Les organismes à but non lucratif s’attaquent aux grands problèmes : la pauvreté, les inégalités en matière de santé, d’éducation et d’accès au travail, la discrimination sexuelle et raciale, les crises des réfugiés, l’insécurité alimentaire, le développement communautaire, etc. Cependant, un défi transversal exige une contribution à un autre niveau : la crise climatique. Dans cette série, la journaliste Diane Bérard se penche sur les raisons pour lesquelles les organismes à but non lucratif et les groupes de la société civile devraient faire de la transition socioécologique un élément central de leur stratégie, les moyens d’y parvenir et l’aide que peuvent offrir les bailleurs de fonds. Elle s’est entretenue avec sept organismes aux missions très différentes, qui contribuent toutes à la transition à leur manière.
Une transition réussie vers un avenir durable passera, en partie, par des actions individuelles et collectives, modestes et audacieuses, qui prennent en considération les effets à court et à long terme de ces choix. Dans le quatrième profil de la série Mission Transition, nous nous intéressons à Maison Mère, une organisation qui accélère les initiatives des citoyens dans la région de Charlevoix, au Québec, et qui se concentre sur le développement socioéconomique.
Maison Mère (Baie-Saint-Paul, Charlevoix)
Gabrielle LeBlanc, directrice générale
Mission : accélérer les projets locaux présentant des avantages socioéconomiques
Qu’est-ce que Maison Mère?
Gabrielle LeBlanc : Maison Mère est un bâtiment patrimonial situé au cœur de notre ville. Pendant 125 ans, il a accueilli Les Petites Franciscaines de Marie, une congrégation inspirée par la vie de François d’Assise. Le bâtiment fait 16 000 mètres carrés sur un terrain de trois acres. La Ville l’a acheté en 2017. Des mois de travail collaboratif avec des représentants des mondes social, culturel, communautaire, économique, environnemental et politique nous ont permis de déterminer la mission de Maison Mère : créer des possibilités de projets ayant un fort potentiel d’avantages socioéconomiques pour l’environnement.
Quelle est votre définition de la transition socioécologique?
GL : La transition socioécologique se fera par des choix et des actions individuels et collectifs, modestes et audacieux. Nous pouvons tous faire des choix en réfléchissant ou non à leur incidence. Nous tendons vers la transition si nous considérons les effets à court et à long terme de nos actions et de notre comportement. Si nous ne le faisons pas, nous nous éloignons d’un avenir durable.
Comment Maison Mère contribue-t-elle à cette transition?
GL : Nous sommes un terrain de jeu et un accélérateur pour les initiatives citoyennes. Nous donnons aux agents du changement les moyens d’avoir une incidence double : par le biais de leur projet et en influençant d’autres citoyens à s’engager. Pour Maison Mère, l’union fait la force. Et elle donne à la communauté des agents du changement les outils nécessaires pour obtenir des résultats. Cela dit, nous avons circonscrit six thèmes pour les projets que nous soutenons afin qu’ils correspondent à l’ADN de notre territoire : le secteur agroalimentaire, l’hébergement alternatif, l’art, la culture et le patrimoine, l’éducation et les connaissances, le cotravail, et les énergies renouvelables.
Pouvez-vous nous donner un exemple de la façon dont un petit projet que vous avez lancé durant la pandémie a eu pour effet de renforcer la chaîne alimentaire locale?
GL : Maison Mère comprend un espace de cotravail appelé La Procure. La COVID-19 a forcé sa fermeture temporaire. Les membres de La Procure sont rapidement entrés en contact les uns avec les autres pour maintenir la communauté en vie. Ils ont mis sur pied un projet de paniers alimentaires, qui a permis aux restaurateurs locaux de vendre leur inventaire qui aurait autrement été jeté. Les citoyens pouvaient acheter ces paniers alimentaires en ligne, mais le ramassage se faisait dans un stationnement. Les artistes locaux, qui, comme les restaurateurs, ont été frappés par les restrictions liées à la COVID-19, ont livré des prestations variées. Ces spectacles ont été commandités par le centre d’art et le gouvernement local. Le projet de paniers alimentaires a été le tremplin pour l’installation d’un marché public sur le terrain de Maison Mère. Ce marché est un lieu où les habitants du coin et les touristes (un tiers de l’économie de Baie-Saint-Paul repose sur le tourisme) peuvent se rencontrer et contribuer à renforcer la chaîne alimentaire locale.
