Les organismes à but non lucratif s’attaquent aux grands problèmes : la pauvreté, les inégalités en matière de santé, d’éducation et d’accès au travail, la discrimination sexuelle et raciale, les crises des réfugiés, l’insécurité alimentaire, le développement communautaire, etc. Cependant, un défi transversal exige une contribution à un autre niveau : la crise climatique. Dans cette série, la journaliste Diane Bérard se penche sur les raisons pour lesquelles les organismes à but non lucratif et les groupes de la société civile devraient faire de la transition socioécologique un élément central de leur stratégie, les moyens d’y parvenir et l’aide que peuvent offrir les bailleurs de fonds. Elle s’est entretenue avec sept organismes aux missions très différentes, qui contribuent toutes à la transition à leur manière.
Le fait de se rencontrer, de s’amuser, d’imaginer, de partager et de tester ses idées entraîne la mobilisation de la communauté. Dans notre septième et dernier profil de Mission Transition, nous nous penchons sur Solon, un organisme montréalais sans but lucratif issu d’un mouvement citoyen qui se concentre sur la mobilité, l’énergie et les « tiers-lieux », soit des lieux distincts de la maison (le « premier lieu ») ou du bureau (le « deuxième lieu »).
Solon (Montréal)
Bertrand Fouss, co-fondateur et responsable du développement et des partenariats
Mission : accompagner des quartiers et des groupes citoyens dans leurs projets de transition socio-écologique.
En quoi consiste Solon?
Bertrand Fouss : Solon est un organisme à but non lucratif basé sur l’action citoyenne. En 2015, un groupe de voisins de Rosemont s’est réuni pour améliorer leurs milieux de vie grâce à des projets simples, comme des ruelles vertes, contribuant ainsi à la lutte aux changements climatiques. Il a tissé les liens sociaux et nous a inspiré confiance dans notre capacité d’agir collectivement. Un projet plus important pour contribuer à la décarbonisation de nos communautés a vu le jour : un réseau géothermique local. L’énergie, stockée sous forme de chaleur sous la surface de la Terre, est utilisée pour chauffer les bâtiments résidentiels, commerciaux et industriels. Notre projet énergétique nommé Celsius a entraîné la mise en place de notre structure à but non lucratif en 2016. Le premier employé a été embauché en 2017. Depuis le printemps 2022, nous sommes plus de 25 employés.
Pourquoi avez-vous choisi le nom Solon?
BF : Solon était un poète et homme d’état grec du sixième siècle avant Jésus-Christ. Il est considéré comme un des pères de la démocratie et, en particulier, de la participation du peuple à la chose publique. Il fut donc une source d’inspiration parfaite, car l’action citoyenne est notre fondement.
Comment définissez-vous la transition socio-écologique?
BF : Il en existe mille et une faces. Nous avons travaillé avec la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM pour les répertorier. Du 9 juin au 6 juillet 2020, dix équipes de quatre participants ont travaillé sur des événements d’un récit pour la Transition socio-écologique. Quatre thèmes ont été traités : notre rapport au temps, se réapproprier l’économie, la résilience, et la justice sociale. Les participants ont imaginé, par exemple, leur semaine idéale : respect de nos énergies et de nos besoins, plutôt qu’un rythme imposé; avoir la place pour improviser et trouver des temps communs à partager; reconnaître toutes formes de travail, dont le bénévolat, et valoriser le temps dédié à la collectivité, et enfin se donner l’espace pour prendre soin de soi et des autres.
La communauté de Solon a co-écrit un récit de transition. Quelle est la suite?
BF : Il s’agit d’un document vivant. J’espère qu’il sera mis à jour et que la communauté se l’appropriera. Il peut être une source d’inspiration pour une pièce de théâtre, une animation de rue ou de parc, un atelier, une classe et toute autre activité culturelle ou sociale.
Quel type d’assistance Solon fournit-il aux citoyens et aux quartiers dans leur parcours de transition?
BF : Notre équipe peut les aider à définir leur projet ainsi qu’à trouver des partenaires, des réseaux, du financement et tout ce qui est nécessaire pour concrétiser une idée. Pour les projets plus complexes, nous formons une équipe interne dédiée. Solon incube parfois des projets imaginés par un tiers.
Quels problèmes de transition Solon aborde-t-il?
BF : Nous travaillons sur la mobilité, l’énergie et les tiers-lieux. La mobilité et l’économie d’énergie n’ont plus besoin d’être expliquées, mais je vais vous parler de la pertinence des tiers-lieux. L’action citoyenne se produit lorsque les gens se rencontrent. Les tiers-lieux sont des lieux de rassemblement distincts de la maison ou du bureau. Solon crée des espaces où les gens se rencontrent, s’amusent, célèbrent, imaginent et testent leurs idées de transition.
