Investir dans la philanthropie autochtone par la réciprocité

Les valeurs de don, de partage et d’entraide sont profondément ancrées dans les cultures autochtones. Ces traditions séculaires de réciprocité, de responsabilité mutuelle et de respect peuvent inspirer une grande partie du travail de la philanthropie moderne. C’est pourquoi The Circle on Philanthropy (The Circle) et la Mastercard Foundation s’associent à des organisations dirigées par des Autochtones pour soutenir et renforcer les approches de la philanthropie dirigées par des Autochtones qui s’alignent sur les valeurs et les cultures autochtones ainsi que sur l’autodétermination de ces peuples.

Cette démarche s’inscrit dans un mouvement croissant en Amérique du Nord en faveur de la philanthropie fondée sur la confiance; une approche qui vise à transformer les relations entre les organisations philanthropiques et les organismes à but non lucratif en cernant les inégalités systémiques et en s’attaquant aux déséquilibres inhérents de pouvoir. Dans un contexte autochtone, une approche fondée sur la confiance met l’accent sur le leadership, les connaissances et l’expertise des Autochtones; elle prévoit la création de partenariats avec des organisations et des communautés autochtones afin de mobiliser les ressources et le soutien dont elles ont besoin pour relever les défis locaux complexes et maximiser leur impact.

Sharon Hobenshield, directrice générale de la Kw’umut Lelum Foundation, l’une des premières fondations communautaires détenues et dirigées par des Autochtones en Colombie-Britannique, affirme que les approches philanthropiques auxquelles participent les peuples et les communautés autochtones doivent être éclairées par une compréhension de l’histoire du Canada, notamment du colonialisme.

« [Sinon], il s’agit d’une approche déficitaire qui ignore la richesse des traditions et des pratiques des communautés autochtones, ainsi que leurs droits à l’autodétermination. Les approches fondées sur la confiance cherchent à changer cette dynamique en se concentrant sur l’apprentissage partagé, la recherche de l’équité, la co-création et la transformation, plutôt que sur des solutions prescrites à court terme, dit-elle. Si le don est une tradition profondément ancrée chez les Autochtones, nous sommes nouveaux dans le secteur philanthropique au sens large, notamment en tant qu’organisations et fondations dirigées par des Autochtones. »

Les approches fondées sur la confiance sont ancrées dans des partenariats de réciprocité entre les peuples et communautés autochtones et les sociétés non autochtones. Elles cherchent à investir dans le leadership et la capacité des organisations dirigées par des Autochtones et à transférer le pouvoir et le contrôle aux organisations, communautés, mouvements communautaires et nations autochtones, qui ont la sagesse de prescrire des solutions qui changent concrètement les choses. Cette approche respecte l’autodétermination des Autochtones et crée un effet domino qui peut profiter aux gens et aux communautés du Canada et d’ailleurs.

La Ulnooweg Indigenous Communities Foundation, au Canada atlantique, est l’une des premières fondations communautaires autochtones du pays et est un chef de file dans ce domaine. Membre de The Circle, Ulnooweg a également été l’un des premiers partenaires du programme EleV de la Mastercard Foundation, qui soutient les apprenants autochtones dans leur cheminement vers l’éducation postsecondaire et vers des moyens de subsistance significatifs. Ulnooweg s’efforce de combler le fossé entre le secteur philanthropique et les communautés autochtones et investit dans la réussite des communautés, des gens et des entreprises autochtones du Canada atlantique.

« Notre processus se fait sans aucune demande », explique Michelle Richard, directrice générale du Ulnooweg Education Centre. « Nos initiatives sont créées à partir de conversations avec nos partenaires sur les besoins et la manière d’y répondre. Nous sommes des conteurs d’histoires. Cette façon de faire intègre une partie de notre culture dans le processus. »

Pour faire progresser l’approche fondée sur la confiance, en 2021, la Mastercard Foundation a versé 12 millions de dollars à quatre organisations dirigées par des Autochtones qui savent parfaitement comment répondre au mieux aux besoins de leurs communautés. La Mastercard Foundation entend poursuivre ce travail tout au long de 2022 et au-delà.

