s’efforcent d’intégrer les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, publiés en 2015.

Cependant, 2021 a été une année sans précédent. La découverte de tombes non marquées d’enfants sur les terrains de pensionnats à travers le pays a ébranlé les Canadiens. Nombreux sont ceux qui se demandent comment faire plus.

Il n’est pas simple de savoir quoi faire, et même les bonnes intentions peuvent entraîner des conséquences négatives. Mme Bolduc souligne que des organismes sans but lucratif non autochtones peuvent involontairement faire obstacle à des organismes dirigés par des Autochtones, notamment par une plus grande expérience en matière de rédaction de demandes de subventions et de relations avec les bailleurs de fonds, expérience qui peut faire défaut aux organismes autochtones.

Il s’agit là, selon elle, d’une forme de privilège. La solution n’est pas évidente, dit-elle, et consiste à faire appel à un plus grand nombre d’organismes partenaires autochtones, ou simplement à créer un espace ou à investir dans le renforcement des capacités pour les initiatives autochtones.

M. Chunilall, de Fondations communautaires Canada, cite en exemple le Fonds de résilience des peuples autochtones, lancé en 2020. L’organisme, dit-il, est une première en ce sens qu’il s’agit d’une initiative dirigée par des Autochtones qui vise d’abord à accorder du financement aux communautés inuites, métisses et des Premières Nations à travers le Canada, en particulier dans les zones rurales et éloignées, en mettant l’accent sur la santé culturelle et mentale, la sécurité alimentaire et l’accessibilité numérique.

« Il comble un vide qui existe depuis trop longtemps dans le domaine de la philanthropie », explique M. Chunilall.

Lutter contre la crise climatique dans l’ensemble du secteur, et pas seulement grâce au travail des organismes environnementaux sans but lucratif

La prochaine étape, selon Cathy Taylor, de l’Ontario Nonprofit Network, consiste à réfléchir au rôle des organismes sans but lucratif dans la préparation aux situations d’urgence, comme la pandémie, les feux de forêt et les autres crises liées au climat. Notre secteur a vraiment comblé d’importantes lacunes, dit-elle. Comment y arrivons-nous de manière proactive? Comment sommes-nous financés pour le faire? Jouons-nous le bon rôle? Lorsque nous pensons aux urgences futures, je crois qu’il s’agit d’une priorité pour notre secteur également. »

Devika Shah, directrice générale d’Environmental Funders Canada, espère que l’année 2022 verra davantage de mesures concrètes que les années précédentes : « L’année 2021 a été une année de grande sensibilisation, dit-elle. J’espère que 2022 sera une année où cette prise de conscience se traduira par des mesures beaucoup plus significatives. »

Avec la nomination de Steven Guilbeault, un militant de longue date dans le domaine de l’environnement, au poste de ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Mme Shah voit un signal du gouvernement fédéral que des mesures plus audacieuses et ambitieuses pour lutter contre les changements climatiques sont sur le point d’être mises en œuvre. « La lettre de mandat de M. Guilbeault est peut-être la plus ambitieuse de toutes, avec une liste impressionnante de mesures et de priorités », fait remarquer Mme Shah.

Alors que les ambitions fédérales en matière de lutte contre les changements climatiques s’intensifient, « il en va de même pour les ambitions philanthropiques; de plus en plus de bailleurs de fonds s’intéressent désormais aux changements climatiques », dit-elle.

Mme Shah prévoit un intérêt accru des organisations non gouvernementales de défense de l’environnement à agir sur des sujets tels que la transition équitable vers les véhicules électriques et les infrastructures vertes, mais tout cela nécessite l’adhésion du public, prévient-elle. « En 2022 les ONG et les bailleurs de fonds commenceront à investir davantage dans l’aspect humain de l’équation, ce qui renforcera le fait qu’un changement culturel est en cours dans notre volonté d’adopter des modes de vie durables et d’en assumer les coûts et les changements », dit-elle.

Mais de grands changements sont à prévoir pour les groupes qui, traditionnellement, n’ont jamais travaillé directement dans le domaine des changements climatiques ou de l’environnement, et les conseils d’administration de tout le pays commencent à envisager des mesures internes pour lutter contre les changements climatiques, que leur groupe ait ou non une mission axée sur l’environnement.