Pouvez-vous donner des précisions sur vos projets?
BF : Nos projets de mobilité de quartier comprennent le covoiturage entre voisins par l’entremise d’une plateforme de réservation, l’accès gratuit aux vélos et aux vélos-cargos, et des promenades à vélo pour les personnes âgées. Les vélos ont été financés par des fonds municipaux. Le projet Celsius est désormais géré par la Coop Celsius. Les membres sont des résidents des deux immeubles touchés et des citoyens intéressés par le projet ou par des projets semblables. La Coop Celsius a reçu des subventions gouvernementales dans le cadre du Programme de préparation à l’investissement, ainsi qu’un financement philanthropique de la Fondation familiale Trottier. En novembre 2021, un premier puits est creusé dans la cour d’une résidence privée pour contourner la réglementation sur les terres publiques. La Ville de Montréal porte un grand intérêt à Celsius, car elle la considère comme une vitrine technologique de la transition énergétique. Nous travaillons ainsi sur le Lab Celsius, un groupe de réflexion collectif informel pour tester différentes technologies de transition énergétique. La Coop Celsius est un projet, alors que le Lab Celsius est une initiative de décarbonisation à long terme.
En 2019, Montréal a été l’une des vingt finalistes du Défi des villes intelligentes du Canada. La Ville avait inclus Solon dans son dossier de candidature. Quelle a été votre contribution?
BF : Le Défi des villes intelligentes incite les Villes à explorer de nouvelles façons d’améliorer la vie des citoyens grâce à l’innovation, aux données et aux technologies connectées. Montréal a organisé des ateliers pour recueillir des idées en vue du dépôt de sa candidature en avril 2018. Solon a contribué par sa vision de la mobilité, qui a été retenue pour la candidature de la ville. Après avoir obtenu la subvention de 50 millions de dollars, la Ville a fondé Montréal en commun, une communauté qui met en œuvre 13 projets liés à l’alimentation, à la mobilité et à la réglementation. Solon chapeaute les projets de mobilité. Au cours des trois prochaines années, nous allons travailler à la mise à l’échelle. Par exemple, en mars 2022, un groupe de citoyens de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal a lancé sa version de LocoMotion, l’initiative de vélo et de vélo cargo.
Comment Solon contribue-t-il à la transition socio-écologique?
BF : Nos projets réduisent les émissions de gaz à effet de serre; c’est la partie mesurable. Cependant, je ne crois pas que c’est notre contribution la plus importante. Nous changeons le contexte des initiatives de transition avec l’aide d’autres groupes. Nous les rapprochons de la vie des gens. Par exemple, Solon fait partie d’un mouvement qui a influencé le Plan stratégique Montréal 2030. Cette vision décennale repose sur quatre piliers, dont le premier consiste à accélérer la transition écologique.
Quels sont les leviers les plus importants de la transition?
BF : Je citerai deux leviers sous-utilisés : la narration et la réglementation. La transition socio-écologique est un projet social et collectif, et non une question de technologie. Nous devons donc trouver le moyen d’en faire une histoire pour tout le monde. De plus, la réglementation est essentielle. Aucune transition n’est possible sans elle.
Quel est le principal obstacle?
BF : La culture individualiste dans laquelle nous vivons nous amène à réagir fortement à cette transition. Il faut parler de sobriété d’une manière ou d’une autre : notre richesse est générée par un système qui approche de son point de rupture. La question est la suivante : comment échapper à la boucle de « toujours plus »? Comment faire pour que « moins » devienne synonyme de « mieux »?
Supposons que vous soyez invité à vous adresser à un groupe de fondations. Quel serait le sujet de votre présentation?
BF : Je parlerais de temps et d’argent, en commençant par demander aux fondations : « Avez-vous la patience de travailler avec nous? » La transition socio-écologique est une question urgente, mais aussi un processus à long terme. Elle nécessite des moyens énormes, bien au-delà de la contribution individuelle des citoyens. Je mettrais donc les fondations au défi d’utiliser leur expertise afin de concevoir des outils financiers novateurs pour des projets qui se mesurent autrement qu’avec le rendement traditionnel du marché. Enfin, je voudrais m’assurer que les fondations comprennent bien que la transition n’est pas une nouvelle catégorie de financement. Il s’agit d’un enjeu horizontal lié à tous les dossiers.