Note du rédacteur : Cet article est le premier d’une série sur la défense des intérêts dans notre secteur. Depuis quelque temps, il est beaucoup question de l’engagement des organismes de bienfaisance et des OSBL en ce qui a trait aux plaidoyers liés aux politiques publiques — The Philanthropist a déjà abordé le sujet dans le passé, notamment dans une série d’articles parus en 2016. Les récents changements législatifs ont supprimé des restrictions posées aux organismes de bienfaisance canadiens quant aux activités politiques non partisanes. Ces changements sont une bonne occasion de se pencher à nouveau sur cette question et de voir comment les organismes s’adaptent à cette nouvelle réalité réglementaire. En outre, l’actuelle crise de la COVID-19 met en évidence le rôle vital du secteur dans cet espace, et illustre l’importance de continuer à renforcer les capacités afin que nous puissions faire ce travail nécessaire. Notre capacité à défendre les intérêts, comme organisations individuelles et collectivement, est plus essentielle que jamais.
Lorsque la Toronto Foundation a publié son 14e rapport Vital Signs en octobre dernier, l’important sondage annuel basé sur des indicateurs socioéconomiques clés de la ville contenait des nouveautés. Alors que, dans les années précédentes, le rapport présentait de la recherche sur un éventail d’organisations de la société civile, l’édition 2019 était plus étoffée et comportait l’évaluation de données qui ne sont pas facilement accessibles. Le rapport présentait plus de 600 citations, s’appuyait sur des entrevues menées avec plus de 100 personnes, et faisait référence à près de 300 rapports.
Selon Julia Howell, vice-présidente de l’engagement communautaire à la Toronto Foundation, ce qui distinguait toutefois ce rapport des rapports précédents, c’était sa position : contrairement aux années antérieures, on y retrouvait une compilation des idées politiques des organismes de service et des organismes communautaires qui avaient contribué au rapport — un changement discret, mais significatif. « Dans le passé, nous n’aurions jamais inclus de recommandations politiques, dit-elle. Nous aurions craint de franchir une limite. »
Pendant ce temps, en Alberta, l’Institut Pembina qui, une grande partie de l’an dernier, a eu dans sa mire le Parti conservateur uni de Jason Kenney, a modifié de façon subtile sa structure. Comme beaucoup d’organismes environnementaux, sur les conseils de ses avocats, ce groupe militant pour une énergie propre avait œuvré plusieurs années sous deux entités distinctes : un organisme sans but lucratif pour son travail de défense des intérêts, et une fondation pour l’administration du travail caritatif de l’Institut Pembina et la délivrance de reçus fiscaux aux donateurs. D’autres groupes utilisent ce modèle, dont Earthroots, un organisme de défense de l’environnement, d’abord connu sous le nom de Temagami Wilderness Society.
Simon Dyer, directeur général de Pembina, affirme que son CA a choisi d’unir les deux entités en janvier dernier, ce qui signifie que maintenant le groupe agit entièrement en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré. La double structure, dit-il, n’était plus nécessaire.
Ces derniers mois, EcoJustice, un organisme de bienfaisance britanno-colombien qui mène des contestations judiciaires relativement aux enjeux environnementaux, a commencé à faire des collectes de fonds pour ajouter deux ou trois personnes à son groupe de réforme des lois et des politiques, qui supervise son travail de défense des intérêts. Bien qu’EcoJustice s’occupe principalement de litiges, Devon Page, directeur général, mentionne que l’ajout d’autres membres au groupe permettra à celui-ci d’être plus efficace. « Nous pouvons mieux réaliser notre mission en abordant avec les fonctionnaires la réforme des lois, sans être soumis à des contraintes arbitraires. »
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Pourquoi ce changement? Dans les trois cas mentionnés ci-dessus, on peut considérer les mesures prises comme une première indication que le secteur de la bienfaisance au Canada s’ajuste — très graduellement — à un nouvel environnement réglementaire dans lequel l’Agence du revenu du Canada (ARC) ne se préoccupe plus du temps et de l’argent que les organismes de bienfaisance consacrent aux « activités politiques ».
La question qui se pose est celle-ci : est-ce que ces exemples sont le signe d’un nouveau genre de participation des organismes de bienfaisance canadiens au dialogue entourant les politiques publiques, ou s’agit-il de cas isolés?