Lancé à l’automne 2021, l’engagement de la philanthropie canadienne sur le dérèglement climatique est un appel lancé aux organismes philanthropiques « pour qu’ils fassent état de leur engagement à agir contre le dérèglement climatique, quelles que soient leurs missions respectives ». L’engagement recommande de prendre des mesures dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’endroit où les fonds de dotation sont investis – et de leur réorientation vers des investissements respectueux du climat – ou de l’application de critères d’attribution tenant compte des changements climatiques et de la souveraineté des peuples autochtones.

« Il s’adresse à tous les bailleurs de fonds, peu importe la portée de leurs activités », précise M. Mangin de Fondations philanthropiques Canada. « Les changements climatiques touchent toutes les dimensions de la société. »

Adopter une philanthropie fondée sur la confiance

Aux États-Unis, MacKenzie Scott, dont la fortune découle de son divorce avec le dirigeant d’Amazon Jeff Bezos, a fait les manchettes [en anglais seulement] en décembre 2020 avec sa décision de faire don de près de 6 milliards de dollars américains à des centaines d’organismes de bienfaisance. Un rapport de 2021 de Deloitte [en anglais seulement] a vanté les dons comme un exemple de philanthropie fondée sur la confiance. Les dons de Scott n’incluaient aucun processus de proposition de subvention, aucune exigence de déclaration continue et aucun droit de dénomination, note le rapport. Comme l’a rapporté le New York Times, Scott a distribué son argent rapidement et sans grand tapage médiatique.

Il semble que davantage de bailleurs de fonds adoptent cette façon de faire. « L’année 2022 sera l’occasion de progresser lentement vers une philanthropie fondée sur la confiance », selon Mme Shah, d’Environment Funders Canada.

Selon M. Kasper, de Deloitte, l’un des coauteurs du rapport de 2021 qui mentionne Mme Scott, « la philanthropie fondée sur la confiance est vraiment axée sur la façon dont les bailleurs de fonds peuvent commencer à établir des relations qui reposent sur l’idée de tisser des liens et de se fier aux bénéficiaires pour mener à bien leur tâche et savoir ce qui est le mieux pour eux eux-mêmes. »

Cela peut se traduire par plus de latitude pour les bénéficiaires sur le terrain. « En pleine pandémie de COVID-19, de nombreux bailleurs de fonds ont réalisé qu’ils peuvent accélérer le processus de diligence raisonnable pour les bénéficiaires de subventions et que rien de vraiment horrible ne se produit, explique M. Kasper. Ils commencent donc à voir qu’ils peuvent reposer davantage sur une relation de confiance. »

Modifier les règles relatives aux donataires non reconnus

Au Canada, la conversation à propos de l’adoption d’une plus grande confiance en matière de philanthropie est liée aux donataires non reconnus.

Il y aura peut-être des changements à venir, car le projet de loi de la sénatrice Omidvar, la Loi sur l’efficacité et la responsabilité des organismes de bienfaisance, a franchi l’étape de la troisième lecture au Sénat en décembre. Le projet de loi modifierait la Loi de l’impôt sur le revenu pour permettre aux organismes de bienfaisance de financer des donataires non reconnus s’ils prennent « des mesures raisonnables pour s’assurer que les ressources sont utilisées exclusivement à des fins de bienfaisance. »

Le projet de loi a depuis été déposé de nouveau et se trouve maintenant devant la Chambre des communes, parrainé par le député conservateur Phil Lawrence. « J’espère qu’il sera adopté en 2022 », déclare Mme Omidvar, qui a travaillé dans le secteur caritatif tout au long de sa vie. « Ce projet de loi jouit d’un grand appui de tous les côtés de la Chambre des communes », dit-elle, tout en précisant que le projet de loi, s’il est adopté en 2022 sans amendements, n’entrerait pas en vigueur avant 2024. Selon elle, le projet de loi n’imposerait pas une philanthropie fondée sur la confiance, mais modifierait plutôt la façon dont la reddition de comptes est mesurée.

