Dans la culture dénée, la préparation d’un poisson exige une bonne habileté à se servir d’un couteau. Avant de le faire moi-même, j’ai observé quelques fois une aînée qui maniait le couteau. Je n’osais pas essayer, mais elle m’a dit : « Tu dois le faire, c’est le seul moyen d’apprendre. » J’ai été embarrassée lorsque, par erreur, j’ai coupé la vessie du poisson. L’aînée a ri et m’a encouragée à continuer. Ensuite, elle m’a montré à nouveau où placer le couteau pour ne pas transpercer les organes. On peut bien regarder faire une experte un millier de fois, mais, tant qu’on n’a pas essayé soi-même, on ne saura jamais comment manier le couteau en suivant les arêtes du poisson. On apprend et on fait des erreurs, mais on sait que les aînés nous corrigeront et nous encourageront. Les Dénés apprennent et enseignent grâce à une approche pratique, basée sur l’écoute, l’observation et la pratique.
Alors que le Canada fête son 150e anniversaire cette année, plus de 90 fondations ont signé la Déclaration d’action du Cercle sur la philanthropie et les peuples autochtones au Canada, afin de démontrer leur engagement à l’égard de la réconciliation. Les subventionneurs adoptent les valeurs de respect, réciprocité, responsabilité et approfondissement des relations pour améliorer la compréhension et les rapports avec les communautés autochtones. En tant qu’Autochtone travaillant dans le domaine philanthropique, je suis toujours désireuse de voir comment ces valeurs sont mises en pratique. Les dialogues et les engagements en faveur du changement sont une bonne chose, mais ils doivent être suivis par des actions. Des subventionneurs qui souhaitent appuyer la réconciliation me disent qu’ils sont paralysés par l’anxiété et la peur de « mal » faire, ce qui les empêche de passer à l’action.
Il est essentiel de consacrer plus d’argent à la promotion des causes autochtones. Toutefois, même si nous voulons pratiquer le respect et la réciprocité, le paternalisme de la dynamique du pouvoir dans le milieu du subventionnement traditionnel ne facilite pas les véritables relations de réciprocité entre des partenaires égaux. Les organisations autochtones doivent demander de l’argent et les fondations ont le pouvoir d’accepter ou de refuser les demandes. Je veux que nous regardions la vérité en face, au lieu de répéter, pour avoir bonne conscience, que les récipiendaires des subventions sont nos partenaires égaux — les récipiendaires autochtones sont bien conscients que ce ne sont pas eux qui prennent les décisions concernant les ressources dont ils ont tant besoin. Si nous ne pouvons pas reconnaître cette vérité, nous ne pourrons pas apporter les changements nécessaires.
Pour favoriser l’inclusion et améliorer les relations avec les communautés autochtones, nous devons poser un regard critique sur nos propres politiques et processus, et sur la façon dont ces politiques et processus dictent nos relations avec les organisations autochtones. Les collectivités autochtones connaissent de formidables innovations, pourtant, malgré leurs compétences solides et diversifiées, il leur est difficile d’accéder aux ressources. L’apprentissage du réseautage avec les bailleurs de fonds dans le milieu philanthropique et la bonne communication de l’impact des programmes holistiques en nous basant sur des schèmes bien précis — ce ne sont peut-être pas là les moyens les plus efficients et les plus efficaces pour aider les organisations à raconter leur histoire et l’impact de leur travail. Les politiques en matière de demandes et de rapports pourraient être plus inclusives et permettre aux partenaires autochtones de déterminer quelles forces et quels atouts sont utiles à leurs organisations, et quelles méthodes et approches racontent le mieux leurs histoires. L’engagement à soutenir leur autodétermination est une preuve de respect entre nations, et devrait caractériser la réconciliation dans tous les secteurs.
La réconciliation exigera que nous reconnaissions l’autonomie des leaders et des collectivités autochtones dans le milieu de la philanthropie. Afin de favoriser notre parcours collectif vers la réconciliation, les leaders et les communautés autochtones doivent prendre part à la prise de décision concernant les priorités de financement et la gouvernance des processus de subventionnement. Les fonds Northern Manitoba Food, Culture and Community Fund, de Tides Canada, et NWT On the Land Collaborative Fund, permettent aux donateurs de mettre en commun des ressources pour un programme de subventions géré par des conseillers communautaires. Des gens de la collectivité établissent les priorités quant à la façon d’utiliser les fonds et d’octroyer les subventions, et les partenaires bailleurs de fonds sont encouragés à dévoiler leurs capacités en matière d’administration. La philanthropie doit bâtir des relations qui respectent le leadership des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et il faut qu’un plus grand nombre d’Autochtones soient actifs au sein du secteur dans des postes de prise de décision, comme membres du personnel et des C.A., pour que la réconciliation dans le milieu philanthropique soit dirigée par les perspectives des Autochtones et des non-Autochtones.
Nous voulons obtenir de bons ratios impact-investissement de la part de nos partenaires bailleurs de fonds afin de concrétiser nos missions caritatives, mais, en réalité, les organisations autochtones ont besoin d’aide pour simplement exister. Elles doivent recevoir des subventions pour des besoins fondamentaux et d’ordre général. Parce que nous mettons fortement l’accent sur les projets et l’impact, les organisations autochtones sont surchargées, elles doivent mener plus de projets qu’elles ne devraient pour pouvoir accumuler suffisamment de soutien administratif et appuyer le personnel et les opérations. Nous demandons que les collectivités autochtones, à titre de bénévoles, dirigent des initiatives pouvant changer le monde dans le domaine de la justice sociale et environnementale, dans des régions qui sont parmi les plus défavorisées économiquement au Canada. Le subventionnement responsable devrait reconnaître qu’il faut un meilleur équilibre entre le financement de projets et de besoins de base, afin de générer un impact durable. Identifiez des organisations solides, soutenez-les inconditionnellement, et vous verrez s’accomplir de grandes choses. Le soutien aux organismes communautaires dirigés par des leaders de la nouvelle génération dans le Nord canadien, par exemple Qanak, Our Voices et Dene Nahjo, démontre qu’en fournissant un financement sans condition pour un soutien général, on obtient un bon impact communautaire, culturel et environnemental.
La réconciliation ne se fera pas du jour au lendemain, mais la philanthropie doit repousser les frontières et passer à l’action pour que nous puissions réaliser de réels progrès. Nous ferons peut-être des erreurs en cours de route, mais nous devons compter sur la solidité de nos rapports avec nos partenaires autochtones. Si ces rapports sont basés sur la confiance et le respect, nos partenaires nous feront savoir si nous devons nous réorienter. Le dialogue seul ne nous aidera pas quand nous devons retrousser nos manches, nettoyer un poisson, et acquérir l’éducation et l’apprentissage qui ne s’effectuent que par la pratique. Masicho.