Cette question peut évoluer très rapidement. Lorsque j’en ai parlé pour la première fois, au début de l’année, rien ne semblait indiquer un changement radical. Mais avec la pandémie de la COVID-19, des organismes de bienfaisance, surtout ceux qui fournissent des services vitaux aux personnes et aux communautés vulnérables, ont exprimé plus directement ce dont ils auraient besoin de la part des gouvernements afin de survivre et de continuer leur travail. Pour beaucoup de groupes, il semble maintenant que les plaidoyers politiques ne sont plus une stratégie de communication ou un outil d’engagement, mais une affaire de survie.
Toutefois, cela ne vient pas naturellement. Depuis des décennies, les organismes de bienfaisance enregistrés devaient respecter la « règle des 10 % » en ce qui a trait aux activités politiques; les organismes qui dépassaient ce seuil (un dixième de toutes leurs dépenses) pouvaient perdre leur statut de bienfaisance. Cette règle n’avait aucune incidence sur la grande majorité des organismes, qui ne se consacrent pas à la défense des intérêts. Mais pour ceux qui le font et qui approchaient rarement du seuil des 10 %, il fallait, pour se conformer à la règle, effectuer soigneusement le suivi des heures — ainsi que le souligne Rachel Gouin, directrice générale de la Ligue pour le bien-être de l’enfance du Canada, qui devait observer la loi durant les 17 ans où elle a été directrice de la recherche et des politiques publiques chez Clubs Garçons et Filles du Canada. « Ça ne me dérangeait pas », précise-t-elle.
Mais le climat politique a changé ces cinq dernières années, et en 2018 une décision historique a mis fin au statu quo. En janvier 2019, l’ARC a officiellement remplacé la règle des 10 % par les Lignes directrices Activités relatives au dialogue sur les politiques publiques ou à leur élaboration par les organismes de bienfaisance, ou ADPPE.
La réforme réglementaire ne pourrait être plus claire : « Tant que l’organisme de bienfaisance mène ses ADPPE de façon à réaliser ses fins de bienfaisance déclarées », stipule l’ARC, « la Loi de l’impôt sur le revenu n’impose aucune restriction quant au volume d’ADPPE que l’organisme peut entreprendre. Dans ce contexte, un organisme de bienfaisance pourrait affecter la totalité de ses ressources à des ADPPE qui réalisent sa fin de bienfaisance déclarée. »
La nouvelle loi a supprimé les frais administratifs généraux associés au comptage des heures du personnel et à l’effort pour déterminer si l’ARC estimerait qu’une activité ordinaire (p. ex., une conférence de presse ou un micromessage) pourrait constituer une activité politique. Dans certaines organisations, le nouveau règlement a procuré des avantages financiers.
L’information au sujet de ce changement s’est répandue très graduellement. « Pris par la routine, nous n’avons pas réalisé tout de suite que n’avions plus ces obligations », commente Gavin Charles, chef d’équipe politique au Conseil canadien pour la coopération internationale — ce Conseil est à la fois un organisme de bienfaisance et un organisme de coordination des organisations de la société civile canadienne qui apportent une aide humanitaire. Et Rachel Gouin ajoute : « Je me demande combien de gens comprennent pleinement tous les différents changements. »
Les changements ne se bornent pas à simplifier la reddition de comptes. À certains égards, cette réforme politique, qui en était à sa première année complète de mise en œuvre, constitue une nouvelle conception philosophique quant à la façon dont les organismes de bienfaisance peuvent parler des gouvernements et du grand public.
