Quand un groupe de résidents du Comté du Prince-Édouard ont décidé de constituer une fondation communautaire pour une région pastorale-rurale d’une île de l’est ontarien, en 2008, il n’a pas d’abord créé un fonds de dotation (habituelle façon de faire), mais uniquement un concept… et s’est croisé les doigts. La région comptait quelques petites municipalités et un centre urbain, Picton, mais est surtout agricole, bien que de nombreux Torontois bien nantis aient acheté des propriétés dans « le comté » ces dernières années.
Brian Beiles, président de The County Foundation, se rappelle que les fondateurs avaient parlé de cette idée à de riches familles de propriétaires agricoles depuis longtemps établies dans la région. Pourtant l’organisme a dû se débrouiller avec un bien mince actif pendant environ cinq ans, jusqu’à la publication de son premier rapport Signes vitaux en 2013. Ce rapport, dit Brian, a suscité « de vives réactions » parce qu’il exposait des problèmes sociaux vécus dans le comté : transport local inadéquat, pas d’école secondaire et, ce qui en a choqué un grand nombre, insécurité alimentaire. Un rapport de suivi publié en 2018 a aussi relevé la diminution inquiétante de logements abordables dans le comté, alors que beaucoup d’unités de location de longue durée avaient été transformées en hébergements Airbnb pour accueillir les touristes affluant vers les vignobles, les brasseries et les pistes cyclables du comté.
Les rapports ont tiré la sonnette d’alarme tant pour les résidents du comté que pour les nouveaux arrivants de la région de Toronto. « Signes vitaux leur a fait connaître une réalité du Comté du Prince-Édouard qu’ils ne connaissaient pas », commente Cindy Lindsay, directrice de l’apprentissage à Fondations communautaires du Canada.
The County Foundation possède maintenant 4 millions de dollars d’actifs, dont une grande partie a été recueillie ces trois dernières années, mentionne Brian, président du CA. La fondation a pu obtenir un appui pour deux projets de logements abordables, un projet pilote de transport et d’autres investissements communautaires. Ainsi que l’affirme Cindy, « ses efforts ont porté fruit ».
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À bien des égards, l’expression « philanthropie rurale » n’est qu’un raccourci pour décrire des conventions et des normes sociales fondamentales qui ont longtemps caractérisé de petites collectivités parfois isolées au Canada, dont le Comté du Prince-Édouard. Depuis des générations, des clubs philanthropiques, des groupes religieux et des particuliers ont trouvé des moyens de s’unir pour s’entraider et surtout venir en aide aux voisins qui passent par une période difficile. Comme le dit Brian, ses voisins n’hésitent pas à passer le chapeau pour une famille dont un enfant malade a besoin de traitements coûteux, ou à donner un coup de main pour retaper une salle de réunion locale. Les gens de cette région « sont extrêmement généreux, tant par l’offrande de dons que par le soutien des causes communautaires ».
C’est une situation typique, selon ce que confirment les statistiques. En 2013, par exemple, l’Université Memorial a mené une étude sur les dons dans le Canada Atlantique, et a constaté que la proportion des habitants de la région qui font des dons de bienfaisance est plus élevée que la moyenne nationale (88 % comparativement à 84 %). Bien que la moyenne des dons annuels représente un montant inférieur à la moyenne nationale (375 $ comparativement à 446 $ en 2010), les Canadiens de l’Atlantique étaient plus susceptibles de faire du bénévolat dans leur communauté et ils consacraient plus de temps à ces activités chaque année.
Quoique ces habitudes soient solidement ancrées, on observe de plus en plus une transformation de la philanthropie dans le Canada rural, et ce n’est pas toujours d’une façon positive. En certains endroits, les activités caritatives ont été érodées en raison du déclin démographique, de la baisse d’adhésion aux organismes traditionnels de prestation de services, et des changements dans la façon de donner — alors que bien souvent les besoins augmentent à cause des compressions gouvernementales et de la population vieillissante des collectivités rurales et éloignées. Cindy Lindsay ajoute que les stéréotypes concernant le Canada rural — que les petites communautés sont composées de gens âgés, blancs et près de rendre l’âme — n’ont pas aidé les choses. « Nous reconnaissons qu’il y a des difficultés, mais il s’accomplit un travail très important et intéressant dans le Canada rural. »
Beaucoup de régions rurales sont desservies par quelques organismes de bienfaisance seulement, sinon par aucun, et on constate de plus en plus que ces régions ne peuvent pas compter sur d’importants fonds philanthropiques. Par exemple, une étude menée en 2008 par l’Agence du revenu du Canada (ARC) a révélé que, en Ontario, les résidents ruraux représentaient 13 % de la population, mais que seulement 4 % des fonds caritatifs de la province étaient affectés aux régions rurales. « Le secteur rural profite d’un bon niveau d’activités communautaires, mais elles sont presque exclusivement menées par de très petits organismes », ont remarqué les auteurs, en précisant que la plupart des organismes de bienfaisance comptent entièrement sur des bénévoles.
