L’art après le virus : Sept questions pour un secteur en difficulté

Il y a un peu plus d’un an, la Fondation Metcalf a collaboré avec The Philanthropist pour préparer une série d’articles sur la valeur publique des arts et de la culture au Canada. À cette époque, nous désirions mettre en lumière la voix des artistes ainsi que la force et la diversité de la contribution des arts au Canada. Mécènes culturels depuis longtemps, nous voulions aussi souligner le rôle crucial que pourrait jouer la philanthropie tant pour faire connaître ce travail remarquable que pour répondre aux besoins pressants de la communauté artistique.

Alors que nous sommes en plein milieu d’une pandémie, les défis auxquels les arts sont confrontés revêtent une nouvelle urgence. Tous les points soulevés dans la série originale demeurent pertinents, mais les problèmes qui affectent actuellement beaucoup d’organismes artistiques sont devenus existentiels. Si ces organismes survivent, ce sera sous quelle forme? Et comment leur art, leur public, les gens s’adapteront-ils et changeront-ils? Faudra-t-il renoncer à certaines choses? — Ce ne sont là que quelques-unes des questions difficiles imposées par la COVID-19. 

Lorsque les rédacteurs de The Philanthropist se demandaient qui pourrait explorer les répercussions de la pandémie sur le secteur culturel, nous leur avons rapidement suggéré David Maggs.  Périodiquement, nous offrons à une personne remarquable une bourse de recherche en innovation auprès de la Fondation Metcalf. L’an dernier, David Maggs, artiste, auteur, directeur artistique, universitaire et penseur aux larges horizons, est devenu notre plus récent boursier. Il a commencé par réunir des artistes et des professionnels des quatre coins du pays pour un examen collectif du rôle et de la valeur de l’art au 21e siècle. Comme vous le verrez, face à la COVID-19, David Maggs nous met au défi de trouver des possibilités dans les dégâts causés; de laisser de côté la nostalgie de ce que nous avons perdu, pour nous tourner avec enthousiasme vers ce que nous pourrions gagner en laissant l’art et les artistes trouver de nouvelles façons de répondre à des besoins pressants de notre monde transformé, grâce à leur contribution et à leurs talents vitaux. 

Points de vue divergents

J’aborde la question de la vie après la COVID-19 avec un certain déchirement, en raison de mes diverses activités professionnelles. En tant que chercheur principal à l’Institute for Advanced Studies in Sustainability, en Allemagne, je considère la pandémie comme une opportunité. Le ciel est dégagé? Les orques s’ébattent? Les émissions chutent? Comment ne pas être optimiste?

Toutefois, en tant qu’artiste et chercheur dans le domaine des arts au Canada, je vois les choses différemment. Beaucoup de nos rituels culturels s’étiolaient avant la COVID-19. Maintenant nos villes sont fauchées, nos mécènes sont à court d’argent, et les amateurs d’art, plus âgés, ne sont pas à la veille de regagner leurs places. Et cette tragédie n’est pas dénuée d’humour : imaginez que le chant choral (qui est certainement l’activité la plus saine en Occident) est maintenant une activité dangereuse ! Je le concède, les arts semblent condamnés.

Des divergences apparaissent en pleine lumière. Certains veulent que le monde change, d’autres non. Mais n’est-ce pas surprenant de voir combien notre secteur culturel est frappé d’immobilisme, s’appuyant sur des goûts, des valeurs, des comportements et des institutions qui ne changent pas? Est-ce que ce doit être ainsi? Est-ce qu’un riche secteur culturel est nécessairement statique? Ou nous sommes-nous inutilement enfermés dans une bulle?

Alors que s’essouffle la pandémie, on voit se répandre la croyance que nous devrions tout simplement éviter de rebâtir le monde. En fait, dans les années à venir, le statu quo peut se révéler indéfendable. Par ailleurs, si l’on en croit Doug McLennan, blogueur d’ArtsJournal, ce monde n’aura pas beaucoup à nous offrir : « Mettez l’accent sur la reconstruction [et] nous nous retrouverons avec une version réduite d’un modèle qui n’a pas très bien fonctionné. » En ce cas, il s’agit non pas de se demander « si » nous sommes confrontés à un avenir nouveau et peu familier, mais comment nous pourrions mieux procéder et, ce faisant, avec quoi nous pourrions nous retrouver.