Les quatre organisations sont la Kw’umut Lelum Foundation, dirigée par neuf nations des Salish du littoral, qui collabore avec des donateurs privés et publics pour faciliter l’accès à la culture, à l’économie, à la société, à l’éducation et aux loisirs afin de soutenir les enfants autochtones et leurs familles; la First Peoples’ Cultural Foundation, qui soutient la vitalité des langues, des arts et du patrimoine culturel autochtones en Colombie-Britannique en finançant des organismes et des communautés autochtones; le Arctic Indigenous Fund, dirigé par de jeunes leaders autochtones de l’Arctique, qui distribue des fonds philanthropiques de manière à mieux répondre aux besoins des communautés du Nord et à s’aligner sur les efforts existants menés par les Autochtones; et Échanges Racines canadiennes, une organisation nationale dirigée par des jeunes autochtones qui collabore avec les communautés pour offrir des programmes, des subventions et des possibilités ancrés dans les modes de connaissance et d’existence autochtones et conçus pour renforcer et amplifier la voix des jeunes autochtones.

Des fonds supplémentaires ont été accordés pour établir un partenariat avec The Circle, une organisation dirigée par des Autochtones qui travaille en marge du secteur philanthropique créée par les colons au Canada. The Circle s’efforce de transformer la philanthropie et de contribuer à un changement positif entre la philanthropie créée par les colons et les communautés autochtones en créant des espaces d’apprentissage, d’innovation, d’établissement de relations, de co-création et d’activation. Dans le cadre de cette initiative, The Circle joue un rôle central de rassembleur, de conteur et de partenaire de réflexion en faisant part d’expériences, d’idées et de stratégies dans un esprit de réciprocité avec les quatre groupes participant à l’initiative, afin de recueillir et d’approfondir l’apprentissage au cours de cette année et au-delà. Ces quatre organisations ont les relations et l’expertise nécessaires pour faciliter la transformation et orienter les ressources vers des solutions communautaires dirigées par des Autochtones.

« L’une des leçons les plus importantes que j’ai apprises est que la philanthropie est un écosystème unique fondé sur le besoin mutuel », déclare Hillory Tenute, directrice générale d’Échanges Racines canadiennes. « Nous considérons souvent les bénéficiaires comme les groupes qui ont besoin d’un financement et les bailleurs de fonds comme le groupe qui le fournit. Cette perspective considère la relation comme unilatérale. Cependant, les bailleurs de fonds ont tout autant besoin des bénéficiaires. Ils ont leurs propres parties prenantes à qui ils doivent rendre des comptes et leurs propres priorités à respecter. En fin de compte, les bailleurs de fonds ont besoin de grands projets dans lesquels investir des ressources. Les approches de la philanthropie fondées sur la confiance nous rappellent que ces relations ne sont pas seulement contractuelles, mais elles sont aussi fondées sur la réciprocité. »

La Mastercard Foundation, The Circle et les partenaires autochtones ont un grand désir d’en savoir plus sur les effets de cette méthode de travail. Pour ce faire, ils s’engagent à démontrer des résultats significatifs, à entreprendre ce travail avec de nouveaux partenaires et à faire connaître cette approche dans tout le secteur philanthropique.

La création de fondations autochtones est une voie souvent négligée pour faire progresser l’autodétermination de ces peuples. Le soutien aux entités philanthropiques, aux fonds et aux fiducies autochtones renforce les solutions, la gouvernance et la reconstruction de la nation dirigées par les Autochtones. La direction et le contrôle des Autochtones sur le flux de dollars philanthropiques contribuent à éliminer les barrières systémiques et les pratiques discriminatoires et à revitaliser les pratiques philanthropiques autochtones.

« Notre partenariat nous permet d’être proactifs plutôt que réactifs aux besoins de nos jeunes et de notre communauté. Cela nous permet de soutenir les jeunes et d’éliminer les obstacles d’une manière qui répond aux problèmes en temps réel, grâce à notre personnel qui est sur le terrain, ancré dans les communautés que nous servons », explique Richard.

Le pouvoir transformateur de la philanthropie fondée sur la confiance réside dans sa capacité à remodeler les relations. Elle exige un engagement de réciprocité. Pour les subventionneurs, il s’agit d’être en relation avec les organismes à but non lucratif, les communautés, les organismes de bienfaisance, les mouvements communautaires et les autres personnes et organismes qui s’organisent dans cet espace, et d’écouter, d’apprendre, de co-créer et de réduire les déséquilibres de pouvoir.

Dans le cadre de l’approche fondée sur la confiance de la Mastercard Foundation et de The Circle, l’accent est mis sur la relation plutôt que sur la reddition de comptes. La fondation joue un rôle permanent de soutien et de partenaire de réflexion. Les conversations sont axées sur la collecte des principaux enseignements, l’application des connaissances pour améliorer les programmes en temps réel, et l’élaboration de pratiques et de modèles exemplaires pour les approches fondées sur la confiance qui peuvent être appliquées à l’interne et diffusées largement.