Cette dynamique est toutefois bien différente selon la situation géographique. Certaines collectivités rurales situées en périphérie d’une grande zone métropolitaine ont accueilli un grand nombre de nouveaux résidents, tandis qu’augmentaient la richesse et les activités philanthropiques, comme ce fut le cas à Picton. Par ailleurs, dans des collectivités plus éloignées, surtout dans le nord, on fait face à d’autres difficultés.
Ryan Gibson, géographe et professeur de la Chaire Libro pour le développement économique régional à l’Université de Guelph, souligne que le quart de toutes les fondations communautaires canadiennes sont situées dans de petites collectivités du Manitoba, le legs d’un comptable de Brandon (MB) qui voulait renforcer les capacités communautaires à la fin des années 1980 et dans les années 1990, et qui a fourni des fonds d’amorçage pour de nombreuses fondations communautaires desservant des régions agricoles du sud de la province.
De même, dans les années 1990, une fondation communautaire de la Nouvelle-Écosse a commencé à donner de petites subventions ciblées dans des communautés isolées, en mettant l’accent sur le leadership jeunesse et sur des initiatives d’innovation rurales. « Ce que nous avons surtout appris de cette expérience, c’est que de petites subventions octroyées aux bonnes personnes peuvent beaucoup améliorer les choses », déclare l’écrivain et musicien Arthur Bull, de Digby Neck, qui est le président de la Rural Communities Foundation of Nova Scotia.
En d’autres secteurs, comme dans le nord de la Colombie-Britannique, de tels organismes se font rares, même si, depuis quelques années, ils peuvent bénéficier de subventions de contrepartie offertes par un organisme provincial pour la phase de démarrage. « Beaucoup de ces fondations communautaires manquent de capacités », dit Joel McKay, PDG du Northern Development Initiative Trust, de Prince George. « Dans une communauté de 500 personnes, peu possèdent l’expérience nécessaire pour gérer une telle initiative. »
Qui plus est, certains résidents ruraux, tout comme la population urbaine, s’intéressent depuis quelques années à de nouvelles façons de donner, ce qui signifie que les canaux traditionnels d’attribution des fonds philanthropiques peuvent avoir changé. Ashleigh Weeden, une candidate au doctorat à l’Université de Guelph qui étudie l’innovation rurale, se souvient d’une initiative locale à laquelle elle a participé alors qu’elle demeurait à Tobermory (ON). Inspirés par la Awesome Foundation, Ashleigh et neuf de ses amis ont chacun cotisé 100 $ pour offrir une bourse de 1000 $ à qui présenterait le meilleur projet lors d’une soirée de concours. Le groupe gagnant proposait un service de sauvetage des chats sauvages. « On a eu beaucoup de plaisir », ajoute Ashleigh, en mentionnant que les Clubs Lions ou les Clubs Optimistes devraient explorer de telles stratégies, surtout pour mobiliser les jeunes.
Ce qui est intéressant dans cette anecdote, c’est que l’argent pour le projet de sauvetage des chats sauvages, offert par des résidents locaux inspirés par une plateforme internationale de philanthropie en ligne, est resté dans cette collectivité. En réalité, dans le monde de la philanthropie rurale, comme le souligne entre autres Ashleigh, le sentiment d’appartenance est crucial, parce que les dons restent dans la collectivité au lieu d’être détournés vers d’autres initiatives, si louables soient-elles. « Ce n’est pas nécessairement l’argent qui compte, mais la façon de l’utiliser et les rapports entre les personnes impliquées, précise Ashleigh. L’appartenance, c’est vraiment important. »
Ce point de vue a orienté l’extension très récente du modèle de philanthropie communautaire en Alberta. La fondation communautaire de Medicine Hat a été créée en 1992 et a graduellement accru la portée de ses subventions pour englober une grande partie du sud-est albertain. En fait, la fondation s’est éventuellement donné un nouveau nom : la Community Foundation of South Eastern Alberta (CFSEA).