Aversion aux pertes

Pour répondre à la question « comment naviguer dans l’inconnu », il peut être utile de réaliser que les êtres humains ont un talent surprenant pour s’accrocher aux modèles de réalité qui sont dépassés. Cette attitude peut entre autres s’expliquer par ce que les économistes béhavioristes appellent « l’aversion aux pertes ». Il s’avère que, en tant qu’être humains, nous sommes deux fois moins disposés à perdre une chose que désireux d’en trouver une autre. En d’autres termes, le désappointement de perdre un dollar correspond à la satisfaction d’en trouver deux.

Pensez à la recherche A Tale of Two Pizzas (Levin et al., 2002), pour laquelle on a demandé à des sujets de préparer et payer des pizzas, soit en éliminant des ingrédients qui garnissaient une pizza déjà prête (de façon à en réduire le coût), soit en garnissant une pâte à pizza (ce qui en augmentait le coût). Constamment, les sujets qui préparaient les pizzas en éliminant des éléments de la garniture payaient plus cher que les sujets qui garnissaient une pâte à pizza. Nous dépensons plus pour nous départir de moins (d’où l’efficacité des garanties de remboursement et des essais gratuits).

À cet égard, il semble que les êtres humains, lors d’une période de changement, ressentent plus vivement une perte qu’un gain. Ce qui pouvait sembler sensé dans la période pré-COVID. Mais dans le monde à venir, cela pourrait entraîner un désastre, la prise de mauvaises décisions, un tollé injustifié, et un silence plutôt que des cris d’espérance.

On pourrait comparer cela à un mauvais réglage du volume dans notre cerveau, qui produirait une piètre réception et une forte résistance. Plus ces circuits nous semblent meilleurs, plus nous nous enfermons dans une crise perpétuelle de la foi, une non-croyance structurelle en un monde meilleur. La préparation peut alors représenter un défi afin de contrer cette optique d’aversion aux pertes, pour mieux définir le monde dont nous avons besoin au lieu de nous cantonner dans la nostalgie d’un monde dont nous n’avons plus besoin.

L’art, après le virus

Si le fait de contrer l’aversion aux pertes (ou simplement d’en prendre conscience) aide à répondre à la question « comment » relativement à notre avenir incertain, qu’en est-il de la question « quoi » : à quoi doit-on s’attarder tout d’abord, lors’on songe à la vie culturelle au Canada dans l’après-COVID? À quoi doit-on renoncer? À quoi doit-on s’accrocher à tout prix? Quoi assimiler au bébé, et quoi à l’eau du bain? Voici sept questions auxquelles notre secteur pourrait réfléchir afin de garder la tête haute dans l’imaginaire du public de demain.

Quel art est bon? Ou à quoi l’art est-il bon?

Dans la stabilité du siècle dernier, les artistes étaient confrontés à un problème simple : quel art est bon? En une ère marquée par le changement, le problème qui se pose est beaucoup plus difficile : à quoi l’art est-il bon?

Si la recherche démontre un éventail de bienfaits sociaux apportés par les arts (santé publique, réduction de la pauvreté, éducation, durabilité, immigration, leadership, etc.), deux difficultés surgissent. Tout d’abord, une grande partie de cette recherche peut s’appliquer au jeu de quilles ou à d’autres moteurs du capital social — pourquoi financer l’art si ça ne coûte rien pour jouer aux quilles? Ensuite, la tentation de prouver la valeur de l’art au-delà de sa préoccupation esthétique met en péril la valeur fondamentale de l’art.

C’est ici qu’une réponse à plusieurs niveaux est utile. Premièrement, peut-on analyser l’impact sans s’attarder à des bienfaits non esthétiques (l’art comme moyen d’accroître les compétences en maths ou le covoiturage)? Deuxièmement, peut-on établir une différence entre les valeurs et l’impact dans les composantes de notre « écosystème », c.-à-d. comment les mécènes doivent-ils considérer l’impact par rapport aux institutions, aux présentateurs ou aux créateurs? Troisièmement, une fois cette différence établie, pouvons-nous réintégrer ces éléments et nuances en un tout cohérent? Avec de la chance, cela permettra à des acteurs variés du secteur de miser sur leurs forces et de fournir une réponse retentissante et coordonnée à une question qui ne fera que se poser avec plus d’insistance : à quoi l’art est-il bon?

