Un rôle clé : Comment la philanthropie peut soutenir les arts et la culture au Canada

Il y a quelques années, à la Fondation Metcalf, nous avons commencé à réfléchir au développement d’un nouveau volet de subventionnement pour notre programme consacré aux arts de la scène. En reconnaissant l’importance de faire participer des membres de la communauté au processus de conception, nous avons décidé de poser une simple question à 100 artistes torontois : si l’on vous donnait plus d’argent demain, comment le dépenseriez-vous?

Les réponses ne se sont pas fait attendre. Beaucoup d’artistes (la plupart, en fait) désiraient l’une de ces trois choses : plus de temps pour pratiquer leur art, plus d’argent pour mieux rémunérer les créateurs, et plus de gens qui travailleraient au développement des arts. Ces réponses n’étonneront pas les gens qui œuvrent dans le domaine de la pratique artistique. Les ressources font l’objet d’une concurrence acharnée, et le financement est imprévisible. Les artistes et les organisations artistiques sont constamment sous pression pour trouver les moyens (temps, finances, ressources humaines) de concrétiser leurs ambitions artistiques et partager les fruits de leur labeur.

En tant qu’artiste canadien de la danse, j’ai pu constater comment les dons philanthropiques peuvent changer la donne. Lorsque j’étais directeur artistique de Dancemakers, nous avons une fois reçu un don substantiel à la fin d’une rencontre d’une heure. Ce don inhabituel a fait toute la différence du monde et nous a donné la capacité de réaliser notre ambition. Depuis que je suis moi-même devenu un subventionneur en 2015, en tant que directeur des arts de la scène à la Fondation Metcalf, j’ai acquis des connaissances et des points de vue sur ce qui fait de la philanthropie un partenaire de danse idéal pour le secteur des arts et de la culture.

Risque et souplesse          

Au Canada, le secteur sans but lucratif des arts et de la culture compte sur un financement public et privé ainsi que sur ses propres revenus. Le solide réseau canadien de bailleurs de fonds publics représente la plus importante source de financement pour le secteur, et soutient un vaste éventail d’activités — allant d’un projet unique d’un artiste indépendant à des subventions pluriannuelles qui prennent en charge les programmes d’une institution. Par nécessité, les bailleurs de fonds publics se conforment à des exigences strictes en matière de responsabilité publique afin d’assurer un accès inclusif et équitable aux deniers publics. Ce qu’ils font en négociant un ensemble de mesures englobant l’excellence artistique, la santé financière et l’impact public.

En philanthropie, la souplesse de la gouvernance et des structures de prise de décision favorise la capacité à saisir rapidement les possibilités dans des délais plus courts. C’est pourquoi la philanthropie est bien placée pour accepter de plus importants niveaux de risque. La philanthropie peut gonfler et compléter les fonds publics lorsqu’il est important de répondre à des demandes alors que les résultats sont plus incertains, ou de répondre rapidement à une occasion opportune.

Comme le souligne Kelly Wilhelm dans cette série d’articles, la philanthropie a une plus grande liberté d’expérimentation que les secteurs public et privé. « Les fondations peuvent prendre des risques, investir dans de nouveaux domaines, et développer des modèles reproductibles. »  Le volet de financement Staging Change, de la Fondation Metcalf, vise à fournir un soutien organisationnel pour encourager l’innovation et l’adaptabilité. En tant que bailleur de fonds, cela exige de nous que nous tirions le meilleur parti de notre tolérance pour l’inconnu et l’imprévisible.

L’importance des dons philanthropiques privés varie dans l’ensemble du secteur sans but lucratif, mais, selon la recherche effectuée par Fondations philanthropiques Canada (FPC), l’éducation et la recherche, la santé et les services sociaux reçoivent près de la moitié de la valeur totale des dons. Les arts et la culture viennent ordinairement en quatrième ou cinquième place. En 2015, les 150 principales fondations canadiennes qui soutiennent les arts et la culture ont offert un montant total de 108 millions de dollars. Ce montant n’inclut pas les fonds orientés par le donateur ou les fondations communautaires, qui soutiennent depuis longtemps les arts et la culture. L’investissement total au sein du secteur dépasse certainement ce montant.

