Nourrir la santé : Transformer la nourriture dans le secteur des soins de santé en utilisant des innovations de systèmes


Depuis trop longtemps, la nourriture en milieu hospitalier a été associée à une « mauvaise nourriture ». Cependant, une initiative appelé « Nourrir la santé » a pour objectif de changer cette idée en utilisant le pouvoir de l’alimentation pour améliorer la santé des personnes dans le secteur des soins de santé.

« La nourriture en milieu hospitalier ».

Pour la plupart des gens, les images de pains de viande trop secs, de légumes trop cuits et de gelée glissante sont associées à la « mauvaise nourriture » des milieux hospitaliers.

Comme l’explique André Picard dans un article du Globe and Mail de 2019, depuis trop longtemps, « nourrir les patients a été considéré comme une corvée, semblable à celle de faire la lessive; quelque chose qui doit être fait sans dépenser trop d’argent et le plus efficacement possible. Des cliniciens aux directeurs, la mentalité a toujours été de penser que si les gens ne sont pas contents avec la nourriture, ils n’ont qu’à rentrer chez eux ». Heureusement, ajoute-t-il, « une révolution alimentaire est en cours dans les hôpitaux […] pour rendre les plateaux plus appétissants, plus conviviaux pour les patients et plus respectueux de la planète ».

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Tout commence avec l’initiative collaborative appeléeNourrir la santé, qui a pour objectif d’essayer de changer les systèmes alimentaires dans les hôpitaux. L’interface entre les différents systèmes est souvent un élément négligé pour effectuer des changements de systèmes, généralement en raison des structures managériales qui régissent les silos et non à cause des interfaces entre eux. Axée sur l’interface entre la nourriture et les soins de santé, l’initiative Nourrir la santé vise à essayer d’apporter des changements aux deux secteurs. Même si en principe le système de soins de santé reconnaît l’importance des déterminants sociaux liés à la santé, dans la pratique la nourriture dans les milieux hospitaliers a été trop souvent traitée comme un moyen de faire des économies, plutôt qu’un outil pour faire progresser la santé individuelle tout en soutenant l’alimentation produite de manière durable et l’inclusion sociale par le biais de menus culturellement appropriés.

Nourrir la santé joue le rôle de « Catalyseur de terrain » en créant une communauté de leadership flexible composée d’acteurs divers ayant un engagement commun pour changer les systèmes, ce qu’aucune partie ne pourrait accomplir seule. Il s’agit d’une approche de l’innovation des systèmes qui, selon nous, contient des leçons transférables aux bailleurs de fonds et aux praticiens travaillant dans d’autres domaines.

Nourrir la santé est un travail en cours. Avant de décrire la manière dont cette initiative a accompli des résultats tangibles durant sa première phase, nous devrions avant tout présenter la théorie générale des systèmes et la manière dont elle fonctionne.  

Prendre en compte la complexité des systèmes sociaux

La théorie générale des systèmes nous aide à comprendre comment les systèmes sociaux réagissent. Elle inclut des concepts tels que la « complexité dynamique », qui décrit les connexions non évidentes et les surprises pouvant se produire entre l’intention, les interventions conçues et les résultats. Elle nous aide à comprendre les « délais » lorsque des mois, voire des années, s’écoulent entre les actions et leurs conséquences. Elle inclut également les « points de basculement »; lorsque les systèmes changent rapidement, pour le meilleur ou pour le pire. Au-delà de ces caractéristiques techniques, les systèmes sociaux sont différents parce qu’ils sont sociaux : ils sont façonnés par les acteurs du système eux-mêmes. Il n’y a aucune système externe qui existe séparément de nos façons de penser et de la manière dont nous percevons à l’interne.

Les systèmes sociaux, comme les écoles, les lieux de travail, les familles ou les programmes alimentaires hospitaliers sont soutenus par des normes institutionnelles et culturelles, des croyances humaines et des activités prescrites. Ils relient des éléments tangibles « extérieurs », tels que des mesures, des structures formelles et des politiques, à des modèles mentaux et des comportements « intérieurs » qui sont souvent invisibles.

Chose surprenante, pour certains, cela signifie que le véritable changement systémique devient un processus très personnel. En pratique, les frontière du système que nous traçons dépendent de notre objectif (les questions que nous voulons poser et les problèmes que nous voulons résoudre) ainsi que du réalisme dans la promotion des collectivités de leadership prêtes à faire le travail difficile.

