Place et Role des Associations au Quebec les Delis de Ia Decennie 90

This article was adapted from a presentation to a convention co-sponsored by CEPAQ (centre pour l’avancement des associations du Quebec). The convention addressed the subject of nonprofit associations in Quebec, France and Belgium and was held in Montreal in May 1991. Proceedings were published in Inter-action in October 1991.

Sans prétendre être exhaustif, mon exposé s’articulera autour de trois grands axes:
1) Quelques remarques sur l’importance quantitative des associations au Québec, les tendances du phénomène associatif et les typologies nécessaires.

2) Quelques observations sur le cadre juridique des associations en voie de mutation au Québec.

3) Enfin, une présentation de quelques enjeux, voire de quelques défis pour la prochaine décennie.

Un phénomène majeur au Québec
Au 19 avril 1991, selon le Bureau du Fichier central des entreprisesl, il y avait plus de 50 600 associations actives dotées de la personnalité juridique.

Depuis 1867, le Québec a adopté dix-huit lois d’intérêt général concernant la constitution d’associations personnifiées, mais 30 916 associations encore actives ont obtenu leur personnalité juridique en vertu de la seule Loi sur les compagnies, partie III2. Malgré la popularité de cette loi, certaines lois restent significatives quant au nombre d’associations constituées sous leur régimes: la Loi sur les clubs de récréation (1291 associations), la Loi sur les syndicats professionnels (1326 associations), la Loi sur les fabriques (3814 associations), la Loi sur les clubs de chasse et de pêche (517 associations)3

3205 associations actives furent constituées au fédéral; de ce nombre, les deux tier environ ont été constituées en vertu de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes4.
Enfin un certain nombre d’associations toujours bien vivantes (environ 2300) ont pu obtenir leur personnalité juridique en vertu de lois d’intérêt privé ou de lois dites mixtes.

En plus des associations personnifiées, il faut compter aussi les associations de fait, non dotées de la personnalité juridique, mail il n’existe pas de chiffres précis à leur sujet: si près de 2000 ont enregistré leur nom devant le protonotaire en Cour supérieure, elles ne représentent pas toute la réalité des associations non personnifiées. Dans un livre paru en 19855, Michel Filion soutenait qu’il y avait presqu’autant d’associations non personnifiées que d’associations personnifiées au Québec. Peut-on parler alors d’un total de 80 000, de 100 000 (associations personnifiées et non personnifiées confondues)? En tout état de cause, il s’agit d’un phénomène important quantitivement comparable à ce que l’on retrouve en France si on tient compte que la population québécoise est dix fois moins nombreuse que la population française.

Selon l’ouvrage de Simon Langlois et de ses collaborateurs, La société québé­coise en tendances 1960-19906, la vie associative a connu un fort développement au Québec durant les années 1970 et 1980: le nombre des associations a augmenté fortement pendant dix ans jusqu’en 1983 et il a plafonné par la suite avant de redescendre quelque peu. (Les derniers chiffres laissent cependant paraître une reprise réelle).

Avant cette période 1960-1990, les associations sans but lucratif existaient au Québec et furent fortement marquées par l’influence de l’Église: elles se situaient pour beaucoup d’entre elles, surtout pour les associations de charité, d’entraide, les associations éducatives et culturelles, dans le giron des commu­nautés religieuses et de l’Action catholique.

Au Québec, comme partout ailleurs, le terme “association” recouvre des réalités assez différentes les unes des autres. Quelques essais de typologie, de classification, ont tenté, ces dernières années, de mettre un peu d’ordre pour
éviter de tout confondre: le comité de citoyens d’un quartier populaire de Montréal et le Conseil du patronat.

Roger Levasseur, sociologue à l’Université du Québec à Trois-Rivières7, a proposé de distinguer les associations selon qu’elles participent de la société civile ou de la société politique. Phénomène de la société civile, de cette sphère des relations sociales qui se tissent entre les individus et les groupes indépendamment des pouvoirs institutionnels, Levasseur identifie les associa­ tions orientées vers la promotion individuelle (c’est à dire les associations expressives, qui permettent aux individus d’exercer une activité de leur choix, ou des associations d’intérêt visant la promotion et la défense des intérêts particuliers des membres qu’elles regroupent) et les associations orientées vers la promotion collective (c’est à dire les associations communautaires, exprim­ant l’appartenance à une communauté ou à une collectivité et les associations d’action sociale vouées au changement des conditions sociales). Comme phénomène de la société politique, Levasseur propose quatre catégories selon le degré de pénétration de 1 ‘État dans 1’association: 1’association complètement volontaire, l’association partenaire, l’association mixte, l’association démembrée.