Développer notre public ou développer notre art?

Un dilemme marque les rapports entre l’art et la société : faut-il développer le public ou développer l’art? Étonnamment, beaucoup de pratiques mettent l’accent sur le public. Songez à la musique classique. Nous réagissons principalement au déclin de l’auditoire par le « développement de l’auditoire », c.-à-d. des causeries d’avant-concert, des notes de programme et d’autres efforts d’éducation visant à compléter les présentations régulières. L’hypothèse? L’art est correct, c’est le public qu’il faut éduquer.

Et si le public était correct? S’il n’éprouvait pas un mystérieux désir d’opéra ou d’art nouveau en regardant Netflix? S’il n’y a pas de vide à combler, ça n’a pas de sens d’« éduquer » le public pour qu’il revienne. Soit nous suscitons l’intérêt en fonction de l’imaginaire du public, soit nous cessons de prendre l’argent du public.

Toutefois, pour ce faire, il nous faut mener une expérimentation de façon sérieuse. Une enquête créative, avec tous les risques et l’enthousiasme que cela comporte, pour tenter de définir un avenir inconnaissable tant pour l’art que pour le public. Que faire, alors, des orchestres qui exécutent avec automatisme les mélodies de La guerre des étoiles ou de Harry Potter, six fois par saison? Est-ce ainsi qu’on mène une expérimentation sur l’avenir de la musique classique? Ou est-ce un simple numéro pour encaisser de l’argent avant de retourner aux vieilles façons de faire et de poursuivre le déclin?

Est-ce un écosystème ou un zoo?

Dans les demandes de subvention, nous sommes toujours invités à préciser notre rôle au sein des « écologies culturelles ». Sommes-nous à l’aise avec cette métaphore? Évidemment, les écologies saines sont marquées par la mort, la décomposition et le renouvellement. La gestion des écosystèmes l’a appris à ses dépens : le maintien des espèces au sommet, au-delà de leur viabilité compétitive, engendre des systèmes fragiles et peu résilients.

À quoi pourrait ressembler un authentique écosystème culturel? Favoriserait-il des clients de marque reliés à des agents de relations gouvernementales, des lobbyistes chargés de distribuer l’eau et la nourriture en leur faveur? Est-ce que c’est bon pour l’art au Canada? Ou est-ce que cela a contribué à la crise de légitimité à laquelle le secteur fait maintenant face? Sommes-nous mieux servis par des conceptions écologiques plus honnêtes?

Prenons notre exemple de la musique classique. Ici, il est urgent de mener une véritable expérimentation, avec une véritable enquête créative. Qu’est-ce qui nous en empêche? D’importants clients de marque, onéreux, qui ont une aversion aux risques (les espèces au sommet), qui accaparent le gros des ressources et qui empêchent les espèces expérimentales, plus agiles, de percer et d’obtenir du succès. Alors qu’on investit les ressources pour soigner et nourrir une mégafaune solitaire et souvent malade (bélugas, éléphants et orchestres), l’écosystème véritable (rats, pigeons et véritable expérimentation) n’obtient que des miettes tombant de la table des attractions protégées. La plupart du temps, nous ne cultivons pas une écologie, nous dirigeons un zoo.

L’art et l’apocalypse?

Les changements climatiques sont largement compris comme une menace existentielle, et pourtant, en les présentant comme un « problème mondial » qui a besoin d’une « solution mondiale », on laisse peu de place aux réponses émergentes, adaptées aux différences culturelles, qui abordent la crise sur les plans de l’identité, du sens et des fins — des moteurs clés de nos façons d’agir dans le monde. Bien que l’art s’engage de plus en plus dans l’action climatique, les perspectives sur le climat permettent rarement de bien saisir le domaine des arts, et les artistes exploitent rarement les possibilités esthétiques en lien avec le climat. L’échange typique est technique, normatif et instrumental. Pouvons-nous approfondir les relations en clarifiant des modes d’engagement distincts et plus intentionnels?