Réimaginer ce que pourrait être une alimentation hospitalière respectueuse du climat et des patients, lors du symposium Nutrition et Santé 2019 de Nourrir la santé, à Toronto. PHOTO DE CONNIE TSANG.

Par conséquent, le changement systémique traverse un territoire intérieur-extérieur complexe. « Ce n’est que par la réflexion que nous changeons notre histoire », a déclaré le biologiste chilien Humberto Maturana. Pourtant, pour les personnes travaillant sur des problèmes complexes, tout en naviguant durant une crise comme celle de la COVID-19, il peut être difficile de trouver le temps nécessaire à la réflexion. Par conséquent, il est essentiel de rester ouvert à une vision différente de nos pensées. Étant donné que personne ne peut avoir une vision complète d’un problème complexe, la seule solution est de créer des collectivités de leadership qui intègrent des points de vue différents. À partir de là, il devient possible de créer des réseaux de confiance entre pairs, de mettre en commun la capacité collective d’apprendre et d’innover, de forger des visions communes et de relier différentes stratégies pour changer les systèmes.

Grâce à leur capacité à sensibiliser les personnes dans un domaine particulier au niveau d’un système, par la réflexion et la conversation générative, les leaders de systèmes ont les compétences nécessaires pour faciliter la collaboration. Ils aident les gens à passer de la résolution réactive des problèmes à la cocréation de futurs alternatifs.

Nourrir la santé – au carrefour de deux systèmes

La phase initiale de l’initiative Nourrir la santé était une collaboration organisée par la Fondation McConnell, avec des partenaires comme Réseau pour une alimentation durable, Health Care Without Harm, SoinsSantéCAN, le Sustainable Food Lab, la Coalition canadienne pour un système de santé écologique et l’Academy for Systems Change. Cette initiative est née des nombreux efforts déployés pour encourager les établissements d’enseignement et de santé à se procurer et à servir davantage d’aliments locaux.

Une cohorte de 26 « innovatrices et innovateurs de Nourrir la santé » a été recrutée pour participer à une expérience de deux ans qui tenait à la fois du programme de développement du leadership, du laboratoire d’innovation et de la communauté de pratique. Ces innovatrices et innovateurs venaient de petits établissements de soins de longue durée, de centres de santé autochtones, de grands hôpitaux et d’autorités sanitaires provinciales. Chacun d’entre eux avait la responsabilité d’établir des menus, d’acheter ou de superviser les services alimentaires.

Les innovatrices et innovateurs de Nourrir la santé ont mis en œuvre des projets visant à modifier les services alimentaires au sein de leurs propres organisations en introduisant des programmes d’alimentation traditionnelle et culturelle, des modèles de « service aux chambres » où les patients peuvent commander à partir de menus, des audits sur les déchets, des panels de dégustation, des achats d’aliments locaux et biologiques impliquant des agriculteurs, des pêcheurs et des entrepreneurs locaux, ainsi que des efforts de durabilité; tels que la réduction de la viande et des emballages, la plantation de jardins et la construction de ruches. Parallèlement, les employés de l’équipe Nourrir la santé ont élaboré un réseau d’apprentissage plus large composé d’organisations, de décideurs, d’universitaires et de bailleurs de fonds dont le thème principal est « des aliments pour la santé ».

Bien qu’il reste beaucoup de travail à faire d’ici la fin de la phase initiale, des changements ont déjà été constatés dans la façon de penser et dans les pratiques, tant dans le secteur des soins de santé que parmi les entreprises de services alimentaires et les fournisseurs locaux. Lors d’entretiens externes menés à la fin du programme initial, le responsable en développement durable d’une entreprise nationale de services alimentaires a déclaré : « Les demandes d’aliments locaux de la part des clients du secteur de la santé ont augmenté davantage au cours de la dernière année que pendant les cinq dernières années réunies ». Une autre personne interrogée a noté que l’alimentation dans le secteur de la santé était devenue « une histoire de cœur, plutôt qu’un sujet ésotérique. Ils l’ont rendu amusant ». Même durant une pandémie, de tels points de vue montrent l’impact croissant que l’initiative continue d’avoir au niveau des institutions et des politiques à travers le Canada.