Compte tenu des contraintes imposées par le fichier administratif gouvernemental d’où proviennent les données, Simon Langlois8 propose de classer les associations comme étant sportives (clubs sportifs), religieuses, politiques (partis politiques, ligues de citoyens, groupes populaires), selon qu’elles tissent ou réflètent des liens sociaux et communautaires (clubs sociaux, organisations civiques et amicales), qu’elles soient de loisir social et culturel (clubs communautaires, scouts, festivals…), d’action sociale (com­ptoirs pour infortunés, associations pour la promotion de la santé, fondations privées), linguistiques et nationales, de parents et étudiants, de propriétaires et locataires, de gens d’affaires (chambres de commerce, associations de gens d’affaires) ou encore de promotion d’intérêt (associations professionelles, syndicats).

Selon Langlois, les différents types d’associations ne se sont pas développés au même rythme. Durant les années 1970, les associations qui ont connu la plus forte croissance sont celles qui ont pour objet l’établissement de liens sociaux et communautaires suivies des associations de loisir social et culturel. Après 1980, la tendance change; le nombre de nouvelles associations de loisir a augmenté de façon très marquée mais les associations exprimant la sociabilitée (liens sociaux et communautaires) ainsi que les associations sportives sont à la baisse tandis qu’il y a une augmentation du nombre de nouvelles associations orientée vers la promotion des intérêts ou impliquées dans 1 ‘action sociale ou politique. On constate aussi une nette régression des associations religiuses.

D’après Langlois, “il semble exister une opposition entre les associations portant sur les liens sociaux et communautaires-groupe le plus nombreux-et les autres associations.9 Lorsque les associations ayant pour objet la socia­bilité au sens large augmentent, celles qui s’occupent de loisir et de la promo­ tion d’intérêts stagnent et vice versa. Langlois constate aussi, sur toute la période observée, que “le nombre des associations actives a augmenté plus vite que le nombre de nouvelles associations, ce qui semble indiquer un regain de la vie associative.10

Une autre typologie intéressante est celle proposée par Roméo Malenfant11, et inspirée de Gassier. Sur un continuum des organisations partant des gouvernements pour aller jusqu’à 1 ‘entreprise à but lucratif, il place, d’une part, les associations sans but lucratif à caractère charitable (au sens large du terme: soulagement de la pauvreté, promotion de la religion, promotion de l’édu­cation) et d’autre part, les associations d’affaires, incluant les corporations professionnelles. Cette distinction, présente en quelque sorte dans les autres typologies mais de façon moins marquée, est éclairante. Si les premières associations (à caractère charitable) sont l’expression de 1’entraide, de la sociabilité, de la prise en main par les citoyens de leur propre vie, de leurs activités quotidiennes, les secondes (associations d’affaires, corporations pro­ fessionnelles) réflètent plutôt une sorte de corporatisme social.

Durant les années 1960 à 1990, on a assisté au Québec à l’institutionnalisation des pressions politiques. Beaucoup de groupes de pression sont issus des mouvements sociaux mais se sont institutionnalisés pour être entendus de l’État. Pour Clinton Archibald12, il y a eu, au Québec, une montée du corporatisme social comme modèle d’aménagement socio-politique en particulier. (“Dans une acception élargie, le corporatisme a encadré la défense des intérêts des groupes, qui vont des associations économiques régionales aux corporations professionnelles en passant par des lobbys constitués autour d’enjeux plus spécifiques(…) et par les syndicats dans un champ précis de leur action.1 3”)

Néanmoins, malgré les différences que les divers essais de typologie ont fait ressortir, les associations québécoises ont des traits communs: elles sont sans but lucratif, jouissent ou subissent un encadrement juridique similaire (malgré les différences des lois constitutives), ont une organisation semblable (assem­blée générale, conseil d’administration …), dont plusiers éléments sont impo­sées par la loi dans 1 ‘état actuel du droit, et un management qui leur est particulier. C’est cette série de dénominateurs communs qui fait en sorte que des gestionnaires d’associations de tous les types se retrouvent au sein d’un organisme comme le CEPAQ qui vise l’avancement et l’amélioration de la gestion des associations québécoises.