Nous ne savons pas exactement à combien se chiffre le soutien philanthropique pour les arts et la culture au Canada, mais nous savons qu’il est considérable. En produisant cette série d’articles, nous avons réalisé que les bailleurs de fonds pour les arts et la culture ont une occasion exceptionnelle de s’associer et de collaborer de façon à renforcer et augmenter notre impact. Cela semble d’autant plus pertinent non seulement en raison de la somme des ressources financières philanthropiques disponibles, mais aussi de la complexité des enjeux auxquels est confronté le secteur des arts et de la culture. Ainsi que le mentionne Kate Taylor dans cette série, ces enjeux vont du « sempiternel effort de remplir les salles alors que les gens préféreraient rester à la maison pour écouter Netflix, à la réponse à l’appel de la société en faveur de la diversité, de l’égalité des genres et de la réconciliation avec les Premières Nations ».

Les enjeux qui exigent notre attention

Au Canada, les créateurs artistiques sont profondément engagés dans une approche très large pour des enjeux tels que l’accessibilité, l’équité, la réconciliation et la décolonisation. Comme nous avons pu le constater dans le troisième article de cette série avec, par exemple, Marcus Youssef et la pièce King Arthur’s Night, et Cris Derksen et le Orchestral Powwow Project, les artistes d’aujourd’hui explorent des façons de s’adresser à un public plus diversifié, tant avant que pendant la performance artistique. De même, le secteur philanthropique commence à se demander comment les communautés en mal d’équité et les communautés autochtones voient le monde, ce dont elles ont besoin et ce qu’elles offrent.

Dans son livre publié en 2018, Decolonizing Wealth, Edgar Villanueva, un expert américain dans le domaine de la philanthropie fondée sur la justice sociale, et un membre de la tribu Lumbee, présente une feuille de route pratique pour restaurer l’équilibre en philanthropie grâce à la sagesse autochtone. Selon Villanueva, les valeurs sacrées des Autochtones, telles que la vérité, l’humilité, la compassion, l’ouverture, l’écoute, la sagesse et l’amour, présentent un fort potentiel pour la philanthropie. Ces qualités centrées sur la personne semblent s’adapter parfaitement à la philosophie qui sous-tend les arts et la culture : la manifestation et la stimulation de l’empathie et de l’imagination.

Des bailleurs de fonds des secteurs public et privé nous donnent de nouveaux exemples en offrant l’espace et l’occasion à des Autochtones de mener des projets au Canada. En 2015, le Conseil des arts du Canada, en partenariat avec la Fondation McConnell et le Cercle sur la philanthropie, a lancé l’initiative {Ré}conciliation pour répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Le Conseil des arts a ensuite modulé son soutien en mettant sur pied le volet de subventionnement « Créer, connaître et partager ». La Fondation Inspirit favorise aussi la réconciliation, notamment en soutenant des leaders de changement œuvrant dans les domaines des arts et des médias.

Pistes d’engagement

Quand on subventionne les arts et la culture, on ne cesse de se poser une question essentielle : quelle est la meilleure façon de continuer à approfondir et diversifier nos relations avec le secteur? C’est un défi exaltant, tant est incroyablement foisonnante la richesse de l’expression esthétique dans le Canada d’aujourd’hui — il y a tant de formes nouvelles à prendre en compte, en plus des formes artistiques traditionnelles que sont l’opéra, le ballet, la symphonie et les musées.

Si l’idée de soutenir les arts et la culture est nouvelle pour vous, il se peut que vous vous demandiez comment les particuliers et les fondations familiales, dont les noms paraissent sur les affiches des spectacles et autres événements artistiques au Canada, alignent leurs propres mandats et missions à un espace aussi varié et idiosyncratique. D’un point de vue pragmatique, voici quatre portes d’entrée à la participation, avec plusieurs exemples actuels de subventionnement.

Développement artistique : Les artistes ont besoin de temps pour réfléchir, trouver des collaborateurs et se lancer dans les premières phases d’expérimentation et de développement. Le Theatre Centre à Toronto, le Banff Centre en Alberta et Circuit-Est à Montréal sont des chefs de file canadiens pour l’appui à de nouvelles idées en fournissant un espace, du temps et un soutien dramaturgique. En plus de recevoir des fonds publics, chacun de ces organismes est soutenu par la philanthropie, entre autres, respectivement, par la Fondation J.P. Bickell, la Fondation de la famille Slaight et RBC.