En réfléchissant au parcours de Nourrir la santé à date, quelques leçons ressortent :

1. Les changements à fort effet de levier peuvent se cacher à la vue de tous

Jay Forrester, le père de la dynamique des systèmes, a déclaré que les points de levier étaient contre-intuitifs par rapport à la pensée de la plupart des gens, qui est façonné par leur expérience dans un système dans lequel ils sont intégrés ainsi que par une familiarité de cause et d’effet linéaire simple.

Dans la plupart des hôpitaux, l’alimentation est gérée dans le cadre des opérations, au même titre que le stationnement et la blanchisserie. Les cuisines sont généralement situées à l’abri des regards dans les sous-sols. Si on les interroge sur l’alimentation en milieu hospitalier, la plupart des cadres hospitaliers répondront qu’ils essaient d’accroître la satisfaction des patients tout en contrôlant les coûts. L’idée que la restauration puisse contribuer à améliorer les résultats en matière de santé est encore peu répandue. Elle ne fait pas partie des soins cliniques.

Cependant, nous savons que la nourriture à un énorme impact sur la santé. Les régimes alimentaires sains sont associés à un meilleur bien-être physique et mental et pourraient contribuer à inverser le lourd bilan de l’obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires sur la santé humaine et fiscale.

« Travailler avec la nourriture a des effets à la fois immédiats et profonds », explique Jennifer Reynolds, codirectrice de Nourrir la santé. « Un bon repas sur le plateau d’un patient montre qu’on prend soin de lui. On le relie à la communauté, à la culture et à la terre. Bien manger à l’hôpital favorise la guérison et une meilleure prise en charge individuelle. Les gens sont motivés par l’exemple qui leur est donné ».

En créant un équilibre axé sur les soins intensifs avec des stratégies de prévention et de santé de la population pour maintenir les gens en bonne santé et hors des hôpitaux, l’alimentation apparaît comme un investissement à fort effet de levier pour le bien-être des gens, plutôt qu’un coût qu’il faut contrôler.

2. La hiérarchie peut masquer les points de levier d’un système

Les soins de santé sont un système hautement structuré et hiérarchisé. Les conseils d’administration des hôpitaux, les cadres et les cliniciens guident les investissements majeurs dans l’expansion et l’amélioration des immobilisations. Les responsables des services alimentaires n’occupent pas un rang très élevé. Néanmoins, Nourrir la santé s’est principalement concentrée sur les cadres intermédiaires qui prennent des décisions quotidiennes en matière d’alimentation. Le soutien de la haute direction était nécessaire pour rejoindre la cohorte. Cependant, les participants étaient des professionnels, notamment des directeurs de services alimentaires, des responsables des achats et des diététiciens. « Nous sommes partis de l’idée que ces personnes avaient un désir et un pouvoir inexploités de faire des changements et qu’avec plus d’informations, d’outils et de soutien par les pairs, elles pouvaient apporter des changements significatifs dans les achats et l’approvisionnement de leur organisation », explique Hayley Lapalme, codirectrice de Nourrir la santé. « Faire partie de quelque chose de plus grand que leur organisation leur a donné une crédibilité supplémentaire en tant qu’individus et gestionnaires ».

Lorsque Josée Lavoie, responsable du service alimentaire et innovatrice de Nourrir la santé, est arrivée au Centre hospitalier universitaire mère-enfant Sainte-Justine de Montréal en 2009, d’importantes rénovations des cuisines, datant de 1954, étaient prévues. Son équipe et l’hôpital ont profité de cette occasion pour repenser le service alimentaire et passer à un modèle de « service aux chambres », dans lequel les patients peuvent choisir parmi des menus approuvés par des diététiciens. Le service aux chambres fonctionne de 6 h 30 à 19 h et les repas sont livrés aux patients en moins d’une heure.

« Quand on est hospitalisé », explique Josée Lavoie, « on perd le contrôle de tellement de choses. Le service aux chambres redonne le choix aux patients et humanise le service de restauration ». Après ce changement, la satisfaction des patients a grimpé de 50 % à 99 %. « Nous avions l’habitude de jeter 25 % de ce qui se trouvait sur les plateaux de nourriture. Maintenant, nos déchets ne sont plus que de 5 %. Tout cela a été réalisé sans changer le nombre d’employés », ajoute-t-elle.

