Opinion

Lettre ouverte aux administrateurs, DG et PDG des organismes de bienfaisance et OBNL canadiens

Chers collègues,

Tout d’abord, je veux vous remercier pour le travail que vous accomplissez, avec votre personnel et vos bénévoles, pour assurer la sécurité des Canadiens durant la pandémie. Vos efforts héroïques ne sont pas passés inaperçus et méritent notre reconnaissance. Je sais aussi que les Canadiens compteront sur vous lorsqu’ils aborderont lentement, mais avec confiance, la phase de relèvement à l’issue de cette crise.

Mais notre pays doit aussi prendre conscience d’une autre crise. Le fléau du racisme freine les perspectives de sécurité, de sûreté et d’avenir de toutes ses victimes. Et ses effets sont particulièrement pervers pour les Canadiens noirs et les peuples autochtones au Canada. Les Canadiens le savent; ils ont marché dans les rues en exigeant avec véhémence qu’on mette fin au racisme. Les gouvernements, les entreprises, les médias et d’autres institutions mènent une autoréflexion sérieuse en se demandant : qu’avons-nous fait pour reconnaître et combattre toutes les formes de racisme?

Mais qu’en est-il des organismes de bienfaisance et des OBNL?

En juin 2019, le Comité sénatorial sur le secteur de la bienfaisance a déposé son rapport final. Noyée parmi les 42 recommandations, l’une d’entre elles mérite d’être réexaminée, étant donné le contexte actuel. Dans le rapport, nous avons relevé la taille, la portée et l’influence du secteur. Nous avons mentionné qu’il touche tous les aspects de notre vie, de la religion aux sports, des enfants aux aînés. En outre, son poids est considérable sous d’autres aspects : il contribue au PIB à hauteur de 8 % et emploie près de deux millions de Canadiens. Mais qu’en est-il de sa diversité?

Malheureusement, l’absence de données nous empêche d’apporter des réponses fiables à ces questions. Une consultation en ligne a été menée en lien avec l’étude du Sénat; sans être statistiquement significative, elle a toutefois permis de découvrir que plus de la moitié des organismes ayant répondu au sondage ne recueillaient pas de données sur la diversité de leur personnel ou des membres de leur CA.

Par ailleurs, des études menées par des établissements universitaires — tels que le Diversity Institute de l’Université Ryerson — dressent le tableau d’un secteur qui ne semble pas vouloir passer de la parole aux actes. Les preuves disponibles ne sont pas encourageantes. En 2017, les minorités racisées constituaient 54 % de la population totale de la Région du Grand Toronto. Toutefois, leur représentation dans des rôles de leadership au sein du secteur bénévole était loin d’être équivalente. Seulement 38 % des CA sondés comptaient au moins 20 % de leaders issus d’une minorité racisée, et 19 % n’en avaient aucun. Fait également important, 38 % des équipes dirigeantes comptaient au moins 20 % de membres issus d’une minorité racisée, tandis que 52 % n’en avaient aucun.

Le Sénat a recommandé qu’on commence à recueillir des données sur la diversité dans le secteur de la bienfaisance. Il a recommandé que l’Agence du revenu du Canada (ARC) ajoute aux formulaires T1044 et T3010 des questions sur la représentation de la diversité dans les CA, d’après les définitions actuelles sur l’équité en matière d’emploi.

De cette façon, les données pourraient être agrégées afin de tracer un portrait de la diversité dans le secteur, sur une base annuelle. En se fondant sur des preuves concrètes, le pays et le secteur pourraient voir si des progrès ont été réalisés, de quelle manière et à quel niveau.

Depuis sa déposition par le Sénat, le rapport a été dépassé par les événements. Le Parlement ne s’est pas régulièrement réuni, et le rapport du Comité sénatorial sur le secteur de la bienfaisance n’a pas fait l’objet d’un débat et n’a pas été approuvé. Cependant, il est encore plus nécessaire de s’assurer que les leaders reflètent la diversité de la population de notre pays. Le secteur ne peut attendre que les recommandations du rapport soient appliquées. Il doit passer à l’action maintenant. Cette action est maintenant entre les mains de ses leaders.

Tous les organismes de bienfaisance et OBNL peuvent entreprendre un tel examen de façon volontaire, annuellement. Et surtout, d’importants organismes qui regroupent des membres (par exemple, Imagine Canada, Fondations communautaires du Canada, Ontario Nonprofit Network et Fondations philanthropiques Canada) peuvent demander à leurs membres de dévoiler ces données sur une base volontaire. Comme ces organismes comptent beaucoup de membres, cela permettrait de constituer une bonne base de données en vue de tirer des conclusions. Recueillies annuellement, ces données inciteraient à fournir un portrait national de la diversité dans le secteur. Étant aux commandes, le secteur pourrait choisir de désagréger les données afin de mieux comprendre les enjeux relatifs à la race et à l’intersectionnalité. Et ce qui est le plus important, les preuves pourraient mener à l’action : possibilité de comparer succès et défis, et de partager des pratiques exemplaires. Tout cela, sans recourir à la législation.

Le secteur pourrait aller plus loin. Il pourrait faire en sorte que la divulgation d’une telle information devienne un critère pour tous les membres, rendant ainsi cette divulgation obligatoire au sein des associations. Cela enverrait un signal fort de leadership au reste du Canada.

Les organismes de bienfaisance et les OBNL sont souvent contrariés et paralysés par le gouvernement fédéral dans leurs efforts pour accomplir leur mission. Le secteur a pressé le gouvernement de prendre la situation plus au sérieux, comme il le devrait. Et pourtant, voici une occasion de montrer le sérieux du secteur de la bienfaisance pour cette question qui est une urgence nationale. Il est temps que le secteur assume son rôle de leader, qu’il montre la voie aux autres, afin que les autres puissent suivre.

Je presse le secteur de répondre à cet appel, d’être un leader et un champion de la diversité et de l’inclusion. Dans la lutte contre le racisme, ce n’est pas la seule étape à franchir. Mais c’est la première, qui permettra la réflexion et le changement en s’appuyant sur des preuves.

On m’a souvent demandé si le secteur est mûr pour ce changement. Mes observations, à ce jour, pourraient se résumer ainsi : l’esprit du secteur est fort, mais sa chair est faible.

J’espère de tout cœur que vous me prouverez que j’ai tort.

Sincèrement,

L’honorable Ratna Omidvar, C.M., O.Ont.

Sénatrice indépendante de l’Ontario

Sénat du Canada

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