Malgré sa portée élargie et sa nouvelle dénomination, les relations de la fondation avec les régions rurales étaient « très inégalitaires », remarque Chris Christie, sa directrice générale. La fondation finançait beaucoup de projets ruraux mais, en contrepartie, ne recevait pas beaucoup de dons pour son fonds de dotation, qui gère en ce moment des actifs de 13 millions de dollars.
Lorsque Chris s’est jointe au groupe, il y a deux ans, elle a décidé de découvrir les raisons de cette lacune, qui laissait supposer comment les résidents ruraux considéraient un organisme semblant davantage ancré dans le grand centre urbain de Medicine Hat. Une recherche préliminaire a confirmé la source du problème. « Les gens veulent faire des dons pour leur communauté », dit-elle.
Afin de surmonter ce clivage, la CFSEA a entrepris un plan de décentralisation de ses activités en exportant le modèle de fondation communautaire dans les régions rurales. Chris et son équipe ont établi trois fonds ruraux pour les régions comptant beaucoup de familles de fermiers et d’éleveurs dont une bonne partie se préoccupaient du transfert intergénérationnel de la richesse.
Chris a téléphoné à des leaders communautaires pour demander des bénévoles qui siégeraient aux conseils consultatifs de ces nouveaux fonds. « Lorsque chaque fonds rural aura recueilli 10 000 $, leur a-t-elle expliqué, le CA [de la CFSEA] égalera ce montant en ajoutant au fonds un autre montant de 10 000 $. Le CA allouera également un montant de 10 000 $ à chaque fonds rural, pour offrir des subventions. »
Une grande partie du travail préliminaire a été consacrée à l’éducation des résidents ruraux concernant les fondations communautaires et la collaboration avec des organismes consultatifs locaux afin d’identifier les besoins. La réponse, poursuit Chris, n’avait rien de surprenant : beaucoup de petites communautés manquaient de commodités telles que des services de garde et de transport, et de fonds pour entretenir des installations récréatives et culturelles. « Dans beaucoup de ces communautés, les salles communautaires ont besoin de rénovations pour respecter la réglementation et être accessibles, dit-elle. Ce sont des centres névralgiques de la vie communautaire. »
La CFSEA, par l’entremise de ses trois fonds ruraux, a aussi commencé à renforcer les capacités locales, en embauchant pour chacune des trois régions des administrateurs à temps partiel qui gèrent les demandes de subvention et recrutent des gens pour siéger au CA et aux comités consultatifs.
À certains égards, le programme ambitieux de la CFSEA ressemble aux campagnes menées par des champions des fondations communautaires dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse, du sud du Manitoba et de l’intérieur de la Colombie-Britannique. Quelques-unes de ces initiatives ont été fructueuses, d’autres non. Toutefois, Chris est optimiste, surtout au sujet du modèle hybride de la CFSEA, qui implique la décentralisation des processus de collecte de fonds et de subventionnement vers les trois groupes ruraux, tout en fournissant un soutien administratif à partir de Medicine Hat. « Nous venons tout juste de commencer, ajoute-t-elle. Le lancement des fonds ruraux a suscité des donateurs que nous n’avions pas considérés. »
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Dans beaucoup de collectivités rurales, des barrières structurelles ont longtemps défini ou limité la façon dont opère la philanthropie. La faiblesse de la densité et du bassin de population a changé le bénévolat traditionnel. En périphérie des grands centres urbains, certains résidents ruraux qui ont de longs trajets à faire pour se rendre en ville n’ont peut-être pas le temps de s’engager dans des collectes de fonds et des causes caritatives locales, contrairement aux cohortes précédentes. « La distance est un facteur constant, observe Arthur Bull, dont vous devez toujours tenir compte dans le domaine de la philanthropie rurale. »
Mais ce qui peut contribuer de façon subtile à abattre ces obstacles, c’est une plus grande prise de conscience, dans certaines régions, que les activités philanthropiques ciblées représentent non seulement un bien pour la société, mais un des outils de développement économique local. Arthur souligne que des régions rurales de la Nouvelle-Écosse sont lourdement dépendantes de la pêche au homard, une industrie de 1 milliard de dollars qui compte surtout de petites entreprises exploitées par leur propriétaire, et dont la prospérité est étroitement liée à la gestion environnementale et au développement des ressources humaines dans une région ayant vécu l’exode de bon nombre de jeunes au profit des villes. « Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte », explique Arthur.