Sainte-Justine est l’un des huit hôpitaux au Canada à avoir mis en place un tel service pour les patients. Tous ont constaté une amélioration significative de la satisfaction des patients et une réduction des déchets alimentaires. Après avoir rencontré Josée Lavoie, Michelle Nelson, innovatrice de Nourrir la santé, a décidé de mettre en place ce modèle d’alimentation dans son hôpital albertain. Même si ce modèle nécessite des investissements et des efforts au tout début du projet, des preuves anecdotiques indiquent de meilleurs résultats cliniques et des séjours hospitaliers plus courts. Par conséquent, de tels résultats justifient une étude plus approfondie.

Avec le soutien de Nourrir la santé, Lavoie a plaidé pour que des critères de durabilité soient inclus dans son groupement d’achat et a travaillé avec l’organisation environnementale québécoise Équiterre pour obtenir davantage d’aliments locaux et biologiques. Les économies réalisées grâce à la réduction des déchets alimentaires ont compensé la hausse des prix. En outre, les communications de l’hôpital ont souligné également l’importance de réduire les pesticides dans les aliments servis aux jeunes patients. Il n’en reste pas moins qu’il n’a pas été facile d’apporter des changements aux canaux de distribution et aux relations d’achat groupé bien établies avec d’autres hôpitaux.

Les réalisations des innovatrices et innovateurs de Nourrir la santé montrent comment des « intrapreneurs » talentueux peuvent apporter des changements au sein de leur propre organisation en générant des preuves de concept crédibles et convaincantes permettant d’obtenir plus facilement le soutien des hauts dirigeants.

3. Le pouvoir des pairs

Un proverbe bien connu d’Afrique de l’Est dit : « Si vous voulez aller vite, allez-y seul; si vous voulez aller loin, allez-y en groupe ». Comme leurs homologues entrepreneurs, les intrapreneurs peuvent se sentir isolés, non appréciés et déconnectés d’une communauté d’apprentissage qui renforce et soutient leurs efforts. Faire partie d’une cohorte de pairs peut fournir des conseils et un retour d’information essentiel de la part de personnes qui partagent les mêmes défis et aspirations.

Kathy Loon, responsable des programmes traditionnels et directrice du service alimentaire du centre de santé Meno Ya Win de Sioux Lookout, dans le nord-ouest de l’Ontario, souhaitait offrir davantage de « nourriture traditionnelle » aux patients autochtones. Elle gère le programme Miichim (nourriture en ojibway), qui apporte des aliments prélevés dans la nature et du gibier aux patients qui souhaitent un repas traditionnel, en proposant des aliments comme de l’orignal, du caribou, du cerf, de la perdrix, du lapin et des bleuets.

« D’un point de vue holistique, quand on est malade physiquement, on l’est aussi spirituellement », explique Loon. « Proposer un repas traditionnel à quelqu’un peut lui faire oublier sa situation, même pour un bref instant. Manger quelque chose qui est culturellement normal peut améliorer le confort, le plaisir et le bonheur des patients autochtones ».

Le programme Miichim est soutenu par le conseil d’administration de l’hôpital, son directeur général et ses directeurs principaux. « Préparer de tels repas une ou deux fois par semaine ne peut pas être assignée à une seule personne. Tout l’hôpital doit y participer ».

À quatre cents kilomètres de Sioux Lookout, dans la ville de Thunder Bay, Dan Munshaw, un innovateur de Nourrir la santé et directeur de la gestion des approvisionnements de la ville, a travaillé très dur pour introduire des aliments locaux dans les repas des établissements de soins de longue durée et dans d’autres lieux en créant des « contrats d’achat à terme » avec les producteurs locaux, dans lesquels l’acheteur s’engage à effectuer un achat saisonnier, réduisant ainsi le risque pour les producteurs locaux et garantissant un approvisionnement plus fiable.

Son travail est devenu une véritable réussite. Cependant, avant de rencontrer Loon, il en savait peu sur l’accès des peuples autochtones à une nourriture traditionnelle. Inspiré par la passion de Loon à intégrer une culture alimentaire dans les soins aux patients de Meno Ya Win, Munshaw s’est donné comme objectif de servir des aliments autochtones et traditionnels aux stades et arénas de Thunder Bay, en les achetant auprès de fournisseurs, de cultivateurs et de récoltants traditionnels.