Maison Mère vise à faire le pont entre le passé, le présent et l’avenir, en s’appuyant sur les valeurs et les connaissances des Petites Franciscaines de Marie. Comment se rapportent-elles à l’essence de la transition?
GL : François d’Assise, patron des Petites Franciscaines de Marie, pourrait être considéré comme l’un des premiers environnementalistes connus. Suivant ses principes, les religieuses travaillaient en harmonie avec la nature tout en assurant la prospérité de la communauté. Ainsi, les terres étaient cultivées par certains patients de l’hôpital souffrant de déficiences intellectuelles. Cette ferme urbaine était un fournisseur de nourriture pour la communauté et un outil d’intégration sociale pour ces patients. Les terres étaient exploitées en respectant les principes de développement durable. Depuis 2020, un hectare est réservé pour la recherche ouverte en innovation par l’Institut EDS [à l’Université Laval]. L’Institut EDS est responsable de la création de connaissances liées au développement durable et à la transition. Sa recherche ouverte en innovation sur le terrain de Maison Mère vise à étudier les processus à partir desquels les collectivités locale et régionale sont susceptibles de tisser des liens sociaux, et à l’échelle individuelle, d’éprouver un sentiment de force personnelle en travaillant la terre. C’est ainsi que les connaissances du passé, adaptées aux problèmes contemporains, aideront Baie-Saint-Paul à faire la transition vers un avenir plus durable. Quel que soit le territoire, la transition socioécologique devra se faire avec un équilibre entre le passé et le présent.
Comment Maison Mère est-elle financée?
GL : La Ville de Baie-Saint-Paul a été notre principale bailleuse de fonds. Au cours des cinq dernières années, nous avons toutefois réduit nos dépenses d’exploitation de 500 000 dollars tout en créant des revenus indépendants grâce à notre espace de cotravail. Cet espace, qui était auparavant les chambres des religieuses, est loué par des travailleurs locaux, une auberge à prix modique et un café.
La transition concerne autant le logement abordable que la sécurité alimentaire. Qu’est-ce que Maison Mère pourrait faire de plus sur la question du logement, et comment? Qu’est-ce qui vous empêche de le faire?
GL : Baie-Saint-Paul a gagné 235 résidents entre 2016 et 2021, pour un total de 7 341. Comme de nombreuses régions, nous souffrons d’un manque de logements et de logements abordables. Maison Mère contribue à la solution en louant des chambres aux travailleurs locaux, mais celles-ci sont vieilles et relativement petites. Certaines d’entre elles sont simplement trop vétustes pour être louées. Avec 2 millions de dollars, nous pourrions rendre nos espaces plus confortables et répondre à une demande plus grande. Or, ce projet ne cadre pas avec les critères de financement. Ce n’est pas du logement social ou du tourisme, et ce n’est pas une innovation. C’est frustrant parce que nous avons l’infrastructure pour résoudre en partie le problème du logement, mais nous ne pouvons pas aller de l’avant.
Maison Mère travaille sur le changement communautaire et les problèmes à long terme. Malheureusement, il est difficile de mesurer la portée de son action. Cela peut être un défi pour les fondations philanthropiques, j’en suis bien consciente. En fait, je suis régulièrement confronté au dilemme de l’incidence. Je sais qu’un rapport sur l’incidence socioéconomique de Maison Mère serait pertinent, mais je n’ai pas l’argent pour le faire. De plus, l’énergie nécessaire pour rassembler les données et produire le rapport ne serait pas dirigée vers l’accomplissement de notre mission. Ainsi, si une fondation est intéressée par notre travail, j’inviterais un membre de son équipe à rejoindre notre comité de requalification. Tout le travail que nous faisons à Maison Mère est collaboratif. Nous avons l’habitude de travailler avec des mondes différents, et nous avons besoin de plus d’alliés dans notre cheminement vers la transition.