La création d’une force coalisée : la force du nombre dans le secteur philanthropique

Les collaborations, tout autant que le manque de collaboration, occuperont une place importante lors de la conférence du 25e anniversaire de Fondations philanthropiques Canada, qui se tiendra à Ottawa. Au cours de cette conférence, les dirigeants seront invités à cesser de parler, pour plutôt commencer à agir.

Les collaborations, tout autant que le manque de collaboration, occuperont une place importante lors de la conférence du 25e anniversaire de Fondations philanthropiques Canada, qui se tiendra à Ottawa. Au cours de cette conférence, les dirigeants seront invités à cesser de parler, pour plutôt commencer à agir.


Dans presque tous les domaines, le meilleur moyen de se faire plus grand est d’unir ses forces. Il en est de même pour la philanthropie, un milieu où l’élan nécessaire pour obtenir des résultats plus solides et plus durables, que ce soit pour accélérer le passage à une économie plus verte ou pour opérer un véritable changement de système, n’est souvent possible qu’en mettant en place des collaborations, estiment des dirigeants du secteur. Un partenariat qui augmente la mise financière nécessaire pour entraîner un changement, un rassemblement qui remet en question les perceptions enracinées et provoque de nouvelles idées, ou encore une collaboration qui brise les silos, sont d’autres exemples de réalisations lorsque les organisations travaillent ensemble.

Pourquoi, alors, le secteur à but non lucratif au Canada est-il à la traîne en matière de partenariats, et pourquoi ceux qui tentent d’accroître la collaboration dans le secteur se heurtent-ils si souvent à un état d’esprit insulaire qui maintient les avantages de la collaboration, de l’investissement à impact social aux partenariats avec les organisations marginalisées, coincés dans une adolescence perpétuelle? « Nous essayons d’aller de l’avant, mais nous sommes pris au piège par notre propre ego et les pratiques du passé », déplore Surabhi Jain, directrice exécutive du Workforce Funder Collaborative, en soulignant qu’elle parle du secteur dans son ensemble. « Nous essayons d’être créatifs, mais je pense que nous avons peur de le faire. »

Les expressions « force coalisée » ou « force de coalition » sont malheureusement associées à la folie de George W. Bush en Irak au début de ce siècle, mais des forces coalisées sont précisément ce que de nombreux acteurs du secteur préconisent.

Il existe beaucoup de cloisons, que nous pouvons abattre grâce à des partenariats et à la collaboration, afin d’accomplir davantage.

Wayne Miranda, Boann Social Impact

Pour Wayne Miranda, la création de partenariats est une priorité : « Il existe beaucoup de cloisons, que nous pouvons abattre grâce à des partenariats et à la collaboration, afin d’accomplir davantage ». Membre de l’équipe de Boann Social Impact, chargée de l’engagement et du développement du marché, M. Miranda estime toutefois que les fondations, les fonds qui mobilisent et déploient des capitaux, les organisations sur le terrain, les organismes de réglementation, les agences gouvernementales et les sociétés d’État parlent plus qu’ils n’agissent. Il y a beau avoir quelques discussions, ces entités ne sont pas sur la même longueur d’onde en termes de priorités, de politiques, de programmes et de modèles qui fonctionnent, selon lui. « Nous n’essayons pas de créer une nouvelle organisation, précise-t-il. Nous essayons de faire en sorte que tout le monde tire à la même corde et mette ses forces en commun. Il s’agit d’un effort collectif. »

Les collaborations, tout autant que le manque de collaboration, occuperont une place importante lors de la conférence du 25e anniversaire de Fondations philanthropiques Canada, qui se tiendra à Ottawa. Au cours de cette conférence, les dirigeants seront invités à cesser de parler, pour plutôt commencer à agir.

Selon M. Miranda, un travail de collaboration se fait déjà, mais il semble qu’il soit souvent fait par les mêmes. Il cite la Fondation McConnell (qui a établi des partenariats avec 183 organismes en 2022), la Hamilton Community Foundation, la Catherine Donnelly Foundation, Environmental Defence Canada, la Fondation Mastercard, la Fondation Inspirit, la Definity Insurance Foundation et Dragonfly Ventures. « La liste est longue, et il est pourtant nécessaire de la doubler, et même de la tripler », estime M. Miranda.