Dans l’état actuel des choses, dit-elle, les règles entourant l’attribution de fonds à des donataires non reconnus sont non seulement dépassées, mais elles sont aussi un exemple de racisme systémique, car elles obligent les bailleurs de fonds non pas à former un partenariat, mais plutôt à prendre le contrôle du projet. »

Elle souligne les données qui démontrent l’iniquité du financement accordé aux organismes dirigés par des Noirs et des Autochtones. Une étude de 2020 intitulée Unfunded: Black Communities Overlooked by Canadian Philanthropy [en anglais seulement] a révélé que les subventions accordées aux organismes dirigés par des Noirs représentaient un maigre 0,7 % du total des subventions au cours des exercices 2017 et 2018. Une autre étude réalisée en 2021 a révélé que bien que les Autochtones représentent environ 4,9 % de la population, les groupes autochtones n’ont reçu qu’un peu plus de 0,5 % des fonds octroyés [en anglais seulement]. Mme Omidvar croit que l’on peut commencer à s’attaquer à ce problème en modifiant les règles concernant les donataires non reconnus.

« Inévitablement, il y a une corrélation entre le financement de donataires non reconnus et le financement d’organismes dirigés par des PANDC », indique Mme Shah. M. Chunilall est d’accord : « les cadres existants empêchent l’argent de circuler vers les communautés racisées et autochtones ».

« Changer les règles est l’objectif à long terme, déclare M. Mangin, de Fondations philanthropiques Canada. Mais tant que les règles sont en vigueur, nous devons faire en sorte qu’il soit aussi facile que possible pour les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif de soutenir les donataires non reconnus. » Il pourrait s’agir de fournir du financement fondé sur la confiance aux organismes communautaires de proximité, comme l’a fait le Fonds de résilience des peuples autochtones.

À mesure que le secteur philanthropique continue de reconnaître l’importance des organismes de proximité, Mme Shah s’attend à ce que les bailleurs de fonds utilisent de plus en plus les modèles de subventions participatives ainsi que d’autres moyens afin de veiller à ce que les fonds parviennent aux donataires non reconnus.

Entre-temps, toutefois, de nombreuses communautés autochtones du Canada atlantique ont pu s’inscrire comme donataires reconnus au cours des dernières années. Selon Richard Bridge, conseiller stratégique et juridique d’Ulnooweg, un groupe d’organismes dirigés par des Autochtones qui promeut le bien-être des communautés autochtones du Canada atlantique, le nombre de donataires autochtones reconnus a augmenté de façon constante au cours des dernières années.

Cela a permis aux organismes autochtones et aux conseils de bande de produire des reçus aux fins d’impôt pour financer toute une série de services sociaux et de projets d’infrastructures qui étaient auparavant sous-financés. Un projet récent mené pendant la pandémie a permis la construction de six serres dont l’objectif est d’accroître la sécurité alimentaire dans des collectivités des Premières Nations. M. Bridge espère que d’autres collectivités adopteront ce modèle en 2022.

« Il y a un énorme potentiel sur tous les fronts dans cette relation entre la philanthropie et les communautés autochtones », indique M. Bridge.

Aborder les enjeux de ressources humaines dans le secteur

Il y a des obstacles à surmonter en ce qui concerne les ressources humaines dans le secteur, qu’il s’agisse du vieillissement des employés, du recrutement ou du manque de bénévoles.

Cela fait partie de ce que le gouvernement fédéral a appelé un changement fondamental. Selon les données du gouvernement, en 2012, près d’un Canadien sur sept était un aîné. D’ici 2030, cette proportion passera à près d’un sur quatre.

Le vieillissement a d’importantes répercussions pour le personnel et les bénévoles du secteur caritatif. « Sans l’immigration, notre main-d’œuvre diminuera », explique M. MacDonald, d’Imagine Canada. Depuis 2009, un million de travailleurs se sont retirés de la population active en raison du vieillissement, selon un récent rapport de la Banque Royale du Canada [en anglais seulement], qui conclut que l’immigration est une solution pour aider à reconstituer la main-d’œuvre.