Un encadrement juridique en voie de mutation
Dans la décennie 1990, les associations québécoises cônnaîtront une période de mutation et de changement au plan juridique. Le nouveau Code civil reconnaîtrait comme telle contrat d’association, une nouvelle loi des associa­tions14 simplifierait le droit actuel en dotant les associations d’un droit qui leur soit propre reposant notamment sur la liberté contractuelle. On prévoit donc sortir du cadre juridique de la troisième partie de la Loi sur les compagnies, qui n’est actuellement qu’un droit d’exception d’un droit élaboré avant tout pour les entreprises à but lucratif, à capital-actions, et non pour réfléter les caractéristiques propres à l’association.

On note aussi, ces derniers temps, une volonté de mieux contrôler la levée publique de fonds, d’assurer une plus grande transparence pour protéger le pulbic. C’est ce qui expliquerait certaines dispositions dans le projet de nou­ veau Code civil concernant le contrat d’association.

Enfin-l’exemple est significatif-la nouvelle Loi sur la santé et les services sociaux reconnaît spécificiquement le rôle des associations, des organismes communautaires qui interviennent dans le champ sanitaire et social, mais cette reconnaissance soulève quand même des inquiétudes dans les associations. Si on se réjouit de cette reconnaissance des organismes communautaires, on craint leur institutionnalisation progressive et, à moyen terme, la main mise progres­sive de l’État (ce qui s’est passé, dans les années 70, avec la création des CLSC). Dans la Réforme du ministre Côté, les associations de ce secteur devront participer à la planification des services, recevoir leurs subventions de régies régionales qui ont la responsabilité de la coordination des services. Tout cela est certes intéressant mais, en même temps, on craint que 1’aspect médical prenne le dessus, que les groupes communautaires soient obligés (pour avoir leurs subventions) de se plier aux mesures technocratiques et bureaucratiques et à des logiques qui ne sont pas les leurs.

Cette dernière réflexion m’amène à exposer quelques enjeux et défis pour les prochaines années.

Des enjeux et des défis prioritaires
1) Les années 1990 seront-elles celles d’une véritable reconnaissance du phénomène associatif par des politiques appropriées, par un encadrement juridique adapté?

Les associations pourront-elles augmenter leur poids politique? Pour ce qu’elles sont réellement et non seulement dans la mesure où elles servent les intérêts de 1 ‘État ou de groupes particuliers! Lorsque j’affirme cela, je ne me réfère donc pas au rôle de lobby des associations d’intérêt ou à ce qu’on qualifie de corporatisme social; je pense plutôt aux associations charitables, d’entraide, culturelles qui sont, pour reprendre 1 ‘expression de Jacques Grand maison, des “laboratoires d’expérimentation sociale” ou des entreprises particulières de l’économie sociale fonctionnant selon des règles démocratiques tout en con­tribuant au développement économique et à la création de 1’emploi.

Avec la crise économique actuelle, avec le désengagement de 1 ‘État, les associations, les groupes communautaires reprennent de la faveur, mais Claude Julien, directeur du Monde Diplomatique, rappelait récemment: “Si précieuse que soit l’action de ces dizaines de milliers d’associations, leurs responsables savent bien qu’ils jouent les pompiers du système. Leur intervention quoti­dienne permet d’éviter le pire, rend moins insupportable le sort des plus démunis. Mais elle ne peut atteindre sa pleine efficacité que dans la mesure où, fondée sur une analyse concrète des besoins sociaux, elle s’accompagne d’une forte capacité de dénonciation et de proposition.15 Il faut donc une révision politique, juridique qui permette cette nécessaire capacité de dénonciation et de proposition tout en faisant les distinctions quis ‘imposent compte tenu des divers types d’associations.