Il s’est servi de ses contacts au sein du gouvernement pour établir un partenariat de partage des aliments entre le ministère des Ressources naturelles et Meno Ya Win, dans le cadre duquel le ministère fait don de la viande et du gibier confisqués. Grâce à ce partenariat, le centre de santé Meno Ya Win a pu augmenter la quantité de nourriture du programme Miichim servie à ses patients. « Je ne suis pas un membre des Premières nations, je suis un homme d’affaires; un colon », explique Munshaw. « Je voulais adapter l’approvisionnement public de manière à ne pas montrer une forme de soutien « colonial »; le faire d’une manière qui reconnaît et respecte les autres cultures. »

Au fil du temps, les innovatrices et innovateurs et les conseillères et conseillers autochtones sont devenus une présence tranquille mais forte dans la cohorte de Nourrir la santé. Il y avait de l’espace et du temps pour les traditions autochtones dans les rassemblements et pour permettre aux innovatrices et innovateurs, aînés et conseillères et conseillers autochtones de partager leurs expériences et leur sagesse. À la fin de la cohorte de deux ans, la plupart des organisations participantes avaient commencé à explorer l’utilisation d’une alimentation culturellement appropriée comme voie de réconciliation.

4. Apprendre à penser ensemble

Pour Nourrir la santé, une réflexion partagée est un élément clé dans le changement des systèmes. Ceci a été exprimé dans l’approche des réunions, ayant pour but de créer un « vaisseau » favorisant un sentiment de mutualité, de confiance et de sécurité psychologique. Les réunions ont fait appel à diverses approches d’éducation des adultes fondées sur l’apprentissage par les pairs (telles que les structures libératrices), la pensée conceptuelle et les approches du « changement systématique fondé sur la prise de conscience ».

« Les conversations n’ont pas toujours été faciles », explique Lapalme. « Nous avons eu du mal à discuter du rôle des établissements de santé dans la réconciliation avec les autochtones, à définir ce qu’est une « alimentation saine » et à faire les compromis nécessaires pour privilégier l’approvisionnement local et durable. Cependant, ces conversations ont permis d’approfondir notre compréhension, d’instaurer une confiance et de renforcer notre action ».

Nourrir la santé a constaté que le maintien et le renforcement des relations peuvent être pris en charge à distance; chose nécessaire dans une initiative géographiquement répartie. En fin de compte, l’accomplissement d’une communauté de pairs dépend plus de la qualité des relations et du travail fait ensemble que de la technologie, ce que les innovateurs appellent une communauté qui « apprend et agit ». Aujourd’hui, les réunions en ligne permettent à Nourrir la santé d’entretenir de véritables liens à distance et de gérer les tâches nécessaires pour accomplir ses objectifs.

5. Le pouvoir d’ancrer l’apprentissage dans la réalité

Les rassemblements de Nourrir la santé ont servi à ancrer les innovatrices et innovateurs dans la réalité des systèmes qu’ils tentaient de modifier. En empruntant une méthode utilisée par le Sustainable Food Lab, Nourrir la santé a pu inclure des « parcours d’apprentissage » dans chacun des lieux des innovatrices et innovateurs. « Les parcours d’apprentissage ne sont pas que de simples excursions », explique Hal Hamilton, cofondateur de Food Lab et conseiller à Nourrir la santé. Ils « aident les gens à réfléchir ensemble sur la façon de découvrir et de donner du sens à des réalités complexes. Le fait de voyager ensemble est aussi important que le temps passé sur un site. Il est étonnant de constater que dix personnes effectuant la même visite voient dix choses différentes. Les conversations qui s’ensuivent sont de formidables occasions d’apprécier différentes façons d’observer » (Le Presencing Institute propose un protocole de base pour les parcours d’apprentissage ou de « découverte »).

Des membres de la communauté des Six Nations de Grand River offrent des enseignements sur la terre aux innovatrices et innovateurs de Nourrir la santé lors d’un « parcours d’apprentissage » à Ohsweken, en Ontario, en 2018.

Les visites dans des exploitations agricoles durant les parcours d’apprentissage ont permis aux innovatrices et innovateurs de Nourrir la santé d’acquérir des connaissances surprenantes. Lors d’un de ces parcours, ils ont visité une ferme de pommes de terre biologiques et une autre de pommes de terre conventionnelles et ont constaté que le fait de connaitre les agriculteurs et les aliments qu’ils cultivent leur permettait d’approfondir et d’humaniser leur compréhension des différents systèmes de production.