Cela continuera de faire avancer la conversation sur la façon dont le secteur peut être plus inclusif pour les milliers de nouveaux Canadiens qui arrivent ici chaque année.

Au même moment, l’avenir s’assombrit quant à la capacité du secteur d’attirer et de retenir les talents, selon M. MacDonald. Il s’attend à ce qu’un environnement d’embauche concurrentiel entraîne des perturbations importantes pour le secteur en 2022, et ce, à un moment où l’inflation est à la hausse et où les travailleurs cherchent à ajuster leur salaire en conséquence.

« Nos collègues du secteur privé proposent des conditions de plus en plus intéressantes », souligne-t-il, citant des entreprises comme McDonald qui offrent désormais des primes à la signature [en anglais seulement] pouvant atteindre 1 000 $ ainsi que des crédits pour frais de scolarité et des prestations de maladie importantes. « Les entreprises du secteur privé se livrent à une concurrence féroce pour attirer et retenir les talents, et elles commencent à y consacrer des ressources et à présenter des offres que notre secteur ne peut pas égaler, dit-il. Cela pourrait être une période très difficile pour la dotation. »

Le problème ne se limite pas au personnel.

Comme le souligne Mme Taylor, 61 % des organismes sondés par l’Ontario Nonprofit Network [en anglais seulement] ont déclaré l’été dernier avoir perdu un nombre important de bénévoles depuis le début de la pandémie; les organismes artistiques, les groupes confessionnels, les hôpitaux, les établissements d’enseignement postsecondaire et les groupes sportifs étant les plus touchés.

Faire revenir les gens sur le terrain – qu’il s’agisse du personnel ou des bénévoles – sera une préoccupation de premier plan pour de nombreux organismes cette année.

Combler les lacunes du secteur en matière de données et d’analyse des données

Les données sont un sujet de conversation important ces derniers temps et continueront de l’être en 2022. Le secteur caritatif et philanthropique fera de plus en plus partie de cette conversation.

Comme le souligne Susan Phillips, professeure à l’École de politique et d’administration publique de l’Université Carleton, l’amélioration de la collecte de données sur le secteur [en anglais seulement] à l’échelle gouvernementale présenterait une multitude d’avantages, qu’il s’agisse de permettre aux donateurs et aux philanthropes de prendre des décisions plus éclairées en matière de dons, d’éviter le dédoublement du financement ou de favoriser la recherche et l’innovation fondées sur les données.

Mme Phillips fait remarquer que, bien qu’un comité sénatorial spécial ait recommandé en 2019 que Statistique Canada collabore avec le secteur caritatif et philanthropique pour recueillir et partager des données rapidement et de manière cohérente, la responsabilité de cet exercice incombera également aux autres paliers de gouvernements et au secteur lui-même. Même si Mme Phillips souhaite que le gouvernement investisse dans de grands sondages auprès des ménages, ce qu’il sait bien faire, elle aimerait également que le secteur philanthropique investisse dans les données.

« Ce à quoi je m’attendrais, c’est que certaines fondations se regroupent pour réaliser leurs propres investissements, dit-elle. Plutôt que d’attendre que le gouvernement intervienne, elles devraient s’empresser de combler le vide pour recueillir le genre de données dont le secteur a besoin. »

Et les données en elles-mêmes, selon Mme Phillips, ne suffisent pas. En 2022, elle espère voir un investissement plus important dans l’analyse des données. Comme on parle beaucoup du manque de données, les organismes doivent être prêts à investir dans les compétences, souligne-t-elle.

« Il ne sert pas à grand-chose de disposer simplement des données sans pouvoir les transformer en outils d’analyse utiles pour le secteur », ajoute Mme Phillips. Pour y parvenir, Mme Phillips travaille à la mise sur pied d’un centre de données, le Centre for Philanthropy and Charity Data, situé à l’Université Carleton.

Avec une plus grande numérisation, la collecte et l’analyse des données devraient continuer de croître en 2022. Elles serviront de plus en plus à éclairer la prise de décisions en matière de financement et de répercussions.

