Religion et philanthropie : En quoi un lieu de culte profite-t-il réellement au public?

La plupart des gens, dans leurs déplacements avant la pandémie, étaient susceptibles de passer devant au moins un lieu de culte chaque jour. Il est probable que, ce faisant, un grand nombre ne se préoccupaient nullement de l’édifice ou de la religion. « Je n’y vais pas, pensaient-ils peut-être, alors en quoi cet endroit me concerne-t-il? »

Certains ne remarquent peut-être même pas l’édifice, parce que la religion ne fait pas partie de leur vie. D’autres considèrent qu’une église est une charmante relique du passé et peuvent éprouver un peu de nostalgie. D’autres encore peuvent voir dans une mosquée, un temple ou une synagogue, la preuve que nous sommes une société multiculturelle, et s’en réjouir. Et d’aucuns peuvent sans aucun doute dédaigner un lieu de culte en l’assimilant à un club privé qui profite seulement à ses membres, d’une façon mystérieuse.

Étant donné que les Canadiens sont de plus en plus nombreux à se dire non-croyants, de telles réactions ne sont pas surprenantes. Une personne non-croyante peut évidemment penser que la religion ne la concerne pas. Mais est-ce le cas? Est-ce que la religion peut apporter des bienfaits au-delà de la sphère religieuse?

En tant qu’organismes de bienfaisance enregistrés, les lieux de culte n’ont pas à profiter à tout le monde pour faire œuvre caritative, mais seulement à une partie suffisamment importante du public. Et comme ils constituent une portion si importante du secteur caritatif, est-il possible de démontrer que la religion est profitable à tout le monde, croyants et non-croyants?

Les avantages spirituels ne peuvent à eux seuls illustrer ce point — pour que les non-croyants reconnaissent qu’ils profitent eux aussi de la religion, il faudrait qu’ils reconnaissent certains avantages non spirituels. Me demandant si les non-croyants profitent eux aussi de la religion, je me suis lancé à la découverte de tous ses avantages.

Ma recherche (Pellowe, 2020) a mis au jour un large éventail de statistiques gouvernementales et de recherches universitaires, couvrant de nombreuses disciplines et jusqu’à cinq décennies, qui démontrent les avantages publics découlant de la religion, tant pour les croyants que les non-croyants. Des études en de nombreux domaines (médecine, éducation, pauvreté, économie, famille, sociologie, psychologie et planification urbaine) ont toutes prouvé que la religion apporte des avantages tangibles et mesurables. Ces études ont été reproduites au fil des décennies, et l’on a établi que les avantages signalés dans les années 1970 étaient comparables aux avantages signalés aujourd’hui.

Mais cette bonne nouvelle est assombrie par la diminution du pourcentage de la population qui est croyante. Les avantages spirituels et temporels de la religion demeurent immenses pour les croyants, mais les avantages temporels pour le public, bien qu’encore réels, ont diminué. Néanmoins, selon la recherche menée au Canada, tous les Canadiens retirent quatre avantages de la religion.

Premièrement, la religion promeut des attitudes et des comportements prosociaux. Les gens qui fréquentent un lieu de culte au moins une fois par semaine (les « très fervents ») accordent typiquement une grande valeur à l’importance et à la qualité de leurs relations avec les autres. Comparativement aux non-croyants, ils accordent plus de valeur au sentiment d’appartenance, à l’amitié et à la bonté. Ils sont plus susceptibles de souligner l’importance du pardon, de la générosité et du souci des autres (Bowen, 2004). En s’appuyant sur les données de Statistique Canada, le sociologue canadien Kurt Bowen a écrit : « Bien que diverses morales laïques puissent prêcher et prêchent les mêmes vertus, les chrétiens très fervents sont très majoritairement ceux qui souscrivent le plus souvent et le plus constamment à cette éthique du pardon et du souci des autres » (Bowen, 2004, p. 283). Il convient de mentionner que la majeure partie de la recherche canadienne, en raison de notre population, fait référence à la foi chrétienne. Nul doute que cette situation changera avec l’augmentation des fidèles d’autres confessions.

Il n’est pas nécessaire d’être croyant pour être prosocial. Une personne non-croyante pourrait être davantage prosociale qu’une personne croyante, mais les « très fervents » sont beaucoup plus susceptibles d’avoir des attitudes et des comportements prosociaux que les gens non-croyants, lorsqu’on considère ces deux groupes. Le sociologue canadien Reginald Bibby affirme : « Les gens qui ne croient pas en Dieu peuvent être bons. Mais les gens qui croient en Dieu sont plus susceptibles de valoriser la bonté, ce qui augmente leurs chances d’être bons » (Bibby, 2007, p. 1).

En tant que nation, nous voulons que, dans notre société, les expériences de chaque personne soient marquées par la gentillesse, la bonté et la civilité envers tous (même envers les gens qui ne font pas partie de notre propre groupe), une société où chaque personne se soucie du bien-être des autres. Bien que nous soyons tous imparfaits à certains égards, les lieux de culte s’emploient activement à inciter leurs fidèles à adopter ces comportements. Sans l’influence de la religion, écrit Kurt Bowen, « notre civilité est menacée » (2004, p. 288).