Lorsqu’une œuvre est plus achevée, les organisations artistiques s’attellent à la tâche de trouver un public. Ce qui peut être accompli en partenariat avec un ou plusieurs présentateurs, ou par l’entremise d’un réseau de coproducteurs. Le Fonds national de création (FNC) du Théâtre national des Arts est un très bon exemple novateur de ce genre de soutien. À ce jour, 29 projets ont profité d’investissements du FNC, dont des succès internationaux tels que Revisor de Crystal Pite et Jonathan Young, et de nouvelles productions prometteuses telles que Treemonisha du Volcano Theatre, et Unikkaaqtuat, une coproduction de Les 7 doigts, de Montréal, du collectif Artcirq d’Igloolik et des productions Taqqut d’Iqaluit, qui combine les arts du cirque et les mythes fondateurs inuits. Le FNC a été créé grâce à des dons de fondations, d’entreprises et de particuliers tels que Gail Asper, philanthrope de Winnipeg, qui a offert un don majeur.

Capacité organisationnelle : Une organisation est l’entité qui héberge une vision artistique et qui s’occupe de garder les lumières allumées, de chauffer les studios, de faire du marketing pour l’œuvre à présenter et de payer les gens qui veillent au bon déroulement des choses. Les bailleurs de fonds publics soutiennent depuis longtemps la durabilité et la croissance organisationnelles en finançant les activités de façon continue, fiable et prévisible. La philanthropie peut jouer un rôle apprécié et complémentaire en renforçant les capacités. Pour ce faire, elle a le choix entre deux façons de procéder. La première consiste à intervenir de façon stratégique. Par exemple, le programme Staging Change de la Fondation Metcalf est une initiative stratégique pluriannuelle qui aide les organisations à penser autrement et à s’adapter.

Une autre façon qui permet à la philanthropie de jouer un rôle significatif est de fournir un financement opérationnel sans restrictions pour des aspects souvent moins glorieux, et cependant cruciaux, de la gestion au quotidien des organisations artistiques. En janvier 2018, lorsque le Festival de Stratford a lancé une campagne de capitalisation pour un nouveau théâtre multifonctionnel, on a convaincu les donateurs qu’il était aussi important de soutenir les opérations continues du futur centre au moyen d’une dotation, que de trouver l’argent pour bâtir les installations (Nestruck, 2019).

Leadership : Ces dix dernières années, on a souvent recherché à l’extérieur du secteur le leadership institutionnel pour les arts au Canada. Cette situation est due au vide laissé par les leaders de haut niveau qui sont partis à la retraite, combiné à un faible bassin de recrutement pour l’offre de nouvelles possibilités de leadership afin que les talents canadiens puissent être développés ici et rester ici. Deux parfaits exemples pour contrer cette tendance nous sont donnés par la Fondation Rozsa, de Calgary, qui fait la promotion des arts par l’entremise de ses programmes d’amélioration des compétences de leadership en arts, et par la Fondation Metcalf dont le programme de stages pour les arts de la scène a offert en Ontario, depuis 2001, plus de 300 stages d’un an.

Politique prometteuse : Dans cette série d’articles, Sandy Houston affirme que, depuis le rapport Massey en 1957, aucun examen national d’envergure ne s’est penché sur les arts et la culture. Toutefois, les 42 recommandations formulées récemment par le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance (chargé en 2018 de découvrir comment le Canada pourrait mieux appuyer cet important travail) sont très prometteuses. Deux de ces recommandations, si elles étaient adoptées, seraient très profitables au secteur des arts et de la culture. La première concerne une plus ample définition des activités que les organismes de bienfaisance peuvent entreprendre en tant qu’activités commerciales complémentaires, particulièrement en ce qui a trait aux « occasions de production de recettes découlant des nouvelles technologies ».

La seconde, qui est la plus intéressante, permettrait « aux organismes de bienfaisance de faire des dons à des donataires non reconnus dans des circonstances bien précises, à savoir lorsque les fonds versés (…) sont utilisés exclusivement à des fins de bienfaisance » (Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance, 2019). Cette simple disposition pourrait commencer à changer le cadre du secteur de la bienfaisance, en passant d’un cadre où l’on semble se soucier surtout de la conformité à un cadre plus souple, de sorte qu’un plus grand bassin d’artistes et d’organisations artistiques pourraient avoir accès à des ressources financières philanthropiques. La philanthropie a définitivement un rôle de leadership à remplir pour promouvoir ce genre de changements de politiques.