Continuer à faire pression pour obtenir un espace au sein du gouvernement

Le secteur des organismes de bienfaisance et sans but lucratif représente plus de 8 % du PIB total du Canada, une proportion semblable à celle du secteur de l’extraction minière, pétrolière et gazière. Il s’agit donc d’un acteur important de l’économie canadienne. Malgré cela, la représentation au sein du gouvernement reste difficile.

« À l’échelle nationale et, en fait, dans la plupart des provinces, il n’y a pas de ministère ou d’espace au sein du gouvernement pour le secteur sans but lucratif », affirme Mme Taylor, de l’Ontario Nonprofit Network, qui cite des portefeuilles comme celui de la ministre de la Petite entreprise comme modèle pour le secteur caritatif.

Certains gouvernements commencent à renverser la vapeur. À la fin de 2020, le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique a créé le poste de secrétaire parlementaire pour le développement communautaire et les organismes sans but lucratif. Les intervenants du secteur espèrent que d’autres gouvernements en prendront bientôt note.

Malgré cela, les lettres de mandat des ministres fédéraux ne laissent aucunement présager la création imminente d’un tel espace au sein du gouvernement, selon M. MacDonald, d’Imagine Canada. « Nous continuerons de travailler avec d’autres organismes pour faire pression en faveur de la création d’un espace dédié à notre secteur au sein du gouvernement dans le prochain budget de printemps », dit-il.

Adopter un modèle hybride

Pour Katherine O’Neill, directrice générale de la YWCA d’Edmonton, la COVID-19 a eu un effet positif considérable, du moins en ce qui concerne la façon dont elle a forcé son organisme à changer de cap. « La COVID-19 a poussé tout le monde à repenser tout ce qu’ils font, dit-elle. Cela s’est avéré être un très bon exercice. »

La pandémie a entraîné d’énormes changements, tant à l’interne qu’à l’externe. Pour la YWCA, certains de ces changements sont là pour de bon. L’organisme, qui a 115 ans, propose désormais des services de conseil en ligne, par exemple. Il s’agit d’un changement qui a entraîné une amélioration de son offre de services comparativement à 2020 et à 2021. La prestation de services virtuels n’est pas près de disparaître, selon Mme O’Neill, qui souligne que les offres en ligne permettent aux clients de la YWCA – dont la grande majorité sont des femmes – de ne pas avoir à se soucier du stationnement ou du gardiennage. En 2022, la YWCA prévoit l’implantation d’un modèle hybride. « Le secteur à but non lucratif doit être moderne et modernisé », dit-elle.

Les modèles hybrides apparaissent non seulement dans les services, mais aussi dans les bureaux. La YWCA d’Edmonton rouvrira enfin ses bureaux au début de 2022, mais la majorité de son personnel travaillera toujours à domicile, compte tenu de l’état actuel de la pandémie. La façon dont le bureau fonctionne a cependant changé. L’organisme vise à être entièrement sans papier d’ici 2023. Tout, de la paie à la collecte de fonds, est passé en ligne.

L’adoption du monde virtuel ne signifie pas pour autant la fin des événements et des services en personne. La YWCA d’Edmonton a tenu sa première collecte de fonds en personne, la Campagne des roses, en décembre 2021, et l’organisme a plus que doublé son objectif de collecte de fonds initial lors de cette activité en personne. « Les gens en ont assez des événements en ligne, mais ils ne disparaîtront pas complètement », prédit Mme O’Neill, qui fait remarquer que, même si la collecte de fonds s’est déroulée en personne, les bénévoles se sont rencontrés en ligne chaque semaine pour planifier l’événement, ce qui rend la participation des bénévoles beaucoup plus facile à gérer.

Bien que certains organismes observent certains avantages à la transition vers le numérique rendue nécessaire par la pandémie, bon nombre d’entre eux attendent avec impatience le retour aux événements et aux programmes en personne.