Le travail consiste en partie à trouver des moyens pour que le capital reste dans les régions rurales. Selon Ashleigh Weeden, en cette ère de services bancaires intégrés, les gens qui s’éloignent d’une petite localité après y avoir résidé longtemps peuvent être portés à continuer de soutenir la caisse populaire locale, et ce lien fait en sorte que leurs dépôts demeurent disponibles pour des prêts commerciaux dans la localité. De telles décisions « misent sur le sentiment d’appartenance à une communauté ».
En d’autres cas, on investit dans l’infracture sociale locale à des fins économiques et philanthropiques. Brian Beiles mentionne que la flambée immobilière et la perte de logements abordables en faveur d’Airbnb fait en sorte qu’il est plus difficile pour les jeunes familles de s’installer dans le Comté du Prince-Édouard, même si des emplois les attirent dans la région. Les investissements de The County Foundation dans des logements abordables visaient autant la venue de nouveaux résidents que l’offre de logements abordables pour les personnes dans le besoin.
On constate également que les fondations communautaires s’impliquent plus directement dans des initiatives de développement économique local, ce qu’elles avaient tendance à éviter dans le passé parce que ces initiatives ne sont pas considérées comme des activités caritatives dans le sens juridique du terme.
Cindy Lindsay estime que ces fondations ont l’occasion d’investir de façon créative pour s’adapter à l’évolution des régions rurales, par exemple en aidant à financer des obligations communautaires ou les espaces de travail partagé qui surgissent dans beaucoup de petites localités, et qui constituent des plateformes pour des start-ups et des entreprises locales. Pour sa part, une petite collectivité à l’est de Peterborough (ON), la Campbellford/Seymour Community Foundation, a décidé de recourir aux prêts et aux obligations communautaires pour restaurer un théâtre local — un investissement qui améliore non seulement la vie culturelle locale, mais qui attire des amateurs de théâtre provenant de l’extérieur.
Le véritable défi, dit Cindy, est légal : les fondations communautaires doivent uniquement octroyer des subventions à des donataires reconnus. Dans certaines collectivités rurales, ces organismes peuvent être peu nombreux et éloignés, bien que l’ARC inclue les municipalités et les commissions scolaires dans la liste des bénéficiaires admissibles. « Il y a une certaine frustration lorsqu’il faut limiter le subventionnement. » Mais en certains endroits, des partenariats officiels avec des organismes municipaux ont permis aux fondations communautaires d’investir dans de nouvelles opportunités avec des entreprises sociales et des initiatives de développement économique.
Certains organismes de bienfaisance ruraux associent de plus en plus les impératifs du développement économique aux objectifs environnementaux. Zachary Melanson, directeur des communications à Community Forests International (CFI), un OSBL de Sackville (NB), souligne les synergies entre la réduction des changements climatiques, le développement économique local et les changements de propriétaires fonciers en milieu rural. L’organisme utilise des fonds recueillis via les subventions liées aux crédits de carbone et d’autres sources pour acquérir des terres boisées appartenant depuis longtemps aux mêmes propriétaires. Melanson mentionne qu’au Nouveau-Brunswick on autorise les coupes à blanc, et c’est pourquoi de telles terres boisées se retrouvent entre les mains de grandes compagnies forestières pour être complètement rasées. (CFI est également actif en Afrique.)
Afin d’éviter un tel scénario, CFI acquiert des propriétés foncières (l’organisme possède maintenant environ 1000 acres) et emploie des pratiques d’abattage durables. En vendant le bois aux moulins locaux ou à des acheteurs européens, CFI crée des emplois et contribue à l’activité économique tout en assignant une valeur réelle de marché à des services écologiques, comme des forêts. Bien que le groupe ait dû affronter une forte opposition au départ, Zachary souligne qu’il a pu faire avancer les choses pour une meilleure gestion des forêts, en permettant aux résidents locaux de choisir ce qu’il adviendrait de leurs terres après qu’ils auraient pris la décision de les vendre. « Dès que vous commencez à abattre le bois de façon plus durable, toute l’empreinte écologique change. » Et il ajoute qu’il y beaucoup plus de forêts privées dans la province qui pourraient adopter ce modèle.
CFI n’est qu’un exemple d’une viabilité accrue des entreprises sociales et d’autres collaborations de développement économique. Les coopératives (grossistes, supermarchés, quincailleries, et même distributeurs œuvrant dans les industries pétrolière et gazière) sont depuis longtemps un moteur dans beaucoup de collectivités rurales et nordiques, bon nombre étant gérées par des Autochtones. À elle seule, la Federated Co-operatives Limited (FCL) compte 180 coopératives indépendantes au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique — ce sont 1500 commerces au détail qui emploient 24 000 personnes. (FCL a un chiffre d’affaires annuel de 10 milliards de dollars, exploite une raffinerie et a généré des profits de 1,1 milliard de dollars en 2018.)