Toutes les histoires ne seront pas celles d’un potentiel inachevé. Wanda Brascoupé et Nicole McDonald, fondatrices d’Indigenous Philanthropy Advisors, auront un compte-rendu favorable sur les fondations qui travaillent avec des organisations dirigées par des Autochtones. Selon elles, un grand pas a été franchi dans la bonne direction depuis le Rapport de la Commission de vérité et réconciliation. « Les gens ont soudain pris conscience de l’histoire du Canada », explique Mme McDonald. « Lorsque les survivants des pensionnats se sont manifestés et ont raconté la véritable histoire du Canada, je pense qu’il y a eu un désir de s’impliquer davantage. »

Les gens ont parfois l’impression que le processus d’établissement d’une relation sera difficile et complexe, alors qu’il commence par la volonté d’établir une relation et de collaborer.

Nicole McDonald, Indigenous Philanthropy Advisors

Mme McDonald, comme d’autres qui militent pour davantage de partenariats et de collaborations dans le secteur, note cependant que ce changement bienvenu est généralement le fait des mêmes fondations qui se présentent à la table. « Nous aimerions en voir davantage, dit-elle, mais certaines ont tout simplement peur de faire des erreurs. Les gens ont parfois l’impression que le processus d’établissement d’une relation sera difficile et complexe, alors qu’il commence par la volonté d’établir une relation et de collaborer. »

Mme McDonald, membre de la nation métisse vivant aujourd’hui au Québec, et Mme Brascoupé, qui est Skarù rę’ et membre de Kitigan Zibi Anishinabeg et vit au Texas, ont fondé Indigenous Philanthropy Advisors après de nombreux repas ensemble chez Beckta, un restaurant du centre-ville d’Ottawa, passés à discuter pour « résoudre tous les problèmes de la philanthropie », plaisante Mme Brascoupé. Ces deux femmes ont toutes deux une longue expérience dans des organisations philanthropiques progressistes, notamment le Fonds de résilience des peuples autochtones (FRPA), cofondé par Mme Brascoupé en 2020 afin de faire tomber les barrières philanthropiques en place pour que de l’aide puisse être apportée aux communautés autochtones vivant dans des endroits reculés pendant la pandémie. Le Fonds a finalement travaillé avec 1 200 organisations caritatives et sans but lucratif dirigées par des Autochtones.

Les deux femmes ont fondé Indigenous Philanthropy Advisors au début de cette année, désirant continuer à favoriser la conciliation entre les règles occidentales que doivent suivre les organismes caritatifs et leur compréhension des protocoles autochtones et des nuances culturelles. Au quotidien, elles mettent donc à profit leur connaissance des perspectives, des traditions et des valeurs autochtones pour établir des relations plus significatives et plus respectueuses entre les bailleurs de fonds et les organisations autochtones. « En tant qu’intervenantes, nous comprenions les concepts occidentaux de la philanthropie, et il nous incombait donc d’agir dans les limites des lois fiscales occidentales, tout en poussant plus loin… », explique Mme Brascoupé. « Nous avons toujours dit que nous étions une balle dans une boîte. La FRPA étant la balle, et le droit fiscal occidental, la boîte », illustre-t-elle.

Les communautés professionnelles cloisonnées sont difficiles à unir, laissant les intérêts acquis et les forces d’inertie entraver l’innovation.

John W. McArthur & Zia Khan, “Rebooting the Sustainable Development Goals”