Des organismes comme le Mouvement jeunesse des 4R de Mme Bolduc ont également pris le virage. Cette dernière s’inquiète cependant d’une dégradation de l’engagement lorsque les réunions virtuelles sont privilégiées. Pour un organisme qui met l’accent sur les échanges interculturels directs entre les jeunes et vise à créer des espaces de courage destinés à sensibiliser et à transformer les relations entre les jeunes autochtones et non autochtones, la perte des interactions en personne était un problème. Le groupe a relevé le défi, mais Mme Bolduc craint que les bailleurs de fonds perdent de vue l’importance des rencontres en personne et que ceux-ci et le gouvernement accordent la priorité aux mauvaises adaptations. « Oui, nous pouvons faire des choses en ligne et oui, nous économisons de l’argent sur les voyages. Mais nous voyons à quel point les gens sont en train de se désolidariser. Ce que je ne veux pas voir ressortir de tout cela, c’est une réduction des budgets consacrés aux voyages. »

Si elle reconnaît, comme d’autres, qu’une option en ligne peut améliorer l’accessibilité pour certains, elle espère que la pression de passer au numérique ne mènera pas à un changement permanent après la pandémie.

C’est là qu’intervient le modèle hybride de l’avenir, selon Katie Gibson, vice-présidente de la stratégie et des partenariats du CIO Strategy Council. « En 2022, nous commencerons à voir la transformation numérique être traitée comme un impératif sectoriel, et pas seulement comme un défi organisationnel », dit-elle

À l’avenir, elle s’attend à voir de nouvelles approches axées sur le modèle hybride, comme une fondation qui finance tous ses bénéficiaires pour qu’ils participent en tant que cohorte à un programme de formation sur la transformation numérique ou qui investit dans des outils, des plateformes ou des infrastructures à l’échelle du secteur.

« Il y a un intérêt certain et croissant », dit-elle à propos de cette approche plus sectorielle. De plus, elle prévoit bientôt une deuxième vague d’adoption du numérique. « Beaucoup d’organismes ont commencé à offrir des services virtuels et ont adopté des outils de télétravail sous la contrainte lorsque la pandémie a frappé, souligne-t-elle. Maintenant, certains constatent que ces outils ne répondront pas à leurs besoins à l’avenir, et ils réévalueront la situation. »

Mme Gibson s’attend également à ce que de plus en plus d’organismes sans but lucratif cherchent à recruter du personnel pour des postes spécialisé dans les technologies, citant l’exemple de Jeunesse, J’écoute, qui a recruté son premier dirigeant principal de l’information. « Nous commençons déjà à voir ce type de rôles se dessiner », souligne-t-elle, ajoutant que la pandémie a accéléré le virage.

Repenser la façon de gérer les richesses et les dotations

Il y aura toujours un débat sur le contingent des versements, soit le montant minimum que les bailleurs de fonds sont tenus d’allouer aux organismes de bienfaisance chaque année. Le gouvernement fédéral a récemment entrepris une série de consultations afin de recueillir des commentaires sur la question de savoir si le quota actuel de 3,5 % est adéquat. Les résultats de ces consultations pourraient donner lieu à certains changements cette année.

« Nous avons l’impression que le gouvernement poursuivra son travail d’évaluation des soumissions », déclare M. MacDonald, d’Imagine Canada, ajoutant qu’il s’attend à ce que le gouvernement cherche à inclure une ou plusieurs recommandations dans le budget fédéral du printemps.

Au même moment, les fonds de dotation et les investissements des organismes philanthropiques font l’objet d’un examen de plus en plus attentif, en raison de ce que M. Chunilall, des Fondations communautaires du Canada, qualifie de « problème d’harmonisation », en particulier lorsqu’il s’agit de déterminer si les investissements respectent la neutralité climatique.

« Dans le domaine de la philanthropie, nous avons participé à la création de richesses dans le but premier de favoriser la croissance économique. Puis, nous utilisons cette richesse pour résoudre les problèmes qui sont à l’origine de cette richesse, dit-il. C’est le paradoxe. Ce qui me tient à cœur en 2022, c’est de déterminer comment éliminer ce paradoxe à l’avenir. »

M. Kasper utilise l’analogie d’un groupe qui s’efforce d’améliorer les soins de santé tout en investissant son argent dans le tabac. Aujourd’hui, pour plusieurs, le principal enjeu est le climat. Selon lui, les bailleurs de fonds subissent de plus en plus de pressions pour veiller à ce que leurs investissements ne contredisent pas leurs subventions. Selon Paul Nazareth, vice-président de l’éducation et du développement de l’Association canadienne des professionnels en dons planifiés, il s’agit notamment de décarboner les avoirs des bailleurs de fonds, notamment en veillant à ce que les fonds soient investis de façon éthique et neutre sur le plan climatique. « C’est passionnant de constater que ces choses ne relèvent plus du simple choix », dit-il.