Mais en 2014, FCL a embauché des chercheurs de l’Université de la Saskatchewan pour mener une vaste étude de faisabilité afin d’examiner comment le secteur coopératif pourrait prendre de l’expansion. Dan Matthews, directeur des nouvelles activités commerciales et des communications pour Co-operatives First à Saskatoon, dit qu’il en a résulté des investissements de 5 millions de dollars sur cinq ans en vue de mettre sur pied un ensemble de services de développement d’entreprises et de gouvernance pour les collectivités rurales et autochtones désirant lancer une coopérative. Le groupe fournit des ressources pour l’élaboration d’un plan d’affaires et de gouvernance, et présente des ateliers sur la façon d’obtenir les approbations gouvernementales.
« Ce qui constitue une “œuvre philanthropique” dans ce cas-ci (et qui en est, à mon avis, une version unique et admirable), dit Dan, c’est que les coopératives ont investi dans des collectivités rurales et autochtones de l’Ouest canadien en fournissant un financement pour un développement économique et commercial axé entièrement sur ces collectivités. La mission de ces coopératives n’est pas philanthropique. Leur mission est de gagner de l’argent pour leurs membres. Ce qui est philanthropique, selon moi, c’est la façon de s’entraider et de se soutenir mutuellement. »
Au Canada Atlantique, un programme un peu semblable, associant développement économique et philanthropie, est mis en place dans certaines communautés des Premières Nations. La Ulnooweg Indigenous Communities Foundation, qui est née dans la foulée d’un groupe fondé en 1986 en vue de financer et développer des entreprises autochtones, aide les conseils de bande à obtenir le statut de donataire reconnu afin que leurs membres puissent recueillir des fonds et opérer des entreprises sociales. Selon Richard Bridge, conseiller juridique de la fondation, la stratégie a suscité la curiosité dans d’autres régions rurales. « Nous recevons des demandes de partout au pays de la part d’autres personnes intéressées par cette [approche]. »
Quoique la plupart des conseils de bande de la région se préparent à ce processus, peu l’ont mené à bonne fin. Richard cite en exemple la Abegweit First Nation Conservation Society (AFNCS), du nord-est de l’île du Prince-Édouard. Dans le passé, les membres de la communauté avaient joué un grand rôle dans un effort bénévole afin de préserver les stocks de saumons qui s’épuisaient dans le secteur. Mais ces trois dernières années, grâce à un projet mené avec la fondation et qui a obtenu un financement, la AFNCS a mis sur pied un laboratoire d’alevinage, un plan d’aménagement des bassins versants, et un programme éducatif pour les enfants de la localité.
En obtenant son statut de bienfaisance, dit le conseiller juridique, la AFNCS peut avoir accès à des sources de financement autres que les Premières Nations, et s’associer à un travail philanthropique plus vaste, particulièrement à des personnes et à des organismes qui s’intéressent à la conservation. « C’est un modèle qui pourrait servir d’exemple », ajoute-t-il.
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De telles histoires fournissent des preuves convaincantes d’innovation dans le monde de la philanthropie rurale au Canada — un espace qui a souvent été négligé ou même caricaturé, et pas seulement dans les médias, mais aussi dans les cercles philanthropiques conventionnels.
Ces histoires mettent aussi en relief le rôle important que peuvent jouer les fondations communautaires rurales en investissant pour le bien-être des régions rurales et éloignées au Canada. De telles activités peuvent en retour attirer de nouveaux donateurs, tant de l’intérieur que de l’extérieur de ces régions. En fait, l’éventualité d’une base plus diversifiée de financement pour ces organisations peut être un moyen de combler le fossé entre le Canada urbain et rural.
« La conversation entourant les régions urbaines et rurales a été unidirectionnelle », observe Ryan Gibson, le géographe de Guelph, en énumérant les stéréotypes concernant l’étiolement des collectivités et l’échec de leurs plans de développement économique. Comme il l’atteste lui-même, et comme l’attestent d’autres personnes, la réalité sur le terrain est que beaucoup de particuliers et de groupes locaux, dans les régions rurales et éloignées, expérimentent activement de nouvelles approches. Ce qui illustre le mieux, peut-être, cette situation, c’est l’émergence de stratégies communautaires classiques pour tisser des liens entre la philanthropie traditionnelle et les activités commerciales ou quasi commerciales.
Comme le dit le géographe, nous avons « une opportunité de changer le dialogue ».