Le don de la philanthropie

Dans l’esprit du secteur des arts et de la culture, qui se nourrit de nouveaux projets créateurs, la Fondation Metcalf a dernièrement lancé un prix pour les arts de la scène en Ontario. Le prix inaugural, qui sera attribué en décembre de cette année, est nommé en l’honneur de Johanna Metcalf qui est décédée l’an dernier. Pendant 40 ans, Johanna a été au cœur du travail de la Fondation, et elle croyait fermement au potentiel de la culture pour la transformation.

Ce prix est l’aboutissement d’un long processus où l’on a soigneusement examiné les options — un processus qui a commencé avec la question que nous avons posée à 100 artistes torontois : si l’on vous donnait plus d’argent demain, comment le dépenseriez-vous? Ce prix sera offert sans restrictions : les lauréats pourront utiliser l’argent comme bon leur semble, que ce soit pour du temps ou d’autres ressources. Le résultat, c’est que les récipiendaires du prix seront plus susceptibles de pouvoir combler le fossé entre leurs ambitions et leurs capacités, et qu’en retour ils continueront à utiliser leurs talents au service des autres. Nous croyons que c’est cela, le véritable don de la philanthropie.

L’union fait la force

Il est intéressant de souligner que, selon la recherche de Fondations philanthropiques Canada, le secteur des arts et de la culture reçoit approximativement trois fois plus de dons que le secteur environnemental. Peut-être par nécessité, en vertu d’un rayonnement moins grand, nos collègues du domaine de l’environnement comprennent les avantages qu’il y a à entretenir une collaboration continue. Le Réseau canadien des subventionneurs en environnement (RCSE), par exemple, regroupe des « fondations privées, publiques, communautaires et d’entreprise, qui partagent un désir d’apprendre, de collaborer et de mobiliser des ressources afin de réaliser des priorités communes » (RCSE, 2019).

À la Fondation Metcalf, nous estimons que le temps est venu de faire de même pour la philanthropie dans les arts et la culture. De s’inspirer de l’expérience du RCSE et des nombreux récipiendaires de nos subventions dans le secteur artistique, qui comptent sur le pouvoir de la collaboration. Un réseau de philanthropes des arts et de la culture, de partout au Canada, pourrait fournir des possibilités d’apprentissage mutuel à partir de ce que nous avons appris dans nos propres communautés, et contrer l’isolement auquel nous sommes confinés en tant que petit groupe dans un vaste pays. Nous pourrions former une communauté d’échange de pratiques, mobiliser nos ressources, contribuer aux plaidoyers et au dialogue entourant les politiques, et faire connaître nos interventions stratégiques.

Nous croyons qu’au Canada la philanthropie privée présente un énorme potentiel non encore exploité, qui peut répondre à certains des enjeux urgents et complexes de notre temps (changements climatiques, inégalité de la richesse, impacts de la colonisation et disparités entre les genres), avec imagination et créativité, et avec le sentiment que les possibilités sont illimitées. Les parallèles avec la communauté artistique, pour ce qui est de l’esprit et de l’approche, ne pourraient être plus saisissants. En parlant du théâtre, Ravi Jain a affirmé dans cette série d’articles : « C’est un outil de changement social, une façon de susciter chez les gens des rêves ambitieux pour des mondes meilleurs. »

Imaginez ce qu’un investissement philanthropique mieux coordonné dans les arts et la culture pourrait signifier pour les artistes, les organisations artistiques et la culture canadienne. Serez-vous des nôtres?

 

Reconnaissance : Anne Perdue, rédactrice en chef à la Fondation Metcalf, a été invitée à éditer cette série d’articles.

Références

Réseau canadien des subventionneurs en environnement (RCSE) (2019). Disponible à http://www.cegn.org (accédé le 9 août 2019).

Nestruck, J. K., “Bricks versus arts: An old funding debate re-emerges at the NAC,” The Globe and Mail, 31 août 2019.

Fondations philanthropiques Canada, Portrait des dons des fondations en 2015 (nov. 2017). Disponible à https://pfc.ca/wp-content/uploads/2018/05/fpc-portrait-fondations-2015-dons-nov2017_web.pdf (accédé le 9 août 2019).

Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance (2019), Catalyseur du changement : une feuille de route pour un secteur de la bienfaisance plus robuste. Disponible à https://sencanada.ca/fr/info-page/parl-42-1/cssb-catalyseur-du-changement/ (accédé le 26 juillet 2019)

Villanueva, E., Decolonizing Wealth (2018), première édition, Toronto, Berrett-Koehler Publishers.

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