Le deuxième bienfait de la religion est un exemple des attitudes et comportements prosociaux des « très fervents ». Ils sont beaucoup plus généreux que la moyenne des Canadiens dans leurs dons et leur bénévolat. Les « très fervents » ont les mêmes motivations que les non-croyants en ce qui a trait au bénévolat et aux dons, c’est-à-dire des raisons altruistes et humanitaires. Mais les deux groupes diffèrent en ceci : la vie des « très fervents » est fondamentalement orientée vers la communauté et le souci du bien-être des autres. Ils ont tendance à planifier leurs dons en y consacrant un pourcentage de leur revenu. Leur grande générosité se vérifie pour tous les niveaux de revenu et de scolarité. Aux plus bas niveaux, les « très fervents » donnent dix fois plus que les non-croyants et, aux niveaux plus élevés, ils donnent encore cinq fois plus (Bowen, 2004). À travers le monde, les rapports entre la religiosité et la philanthropie ont été observés par les chercheurs dans de nombreuses études, entre autres un examen exhaustif de plus de 550 études portant sur ces rapports (Pellowe, 2020, p. 51-52).

On pourrait penser que les croyants font uniquement des dons à leurs propres organismes religieux, et qu’en conséquence les bienfaits apportés par leurs dons et leur bénévolat ne profitent qu’à leur communauté, et non à l’ensemble du public. Mais ce n’est pas le cas. Les enquêtes sociales canadiennes révèlent que les « très fervents » donnent davantage aux organismes laïcs que les non-croyants. Le don médian des « très fervents » à un organisme laïc est près du double du don médian offert par les non-croyants. Et on constate la même tendance pour le bénévolat. Les « très fervents » font chaque année presque deux fois plus d’heures de bénévolat que les non-croyants, et, chez les « très fervents », un plus grand pourcentage font du bénévolat pour des organismes de bienfaisance laïcs (Bowen, 2004, p. 180). Chaque Canadien profite de la générosité des « très fervents », parce que les dons de ceux-ci procurent un solide filet de sécurité qui pourrait être nécessaire, un jour ou l’autre, à n’importe quel Canadien.

Le troisième bienfait majeur de la religion provient du lieu de culte lui-même, plutôt que de ses membres. Les lieux de culte procurent des bienfaits tangibles et intangibles à leur communauté locale. Depuis quelques décennies, on demande dans les églises : « Si notre église fermait aujourd’hui, est-ce que quelqu’un le remarquerait, à part nous? »

« Non » est une mauvaise réponse! Les églises sont animées du désir d’être une bénédiction pour leur communauté environnante. Je n’ai aucune raison de croire qu’il n’en serait pas de même pour les lieux de culte d’autres religions.

Dans un rapport publié en 2006 par Imagine Canada, on rejette l’idée que les lieux de culte profitent seulement à leurs propres membres, en soulignant la contribution des organismes religieux (lieux de culte) à leur communauté locale. On peut lire : « Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les organismes religieux ont tendance à servir le public, peu importe la religion. Les organismes religieux sont moins susceptibles que les organismes bénévoles et sans but lucratif en général de poser des restrictions concernant l’adhésion ou de desservir un segment particulier de la population » (Brownlee et al., 2006). Une étude portant sur 46 églises de l’Ontario appuie ces constatations d’Imagine Canada, et conclut que « les non-membres étaient quatre fois plus susceptibles de recourir aux programmes communautaires de l’église que les membres de l’église » (Handy et Cnaan, 2000).

Nancy Ammerman, sociologue à l’Université de Boston, a étudié les congrégations aux États-Unis et a découvert qu’elles contribuent de multiples façons à leur communauté. Elle rapporte que « les congrégations déploient la majeure partie de leurs efforts pour secourir les nécessiteux, et qu’elles consacrent presque autant d’efforts à l’éducation et au développement personnel de gens qui peuvent avoir moins besoin de secours immédiats » (Ammerman, 2001, p. 12). Les lieux de culte sont là pour servir les personnes qui ne font pas partie de leur congrégation. Tous les Canadiens peuvent profiter des programmes qui y sont offerts afin d’améliorer la vie communautaire et familiale.

Le quatrième et dernier bienfait public est économique. Les lieux de culte sont des organismes très efficaces, qui font toutes leurs bonnes œuvres avec un minimum d’investissement. Toujours à court d’argent malgré leurs aspirations, ils peuvent abattre un travail extraordinaire avec l’aide de bénévoles et accomplir beaucoup en dépit de leurs faibles moyens financiers. La valeur qu’ils produisent est bien supérieure à ce que leurs budgets laisseraient supposer.