« Les organismes philanthropiques sont tous des investisseurs, explique M. Chunilall. Nous nous retrouvons face au constat que beaucoup de nos investissements n’ont pas pris en compte, mesuré ou suivi notre incidence sur le milieu écologique dans lequel nous vivons. »

Alors que les investisseurs institutionnels privés se retirent plus rapidement des projets gourmands en combustibles fossiles, le secteur philanthropique sera confronté à une pression accrue pour faire de même en 2022. Kelly DePonte, directrice générale de Probitas Partners, a déclaré à Bloomberg [en anglais seulement] en juillet que les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance sont de plus en plus importants pour les investisseurs nord-américains. Selon elle, « les investisseurs en capital-investissement, comme les fonds de pension, renoncent à investir dans le pétrole et le gaz, quel que soit le rendement, afin de poursuivre leurs objectifs de carboneutralité. Il ne s’agit que d’une tendance pour l’instant, mais elle prend de l’ampleur. »

M. Nazareth affirme que cela s’étendra à la philanthropie. « Désormais, les donateurs et les bailleurs de fonds ne demanderont pas seulement comment cet argent affectera votre mission, ils voudront également savoir s’il est investi de manière éthique. Vos activités sont-elles neutres sur le plan climatique? Sont-elles bénéfiques pour le climat? Il y aura beaucoup de questions », explique-t-il.

Faire participer les partenaires locaux à la coopération internationale

En 2022, Gloria Novovic, spécialiste et praticienne de la coopération internationale et du développement, espère que le terme « aide internationale » et ses associations paternalistes seront enfin relégués aux oubliettes en faveur de termes – et de pratiques — plus progressistes comme « assistance ».

« De nombreux organismes se sont engagés dans un travail très sincère et très ambitieux. Cette année sera une année cruciale où ces engagements et ces objectifs stratégiques se traduiront en plans organisationnels cohérents et participatifs qui réuniront toutes les parties prenantes et qui poseront des questions sur la manière dont ces engagements seront respectés », dit-elle. Mme Novovic recherche davantage de modèles de subventions qui fournissent un financement à long terme, souple et prévisible aux organismes partenaires dont les compétences sur le terrain et à l’échelle locale favorisent la mise en œuvre de programmes aux retombées positives pour les communautés.

Avec la publication des lettres de mandat des ministres fédéraux en décembre 2021, il est clair que le Canada s’oriente de plus en plus vers un soutien aux organismes sur le terrain et de proximité dans des contextes internationaux. On le voit dans le mandat du ministre du Développement international, Harjit Sajjan, où, selon Mme Novovic, il y a un engagement clair à soutenir davantage les acteurs locaux.

Conclusion

En 2022, nous pouvons nous attendre à ce que davantage de mesures soient prises sur des questions examinées depuis longtemps. La réconciliation et la crise climatique ne datent pas d’hier, pas plus que les besoins en matière de données et de représentation au sein du gouvernement. Au fur et à mesure que les organismes s’adaptent à la nouvelle réalité de l’incertitude liée à la COVID-19, la prise en charge de ces questions deviendra, par nécessité, une priorité. La collaboration à l’échelle du secteur sera de plus en plus nécessaire.

« Il n’a jamais été aussi important de défendre collectivement nos intérêts. Il est tout simplement impossible de nous attaquer à tous les problèmes sans travailler ensemble », déclare Mme Taylor, de l’Ontario Nonprofit Network. « Je pense que ce sera une véritable priorité pour l’ensemble du secteur en 2022 »

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Sharon J. Riley est journaliste à Edmonton. Elle couvre les sujets touchant à l’énergie et à l’environnement pour The Narwhal. Ses textes ont également été publiés, entre autres, par The Walrus, Alberta Views et Harpers.

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