« L’écologisation du secteur » implique la comptabilité carbone associée à l’activité artistique, ce qui est aussi vital pour le tourisme que pour l’art. Ici, c’est l’art qui est au bout de la chaîne des impératifs climatiques, l’expertise étant reliée à l’ingénierie, à l’efficacité énergétique et à l’évaluation du cycle de vie. L’intention fondamentale est de mesurer et de minimiser l’empreinte carbonique associée à notre activité.

« La sensibilisation » vise l’action climatique artistique en vue d’une prise de conscience et d’une modification des comportements. Le contenu prévoit typiquement des échanges interdisciplinaires, où les informations scientifiques sont communiquées par les arts : hausse du niveau de la mer, fonte des glaciers, désertification, réfugiés, conditions météorologiques extrêmes. On retrouve ici une bonne partie de l’art climatique, ce qui fait en sorte que l’art est encore en substance le récepteur des impératifs climatiques, alors qu’on lui demande d’intensifier les préoccupations et la réactivité.

« La réinvention du monde » fait référence à une catégorie émergente. Au-delà de l’adoption de solutions techniques ou d’une esthétisation des informations scientifiques, l’action climatique mondiale a besoin de l’art pour façonner les nouveaux horizons existentiels et métaphysiques de l’avenir post-carbone, grâce à une enquête esthétique ouverte. Ici, les processus artistiques réécrivent le discours climatique en le dissociant des impératifs scientifiques, en se tournant vers l’art pour explorer les significations, les identités et les fins, au-delà des économies fondées sur le carbone. L’objectif n’est pas d’inspirer et de soutenir l’art climatique qui transmet « le message » aux différentes communautés, mais d’aider les communautés à définir leurs propres visions climatiques par l’entremise de l’esthétisme.

Est-ce que l’art fait des calculs? 

L’avenir numérique est ici, et il est tout aussi perturbateur pour l’art que pour d’autres aspects de notre vie. Les artistes semblent composer de quatre façons avec ces perturbations : utilisation de la technologie à des fins artistiques, utilisation de l’art à des fins technologiques, utilisation de l’art pour comprendre la technologie, et utilisation de la technologie pour maintenir actuelles et visibles les pratiques artistiques. Avec l’aide du Fonds Stratégie numérique du Conseil des arts du Canada, le récent sommet numérique du Banff Centre a dévoilé plusieurs thèmes abordant ces modes d’engagement.

Premièrement, les nouvelles technologies requièrent un intérêt qui remet en question les spécialités disciplinaires et les modèles de travail traditionnels du milieu des arts. Face à la complexité des nouvelles possibilités, de nouvelles collaborations approfondies donnent naissance à des compétences, connaissances et modèles de travail pertinents, qui remplacent les formes statiques de nombreux processus artistiques. Ainsi que le souligne Bart Simon, directeur du Milieux Institute, cet « engagement postdisciplinaire » implique des changements majeurs en matière de politiques, financement, formes, formation et aptitudes.

Deuxièmement, la génération, le partage et l’analyse de données offrent au secteur des occasions de collaborer pour le développement des artistes, de la société et de l’économie. Frédéric Julien et Akoulina Connell ont joué un rôle dans l’exploration de données liées et ouvertes pour le secteur. Pouvons-nous normaliser la façon de représenter divers éléments de la création artistique, pour inscrire en ligne la richesse de notre secteur à l’aide de moyens constants, ouverts et accessibles? Pouvons-nous lier ces données à un portrait cohérent de la diversité culturelle du Canada? Alors que les mégadonnées peuvent sembler intimidantes, se priver d’une représentation en ligne, ouverte et coordonnée, engendrerait un effacement dont nous serions les auteurs irresponsables.

Enfin, la perturbation numérique est profondément paradoxale, en ce qu’elle invite à un accès sans précédent (reliant les individus et les communautés dans un monde connecté à l’échelle planétaire) tout en amplifiant les schémas d’exclusion. Les cadres de l’anti-oppression et de l’antiracisme doivent guider notre réflexion et nos actions pour que, en matière numérique, les politiques, la gouvernance, l’infrastructure, les processus, les possibilités et les technologies bâtissent des cadres justes, accessibles et équitables.

Pouvons-nous vivre ensemble?    