Une série d’études canadiennes, connue sous le nom de The Halo Effect [l’effet de halo], s’est penchée sur les lieux de culte dans les régions rurales et urbaines, grandes et petites, pour connaître la différence entre l’argent qu’ils dépensent et leur contribution à leur communauté. La différence est le résultat de l’effet de halo. En utilisant la même logique rigoureuse que celle qui est appliquée pour déterminer la valeur économique des événements sportifs et culturels dans une communauté, le rapport conclut que les lieux de culte fournissent une bien plus grande valeur à la communauté que ce que pourrait laisser croire leur budget de fonctionnement (Wood Daly, 2016). Lorsqu’on considère tous les lieux de culte, leur contribution annuelle à la société canadienne s’élève à près de 17,5 milliards de dollars, l’équivalent de 1,1 % du PIB (Wood Daly, 2017).

Mais qu’en est-il du rendement pour les contribuables? Les contribuables financent le crédit d’impôt pour les dons de bienfaisance aux organismes religieux, la réduction des taxes de vente et les exemptions municipales sur l’impôt foncier (dans les endroits où cela est accordé). Est-ce que c’est un bon investissement? Il s’avère que oui. Une étude portant sur 16 congrégations a comparé le montant total des impôts « perdus » au bénéfice socioéconomique apporté par ces congrégations, et a constaté que, pour le contribuable, le rendement du capital investi était 10 fois plus élevé que les impôts « perdus ». Ce qui signifie, par exemple, que si une municipalité devait commencer à percevoir des impôts fonciers pour les lieux de culte, pour chaque dollar consacré par ces lieux de culte aux impôts plutôt qu’à des dépenses de programme, la communauté perdrait 10 $ en avantages communautaires (Wood Daly, 2019). Étant donné que le rapport coût-efficacité des lieux de culte est bien meilleur que celui de la bureaucratie gouvernementale, chaque Canadien paie moins d’impôts que si c’était le gouvernement qui essayait de fournir les mêmes avantages.

Les données montrent que la religion aide les gens à être de meilleurs citoyens et à incarner les plus grands idéaux de la société. Les personnes très ferventes font plus que leur juste part pour soutenir le secteur caritatif au Canada. Leurs lieux de culte apportent une contribution substantielle à leur communauté locale, et cela, en fournissant un rendement significatif pour les contribuables canadiens.

Si la recherche montre de façon irréfutable que chaque personne profite de la religion, il convient de se demander s’il y aurait des moyens non religieux d’atteindre les mêmes résultats. Dans son livre Une religion pour les athées : Petit guide des religions à l’usage des mécréants, Alain de Botton a essayé de démontrer que les avantages de la religion pourraient être reproduits par des moyens laïcs, mais il rejette dès le départ « l’ingrédient secret » qui fait en sorte que la religion fonctionne : la croyance en l’existence d’une Puissance supérieure, d’un Dieu ou de dieux extérieurs à l’humanité. Les croyants, en raison de leur foi, comprennent qu’ils ne sont pas le centre du monde, mais font partie de quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. Leur vision la plus fondamentale du monde est basée sur une croyance religieuse : parce qu’ils font partie de « quelque chose de plus grand », la vie est vécue en communauté, et tant les croyants que les non-croyants ont des responsabilités communautaires. Ce point de vue incite les croyants à s’ouvrir sur l’extérieur et à se réaliser en servant les autres.

Michael McConnell, professeur de droit à l’Université Stanford, s’est demandé si les avantages publics de la religion ne sont que la somme de pratiques religieuses individuelles qui pourraient être remplacées par des pratiques laïques (comme le pense Alan de Botton), ou si les avantages de la religion sont le produit de pratiques religieuses agissant en synergie. En affirmant que la pratique de la religion fonctionne comme un système unique, global et complet, il explique très bien pourquoi la religion parvient si bien à former des personnes prosociales qui apportent une si grande contribution à la société canadienne :

« La religion ressemble et diffère, par de nombreux aspects, à une large gamme d’autres préoccupations humaines. La religion est un phénomène singulier, en partie parce qu’elle remplit une si grande variété de rôles dans la vie humaine : c’est une institution, mais c’est plus que cela; c’est une idéologie ou une vision du monde, mais c’est plus que cela; c’est un ensemble de loyautés personnelles et communautaires, semblables aux liens familiaux, mais c’est plus que cela; c’est un aspect de l’identité, mais c’est plus que cela; la religion fournit des réponses aux questions liées à la réalité ultime, et unit à la transcendance; mais c’est plus que cela. La religion ne peut être réduite à un sous-ensemble d’une catégorie plus vaste. Dans un contexte particulier, la religion peut sembler comparable à un autre aspect de l’activité humaine : institution, vision du monde, loyauté personnelle, base de l’identité personnelle, ou réponse aux questions ultimes et transcendantes. Toutefois, aucun autre phénomène humain ne conjugue tous ces aspects; s’il y avait un tel concept, il serait probablement considéré comme une religion » (McConnell, 2000, p. 42).

Tous les Canadiens (y compris ceux qui diraient : « la religion, ce n’est pas pour moi ») profitent des attitudes et des comportements qui sont nourris et développés dans les lieux de culte, et ils profitent aussi du large accès public aux programmes communautaires, lieux de rencontre, dons, bénévoles, etc., des organismes religieux.

Les croyants pourraient énumérer beaucoup d’autres avantages de leur engagement religieux, mais les quatre avantages publics de la religion sont offerts à tous.

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