L’une des plus grandes sociétés d’investissement multi-actifs du pays, Addenda Capital, collabore avec l’ensemble du secteur de l’investissement. Comptant plus de 37 milliards de dollars d’actifs, elle est un leader de l’investissement à impact environnemental et social collaboratif. Addenda Capital gère environ 1,5 milliard de dollars d’investissements provenant de fondations philanthropiques, et ses produits d’investissement visent à assurer une durabilité financière et « positive », conformément à un cadre net zéro et aux objectifs de développement durable des Nations unies. Mais ces objectifs, adoptés à l’unanimité par tous les États membres de l’ONU en 2015 et comprenant 169 cibles sur les défis mondiaux, notamment la pauvreté, l’égalité des sexes en matière de santé et les changements climatiques, semblent de plus en plus difficiles à atteindre. La raison? Selon une analyse de la Brookings Institution, basée aux États-Unis, le manque de collaboration entraverait les efforts. « De nombreuses organisations ont des difficultés à actualiser leurs objectifs et à élaborer des stratégies de partenariat », écrivent John W. McArthur et Zia Khan. « Les communautés professionnelles cloisonnées sont difficiles à unir, laissant les intérêts acquis et les forces d’inertie entraver l’innovation. »

Addenda est également l’un des fondateurs d’Engagement climatique Canada (ECC), une coalition de 43 partenaires du secteur de la finance qui s’engagent à réduire les émissions de gaz à effet de serre des grands émetteurs. « Nous reconnaissons que toutes les embarcations doivent aller de l’avant si nous voulons favoriser la transition et avoir une économie durable », déclare Andrea Moffat, directrice principale de l’intendance des investissements chez Addenda. Elle explique que les partenariats d’Addenda avec les fondations commencent lorsque ces dernières cherchent un moyen d’aligner leurs stratégies d’investissement sur leur mission. Cela peut inclure des investissements dans des fonds de transition climatique, ce qui, concède Mme Moffat, peut créer de la frustration et nécessiter beaucoup de « moulinage », mais peut en fin de compte aboutir à des résultats positifs avec les grands émetteurs. « Je ne dis pas que c’est facile, et je ne dis pas que [le changement] est aussi rapide que beaucoup d’entre nous le souhaiteraient. Mais c’est un moyen important de favoriser la transition dans l’ensemble de l’économie canadienne », ajoute-t-elle.

Addenda a également conclu un partenariat avec Fondations Philanthropiques Canada pour les deux prochaines années, dans le cadre duquel Fondations Philanthropiques Canada s’appuiera sur l’expertise d’Addenda dans la poursuite d’« objectifs communs ». Les deux organisations souhaitent ainsi soutenir un impact social et environnemental significatif, renforcer la collaboration et développer les aptitudes pour le bien commun, d’après l’annonce de l’accord par Addenda.

Le fait d’avoir des cerveaux et des processus de pensée différents qui examinent les questions sous plusieurs angles permet de surmonter la pensée restrictive et de trouver des nuances.

Surabhi Jain, Workforce Funder Collaborative

Les avantages de la collaboration semblent évidents. En s’unissant, les organisations peuvent provoquer des changements qu’il est impossible pour elles de faire individuellement. Si cinq, six ou sept organisations s’unissent, vous aurez des oreilles et des yeux sur des choses « que vous n’auriez pas pu voir autrement », selon Mme Jain. Le fait d’avoir des cerveaux et des processus de pensée différents qui examinent les questions sous plusieurs angles permet de surmonter la pensée restrictive et de trouver des nuances, dit-elle. « Vous parlez avec les autres sans être le seul qui prend la parole, de manière à ce que les ego n’interviennent pas, ajoute-t-elle. Collaborer signifie apprendre les uns des autres, ce qui implique un certain inconfort. Parce que quelqu’un remet en question vos idées ou apporte un point de vue qui n’avait jamais été envisagé ». Selon elle, c’est là que la progression prend son élan, et c’est ce dont le secteur a besoin.

Mme Jain affirme également que la peur de l’échec n’a pas lieu d’être. « L’échec n’existe pas, dit-elle. Si un million de dollars est dépensé pour un projet qui est considéré comme un échec, cela devrait quand même être considéré comme une expérience d’apprentissage réussie, et non comme une excuse pour ne jamais essayer à nouveau. »

Mais les collaborations peuvent aussi être tactiques, selon M. Miranda. « On peut alors parler d’une force coalisée. Au-delà de l’aspect financier; il peut s’agir de temps, d’expertise ou de réseaux », dit-il. « Des valeurs différentes peuvent être réunies sur un dossier, et il se peut qu’il y ait des désaccords. Mais vous pourriez bien vous retrouver dans le dossier d’après. »