Ce qui nous amène à considérer de façon urgente l’équité — qui, au Canada, met l’accent sur la diversité et l’indigénisation. En tant qu’homme blanc hétéro de la classe moyenne, enraciné dans la culture occidentale et les traditions intellectuelles, je ne prétends pas être expert en matière d’équité. Et je n’aborde pas ce sujet afin de sembler à la page sur le plan moral — je suis très maladroit en la matière. J’en parle ici parce que, comme l’a déclaré ma collègue Shannon Litzenberger, si nous croyons que les artistes façonnent le monde et que l’art est un moteur de l’être, la question la plus importante à se poser maintenant est celle-ci : « Pouvons-nous vivre ensemble? »

De toutes les récentes victoires de l’extrême-droite, l’une des plus importantes est peut-être l’éviction du libéralisme de la gauche — elle semble avoir entraîné la gauche dans une bataille de rue où les tactiques et les stratégies se reflètent comme en un miroir : susciter la haine, la colère et la honte; créer avec panache des boucs émissaires, des hommes de paille et des bonhommes Sept-Heures; et manifester une intolérance de plus en plus symétrique. Comme l’a récemment affirmé Steven Lewis : « Les tentatives pour limiter le débat et le dénigrement des débatteurs sont des preuves encore plus préoccupantes de la culture problématique qui prévaut chez trop de personnes de la gauche… C’en est assez des remontrances, c’en est assez de la censure, c’en est assez du dogmatisme, c’en est assez des attaques contre des gens bien. »

Car, contrairement à l’extrême-droite, la gauche a quelque chose à perdre ici. Le libéralisme, mesuré à l’aune de son engagement fondamental à accepter et à respecter les points de vue différents des personnes que nous côtoyons, est certainement inhérent à ce que la diversité représente, implique et exige. Il est préoccupant de voir cet engagement fondamental s’affaiblir dans l’espace public et dans le discours politique du secteur culturel canadien.

En essayant de clarifier et de promouvoir les vertus et les valeurs de la diversité, il conviendrait peut-être que, en tant que secteur, nous développions notre rhétorique et notre approche, en intégrant à ces bases morales une prise de conscience : dans les espaces-problèmes contemporains, l’intelligence fonctionnelle a besoin de la divergence. Nos rapports avec la diversité, l’Indigénéité et l’équité ne sont pas simplement un impératif moral, mais un avantage stratégique. Ce n’est pas seulement bien, mais mieux.

De toute façon, qu’est-ce qu’on fait ici?

À la suite de ce que nous avons vécu ces derniers mois, la pression sur notre secteur pourrait difficilement être plus grande. Si l’art est un bien public, nous ferions mieux de le prouver. Et pourtant, si l’on nous demande si ce « bien public » est enraciné dans une valeur artistique ou une valeur sociale, nous ferions mieux de répondre « sociale », sous peine de faire rire de nous. Est-ce que cela veut dire que nous avons enfin trouvé à quoi sert l’art? Ou que nous en avons complètement perdu le sens? Comment une question aussi fondamentale peut-elle nous être posée sans qu’on y ait pensé? Qu’est-ce qu’on fait ici?

Nous ne cessons de marteler que l’art peut changer le monde, mais nous n’avons que des réponses vagues lorsqu’on nous demande comment. À la poursuite de l’« utilité », les dernières décennies ont été témoins d’une instrumentalisation croissante de l’art, qui a presque toujours déçu nos aspirations transformatrices. En cette époque d’« utilité » et d’« impact », peut-être que la vision la plus radicale ne consiste pas à instrumentaliser l’art, mais à esthétiser le monde. La première vision assimile l’art à un outil au service de la rationalité de notre époque. La deuxième s’emploie d’abord à déraciner cette rationalité, car des alternatives éblouissantes jaillissent des rêves qui portent cette vision.

Afin de concrétiser celle-ci, l’art, après le virus, doit s’efforcer de concilier ses impératifs divergents. L’incertitude qui pèse sur notre avenir collectif exige que nous commencions par nous laisser transformer nous-mêmes par l’urgence sociale de notre temps. Toutefois, simultanément, il est vital que nous demeurions enracinés dans l’intégrité de nos processus et passions artistiques. Sans ces processus, nous ne convaincrons personne d’autre que nous-mêmes de notre valeur profonde. Et sans ces passions, nous participerions à la lutte pour un monde meilleur sans avoir grand-chose à offrir. Pour paraphraser librement Yogi Berra, lorsqu’un paradoxe se présente devant toi, saisis-le.

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