« Nous devons travailler de manière relationnelle, en apprenant ensemble et en répondant à la fluidité qui nous entoure, déclare M. Hobenshield. Le don s’applique aussi au monde naturel où nous donnons et recevons pour démontrer le respect et assurer l’équilibre et l’harmonie de notre existence mutuelle entre toutes nos relations et avec toute la création. »

Les peuples autochtones ont toujours pratiqué la philanthropie à travers leurs traditions, leurs cérémonies et leurs lois de don et de partage. Les approches fondées sur la confiance sont peut-être nouvelles pour beaucoup de personnes sur le terrain, mais ce sont des traditions de longue date pour les peuples autochtones.

Chacun a un rôle à jouer dans la réconciliation et le soutien à l’autodétermination des Autochtones. Les gouvernements, le secteur privé et les organisations philanthropiques sont appelés à soutenir le leadership des Autochtones, à adopter leurs innovations et à tirer parti de leur expertise. Une des mesures importantes que les bailleurs de fonds peuvent prendre aujourd’hui est de mettre en œuvre une approche fondée sur la confiance pour centrer la réciprocité, transférer le pouvoir, les ressources et la prise de décision aux organisations, fondations, communautés et organisations communautaires autochtones. « Le changement le plus important qu’un bailleur de fonds puisse faire dans ce système est de changer son point de vue. Il doit croire que les bénéficiaires veulent que leurs projets réussissent, et qu’ils ont les connaissances et l’expertise nécessaires pour gérer la direction de leurs projets d’une manière qui soit à la fois bénéfique pour les communautés qu’ils servent, et responsable vis-à-vis des bailleurs de fonds, déclare Mme Tenute. En offrant aux bénéficiaires les moyens d’autodéterminer leur financement, nous aboutissons souvent à des systèmes de financement plus favorables où les deux groupes se rencontrent à égalité pour soutenir un changement responsable et piloté par la communauté. »


Jennifer Brennan est directrice des programmes canadiens de la Fondation Mastercard. Elle encadre tous les travaux effectués en collaboration avec les jeunes, les collectivités et les organisations autochtones ainsi qu’avec des partenaires de plusieurs secteurs pour les programmes destinés à transformer les systèmes d’éducation et d’emploi. Avant de se joindre à la Fondation, Brennan a mené pendant vingt ans des négociations au nom des nations autochtones pour des enjeux d’importance dans tout le Canada.

Shereen Munshi est directrice des partenariats et de la communication stratégique du Circle on Philanthropy, où elle noue des relations stratégiques avec des organisations homologues en accord avec les valeurs, la mission et les objectifs stratégiques du Circle. Munshi est également membre du conseil d’administration du Community Knowledge Exchange, membre fondatrice de la Next Generation Philanthropy Collaborative et membre de l’équipe centrale du projet de partenariat avec les jeunes Autochtones de l’Ontario.


Patuoꞌkn Illustration and Design a créé l’illustration qui accompagne cet article.

L’idée de mouvement m’a vraiment marquée après avoir lu l’article. J’ai eu de nombreuses visions du mouvement des voix. Des voix en conversation, des voix qui expriment un leadership, des voix en collaboration, qui s’élèvent pour aller de l’avant, mais qui prennent aussi du recul pour revenir dans les communautés autochtones d’une manière plus profonde et plus intentionnelle, laissant la place nécessaire aux communautés autochtones pour qu’elles s’impliquent avec leurs propres traditions et leur propre regard sur la philanthropie. Je voulais vraiment mettre l’accent sur ce concept de mouvement dans les voix, comme si elles prenaient vie. Le caractère sacré de ce processus, la force du partage des traditions et de nos visions, enveloppés de fumée pour que ces conversations puissent se blottir dans une couverture qui sécurise. Le fait que deux personnes partagent la même chevelure est un clin d’œil à nos liens ancestraux, à la façon dont nous sommes tous connectés spirituellement avec nos ancêtres, à la façon dont ils sont derrière nous et nous donnent de la force alors que nos voix nous portent vers de nouveaux chemins. Ils sont avec nous lorsque nous avançons pas à pas en partageant nos connaissances, et nous sommes les uns à côté des autres lorsque nous prononçons les mots de nos ancêtres. Les vibrations de nos voix transcendent le temps et l’espace, donnant lieu à plus d’autodétermination pour notre peuple dans le secteur philanthropique. —Kaylyn Bernard, Patuoꞌkn Illustration and Design

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