« Nous nous trouvons à un moment historique où la collaboration peut produire des résultats qui changent la donne, poursuit M. Miranda. Le Fonds de finance sociale (FFS) du gouvernement pourrait offrir cette possibilité ». Annoncé pour la première fois par le gouvernement libéral fédéral dans la mise à jour économique de 2018, le FFS a finalement pris son envol l’an dernier. Quelque 400 millions de dollars (sur un total de 750 millions) de financement à impact social ont été injectés dans le système. Boann a été choisi comme l’un des gestionnaires d’investissement, aux côtés de Realize Capital Partners, CAP Finance et le Fonds de croissance autochtone (FCA) de l’Association nationale des sociétés autochtones de financement (ANSAF). Même si l’argent sera en fin de compte remboursé au gouvernement, M. Miranda estime que le FFS est une excellente occasion de collaborer avec des partenaires philanthropiques, car ces 400 millions de dollars ne sont finalement qu’une goutte d’eau dans l’océan. Les fonds sont destinés à des organisations dirigées par ou au service des femmes, des peuples autochtones, des communautés noires et autres communautés marginalisées, de la communauté 2ELGBTQIA+, des minorités linguistiques, des nouveaux réfugiés et immigrants, et des Canadiens démunis. « Si les capitaux non remboursables provenant de la philanthropie sont combinés à ceux disponibles dans le FFS, explique M. Miranda, cet argent ira à des fonds plus petits desservant des communautés marginalisées, qui ne sont parfois pas un investissement attrayant au cours de leurs années de démarrage et d’établissement d’un bilan. »

Le FFS offre également aux acteurs des fonds sociaux et au secteur philanthropique l’occasion de se réunir et de construire l’infrastructure de finance sociale qui fait actuellement défaut dans le système canadien. « Ce type d’infrastructure sectorielle peut survivre à tous les acteurs et au calendrier de remboursement pour continuer à avoir des impacts sociaux et environnementaux au-delà du fonds », déclare M. Miranda.

M. Miranda estime que si le Canada est à la traîne en matière d’ « action concertée », c’est en raison de l’attitude d’aversion au risque qui prévaut au pays. « Nous avons tendance à garder la tête baissée et à ne pas vraiment regarder ce qui se passe ailleurs, comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni », déplore-t-il.

À quoi ce premier pas peut-il ressembler? La réponse est aussi individuelle que votre situation en tant qu’organisation.

Wanda Brascoupé, Indigenous Philanthropy Advisors

Toutefois, Mme Brascoupé croit que si des pionniers démontrent qu’il n’y a vraiment aucun risque à s’engager sur la voie de la collaboration, d’autres suivront. « C’est faisable. Dès aujourd’hui. Faites un premier pas », encourage-t-elle. « À quoi ce premier pas peut-il ressembler? La réponse est aussi individuelle que votre situation en tant qu’organisation. » Elle ajoute : « N’ayez pas peur de vous tromper. Dites-vous simplement que vous êtes un débutant ».

Mme Jain prévient toutefois qu’il y a toujours un retour de balancier. Elle cite en exemples les mesures prises pour soutenir les organisations dirigées par des Noirs à la suite du meurtre de George Floyd, et l’établissement de liens plus étroits avec les organisations caritatives dirigées par des Autochtones à la suite du Rapport de la Commission de vérité et réconciliation. « Cet élan en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion est en train de s’essouffler », observe-t-elle.

Les partisans de la collaboration ne se laisseront pas décourager par des progrès inégaux, car ils voient les avantages. « J’aimerais que nous soyons une cinquantaine de plus », déclare Mme Brascoupé. « Lorsque nous avons créé le FRPA, nous n’avons rien fait de nouveau. C’est venu de l’enseignement de la façon dont nous sommes entre nous. Nous étions forts d’un réseau, parce que nous connaissions la communauté et parce que nous savions comment parler les uns avec les autres, ce qui rendait les choses plus faciles. La joie était palpable dans notre travail. »

Subscribe

Weekly news & analysis

Staying current on the Canadian non-profit sector has never been easier

This field is for validation purposes and should be left unchanged.