Nourrir la santé a également réuni des hauts fonctionnaires des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, et leur a fourni des comparaisons des politiques de leur compétence et des exemples inspirants provenant du Canada et de l’étranger. Un haut fonctionnaire du géant américain de la santé Kaiser Permanente a expliqué comment la malbouffe a été éliminée des hôpitaux qu’il gère. De plus, un médecin danois a décrit le processus ardu mais réussi d’augmenter de manière radicale le pourcentage d’aliments biologiques servis dans les écoles et les établissements pour personnes âgées à Copenhague. Enfin, une sélection d’innovatrices et d’innovateurs de Nourrir la santé a présenté le travail qu’ils ont accompli pour changer l’alimentation dans des établissements à travers le Canada.

L’apprentissage traditionnel et culturel autochtone a été intégré à tous les programmes, tant sur le terrain qu’avec les aînés lors des réunions. Lors de l’événement de clôture à Toronto, un aîné de Haida Gwaii a déclaré à l’auditoire de 200 personnes : « C’est une bonne chose que Nourrir la santé ait écouté la sagesse des aînées autochtones. Vous devriez faire cela plus souvent! »

6. Des ressources pour une innovation collaborative

Environ six mois après le début du programme, McConnell a créé un fonds de 100 000 dollars pour des projets de collaboration. Les projets proposés devaient porter sur un défi qui ne pouvait être résolu par une seule organisation et devaient être menés par une équipe d’au moins trois innovatrices et innovateurs.

Le processus de sélection était une expérience de collaboration virtuelle. Les 26 innovatrices et innovateurs ont réussi à générer 14 idées de projet. Sur ces 14, sept ont été choisies pour être développées et cinq ont été présentées à leurs collègues lors de séances en ligne. Les autres innovatrices et innovateurs, conseillères et conseillers et mentors ont fourni des commentaires et recommandations qui ont permis d’affiner les idées de projet. Les projets comprenaient l’élaboration d’une demande de propositions de fournisseurs alimentaires fondées sur des valeurs, un guide interactif en ligne pour la création de menus durables et un processus visant à influencer la politique provinciale sur les aliments locaux. Les cinq projets finaux ont été financés, et chacun des projets a réussi à obtenir un soutien beaucoup plus important de la part des gouvernements, des budgets hospitaliers et des organismes partenaires.

La diversification du financement s’est poursuivie lorsque la Fondation Arrell Family s’est jointe à McConnell pour soutenir le projet de Nourrir la santé afin d’étendre ses activités et de se transformer en organisme indépendant à but non lucratif. Au plus fort de la pandémie, le Fonds Ligne de Front, qui regroupe 100 fondations hospitalières, a fourni des ressources à Nourrir la santé pour soutenir des projets de sécurité alimentaire d’urgence pour les autochtones. Il est important de noter qu’un tel travail de changement systémique nécessite un engagement financier durable et ne peut être accompli avec des subventions à court terme basées sur des projets.

7. Changer les discours pour faire évoluer les mentalités

Un moyen sûr de générer des médias sociaux négatifs est de demander aux gens de décrire leur expérience alimentaire dans les hôpitaux. Il s’agit d’un stéréotype difficile et contesté pour les participants de Nourrir la santé qui consacrent leurs carrières à servir de la bonne nourriture aux patients. Il est révélateur que les discours négatifs sur la nourriture dans les hôpitaux existent également au sein du système de santé. Lorsque les médecins entrent dans une chambre d’hôpital pour rendre visite aux patients, ils engagent parfois la conversation en disant « Alors, la nourriture était-elle mauvaise aujourd’hui? ». De tels commentaires renforcent la perception selon laquelle la nourriture est secondaire par rapport aux soins de santé. Un médecin plaisanterait-il sur la qualité des médicaments?

Les histoires que nous racontons et les expressions que nous utilisons ne reflètent pas seulement notre état d’esprit, elles peuvent aussi servir à le modifier. Dans son ouvrage phare « Thinking in Systems », Donella Meadows résume les endroits  où il est possible d’intervenir dans un système complexe; ces « points de levier » où un petit changement dans un secteur spécifique peut produire de grands changements à l’ensemble du système.

Les paradigmes restent ancrés par les histoires que nous racontons. Dès le début, Nourrir la santé s’est concentrée sur la création de discours visant à élargir les paradigmes des hôpitaux pour aller au-delà de la qualité et du coût des traitements médicaux et inclure la santé et le bien-être personnels, culturels et planétaires à plus long terme grâce à l’alimentation.