2) Un deuxième enjeu pour permettre aux associations d’occuper la place qui leur revient est celui du financement. La crise des finances publiques a de sérieuses répercussions sur plusieurs associations qui ne peuvent plus compter sur les gouvernements pour assurer leur financement. On assiste, depuis quelques années, à une forte croissance du nombre de fondations privées, de levées publiques de fonds. Avec le taux d’imposition actuel, les Québécois peuvent-ils contribuer encore davantage en dons, en libéralités de toutes sortes? Sûrement un peu, mais il y a des limites. Comment alors régler le problème du financement des associations? Les associations pourraient-elles avoir accès à une sorte de capital social, de capital de risque sans perdre pour autant leur identité, leur nature spécifique?

3) La formation des gestionnaires (bénévoles comme permanents) constitue le troisième enjeu. Les associations sont des entreprises qui doivent être bien gérées. Elles peuvent avantageusement s’inspirer des méthodes de manage­ ment des sociétés commerciales, des entreprises à but lucratif, sans oublier toutefois qu’elles sont des entreprises différentes qui impliquent un manage­ ment différent, à caractère participatif dont peuvent s’inspirer aussi, à leur tour, les entreprises à but lucratif. Il y a là tout un secteur de recherche et d’expéri­mentation. C’est un défi de taille que celui de la gestion efficace et pro­fessionnelle, dans le respect du projet social, du projet associatif!

Je le répète, je suis loin d’être exhaustif dans mon énumération des enjeux ou des défis, mais ceux de la reconnaissance politique et juridique, du finance­ ment, de la gestion me semblent les trois défis de 1’heure que doivent relever les associations québécoises. Le reste du colloque devrait permettre l’identification d’autres enjeux ainsi que des diverses avenues pour favoriser le développement de la vie associative au Québec.

REFERENCES

1. Le présent texte actualise les chiffres énoncés lors du Colloque de mars 91. Les plus récentes données sont tirées d’un document produit par la Direction de la recherche (Service des associations et des entreprises) au bureau de l’Inspecteur général des institutions financières du Québec. Ce document a pour titre: Évolution historico- législative et portrait statistique des associations personnifiées au Québec. Il a été présenté en mai dernier lors de la Journée d’étude sur l’évolution du droit associatif au Québec tenue à l’UQAM avec la collaboration de la Chaire Seagram sur les organismes sans but lucratif.
2. Loi sur les compagnies, L.R.Q., c. C-38.
3. Loi sur les clubs de récréation, L.R.Q., c. C-23; Loi sur les syndicats professionnels, L.R.Q., c. S-35; Loi sur les fabriques, L.R.Q., c. F-1; Loi sur les clubs de chasse et de pêche, L.R.Q., c. C-22.
4. Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C., 1970, c. C-32.
5. Michel Filion, Droit des associations, Cowansville: Ed. Yvon Blais inc., 1986.
6. Simon Langlois et coll., La Société québécoise en tendances 1960-1990, Québec, Institut québécoise de recherche sur la culture, 1990, 667 p. Consulter le chapitre 2.5 institulé La vie associative, rédigé par Simon Langlois, pp. 105-106.
7. Roger Levasseur, Le phénomène associatif, Les Cahiers de l’animation, Paris, I.N.E.P.,
1983, no 39, pp. 33 à 40.
8. Simon Langlois, op. cit., p. 105.
9. Ibid., p. 106.
10. Ibid.
11. Roméo Malenfant, Typologie des associations, in Le contexte associatif, Inter-Action, numéro spécial, janvier 1990, pp. 3-1 O.
12. Clinton Archibald, Un Québec corporatiste? Corporatisme et néo-corporatisme; du passage d’une idéologie corporatiste sociale à une idéologie corporatiste politique: le Québec de 1930 à nos jours, Hull, Éditions, Asti cou, 1984, 429 p.
13. Simon Langlois et coll., op. cit., chapitre 10.4 Groupes d’intérêt, rédigé par Guy Fréchet, p. 395.
14. Jean-Marie Bouchard dans le numéro spécial d’Inter-Action d’octobre 1991 à la page 9.
15. Monde Diplomatique, juin 1990.

LOUIS JOLIN
Professeur au départment d’études urbaines et touristiques de l’Université de Québec à Montréal

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