Avec l’aide d’un spécialiste en communications, l’équipe de Nourrir la santé a étudié les discours des parties prenantes clés, y compris les directrices et directeurs de services alimentaires, les médecins, les chefs cuisiniers et les directrices et directeurs d’hôpitaux. Quand les PDG ont publiquement changé leurs discours, passant de « La nourriture est une source de coûts, se trouvant tout en bas de ma liste de priorités » à « Offrir une bonne nourriture dans notre hôpital devient une priorité manifeste et démontre du leadership et de l’innovation », nous nous rendons compte des profondes répercussions », explique Reynolds.

L’équipe a également identifié les chefs cuisiniers comme des défenseurs passionnés et influents. Ils ont recruté trois chefs célèbres qui ont travaillé chacun avec un hôpital pour créer des recettes « respectueuses des patients et de la planète » et pratiques dans un contexte de soins de santé. Lors du symposium Nutrition et Santé organisé à Evergreen Brick Works à Toronto, qui a conclu la première phase de Nourrir la santé, une version miniature de chaque repas a été servie aux 200 participants qui ont voté pour leurs préférés. Les chefs ont attiré l’attention des médias grand public et ont utilisé leurs propres plate-formes de médias sociaux pour attirer l’attention sur Nourrir la santé. Le jury était composé d’une diététicienne, d’un médecin, de deux enfants et du chroniqueur santé du Globe and Mail, André Picard, dont la citation est au tout début de cet article.

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Échantillon d’un plat, un ragoût Three Sisters traditionnel, lors du symposium Nutrition et Santé 2019 de Nourrir la santé, à Toronto. PHOTO DE CONNIE TSANG.

8. Renforcer la résilience en redéfinissant les limites entre « intérieur » et « extérieur »

Lorsque l’on arrête de voir les « systèmes » comme des réalités externes objectives qui sont distinctes de nous-mêmes, nous nous rendons compte que ce que nous considérons comme des systèmes intérieurs ou extérieurs n’est ni fixe ni immuable.

Durant la première phase de Nourrir la santé, la limite des systèmes était principalement axée autour des cadres intermédiaires en charge des services alimentaires dans les établissements de santé, des responsables de l’approvisionnement dans les établissements municipaux de soins de longue durée et les directrices et directeurs responsables du bien-être des patients dans les autorités sanitaires provinciales. Les leçons apprises ont démontré que la modification des services alimentaires au sein des établissements de santé est nécessaire mais insuffisante pour atteindre l’objectif ultime de faire comprendre que l’alimentation est fondamentale pour la santé. Des changements plus larges dans les mentalités, les politiques et les pratiques généralisées sont nécessaires.

En s’appuyant sur sa phase initiale, Nourrir la santé vise maintenant à élargir ses collaborateurs principaux pour inclure des PDG, des médecins, des infirmières, des organisations communautaires, des décideurs politiques, des entreprises de restauration et des producteurs alimentaires locaux dans une communauté de leaders systémiques.

Au fur et à mesure que les frontières des activités de Nourrir la santé sont redéfinies, le travail de développement des communautés de leaders systémiques entrera dans une nouvelle phase. Elle sera axée vers la recherche de leviers dans des endroits inhabituels dans le but de créer une meilleure santé pour les gens et la planète. Grâce aux efforts de dirigeants de systèmes dévoués, où qu’ils se trouvent, même un simple plateau d’hôpital peut être le point de départ pour changer le monde.


Pour plus de renseignements sur le rôle de la Fondation McConnell dans le cadre de cette collaboration et de son Initiative sur les systèmes alimentaires durables, auquel 14 millions de dollars ont été contribués sur une période de 10 ans, veuillez lire l’article complémentaire sur le site Web du PhiLab, en cliquant ici.


Beth Hunter est une ancienne directrice de programme à la Fondation McConnell, cofondatrice de Nourrir la santé et membre de « l’Academy for Systems Change ».

Stephen Huddart est l’ancien président et directeur général de la fondation McConnell, notamment pendant les années de formation de Nourrir la santé.

Peter Senge est un spécialiste des systèmes, fondateur de la « Society for Organizational Learning » et cofondateur de « l’Academy for Systems Change ».

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