Des critiques tels que Mark Blumberg, avocat fiscaliste de Toronto, avertissent que l’abandon de la règle des 10 % pourrait marquer le début d’une ère d’organismes de bienfaisance plus ostensiblement politiques, selon le modèle des groupes de réflexion américains financés par de riches philanthropes aux positions bien arrêtées et qui désirent influencer les décideurs. Il cite le cas d’une riche héritière bancaire qui a utilisé une grande partie de son héritage de 500 M$ US pour appuyer des groupes militant contre les immigrants — un investissement soutenu qui a trouvé un chef politique sous le règne de Donald Trump. Mais de tels développements ne se produisent pas du jour au lendemain, ajoute Mark Blumberg. « Nous connaîtrons dans cinq à dix ans l’impact de ce changement. »
Même si demeure en vigueur la défense faite depuis longtemps aux organismes de bienfaisance de participer à des activités partisanes (bien qu’elle ne soit pas explicitement mentionnée dans la Loi de l’impôt sur le revenu), les groupes de la société civile canadienne n’ont plus à se préoccuper du nombre d’heures et de ressources qu’ils consacrent à la défense des intérêts et à l’organisation. Ils n’ont plus besoin de perdre du temps à imaginer comment manier les euphémismes pour masquer les dépenses à l’appui de ces activités, déclare Julia Howell, qui ajoute : « J’ai l’impression que les gens acquerront plus de maturité maintenant. Nos conversations seront plus adultes, et nous n’avons pas à nous soucier du ton de nos communications avec le gouvernement. »
Bruce MacDonald, PDG d’Imagine Canada, croit qu’il est trop tôt pour dire si l’ère des ADPPE entraînera des changements soudains dans la façon dont travaillent les organismes de bienfaisance, tant ceux qui défendent des intérêts que ceux qui fournissent des services. Il dit ne pas avoir vu beaucoup de cas où les organismes de bienfaisance ont modifié leur budget ou leurs approches à cause de la nouvelle règle. « Ce n’est pas une mince affaire que de changer les choses. »
D’autres experts affirment que, en raison des relations financières de longue date entre les organismes de bienfaisance fournisseurs de services et les gouvernements qui les financent, ces organismes hésitent encore à parler plus franchement au sujet de la réforme des politiques. Peter Elson, professeur agréé adjoint en développement communautaire à l’Université de Victoria, indique : en l’absence d’un « changement de paradigme », « je crois que le statu quo se maintiendra ».
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Dans les pays du Commonwealth, la législation concernant les organismes de bienfaisance remonte à une loi passée en 1601 par le parlement, les députés britanniques ayant voulu resserrer les règles pour prévenir l’utilisation abusive des fonds donnés aux institutions caritatives. À l’époque, les organismes de bienfaisance étaient considérés comme un moyen de réduire les charges fiscales associées à l’aide aux personnes démunies. Mais le Statute of Charitable Uses expose une longue liste d’autres activités admissibles, dont l’aide aux personnes âgées et aux vétérans blessés, des fonds pour des écoles, l’infrastructure, les orphelinats et les prisons, un soutien pour les travailleurs, et le secours aux anciens détenus.
Le cadre législatif de Westminster a prévalu pendant près de trois siècles, puis, en 1891, une décision législative a simplifié ainsi la définition des fins de bienfaisance : aide aux personnes démunies, avancement de l’éducation, avancement de la religion, et avancement d’autres fins utiles à la collectivité. Dans son article publié en 2011, George Williams, doyen de l’école de droit de l’Université de New South Wales, souligne que les décisions législatives subséquentes ont indiqué clairement que les dons de bienfaisance ne pouvaient pas être utilisés pour « l’atteinte d’objectifs politiques », dont la promotion de changements à la loi.
Pendant ce temps, la common law et les niveaux de réglementation ont mené à diverses interprétations de ce principe au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Pour sa part, le gouvernement canadien a introduit la règle des 10 %, qui assurait que la grande partie de l’argent recueilli par les organismes de bienfaisance serait utilisée pour des activités caritatives, non pour des activités politiques.
L’environnement réglementaire du Canada laissait aussi place à des ambiguïtés quant à l’interprétation de la formule. L’ARC, par exemple, ne considérait pas comme des activités politiques les fonds dépensés pour des rencontres avec des élus ou les présentations devant les comités parlementaires, contrairement à d’autres formes d’organisation ou de défense des intérêts — par exemple, un communiqué de presse après une députation au parlement. « Le Canada était loin d’imposer des mesures restrictives », déclare Susan Phillips, professeure à la School of Public Policy and Administration de l’Université Carleton. (La grande majorité des organismes de bienfaisance canadiens, dont ceux qui étaient fortement axés sur la défense des intérêts, ne se rapprochaient pas du seuil de 10 %.)
Les pressions juridiques concernant de telles restrictions ont commencé à se faire sentir dans les années 2000, mentionne Susan Phillips. En 2006, Aid/Watch, un groupe de surveillance australien pour le développement, a vu son statut de bienfaisance être révoqué à la suite d’une campagne où il critiquait vivement les politiques du gouvernement australien. Cette décision, écrit George Williams, a provoqué des « ondes de choc » dans le secteur de la bienfaisance en Australie, et produit un effet dissuasif relativement à la défense des intérêts.
Après une série de recours, le plus haut tribunal de l’Australie a jugé que les campagnes d’Aid/Watch étaient non seulement protégées par les garanties constitutionnelles de la liberté d’expression, mais qu’elles pouvaient également être considérées comme conformes à un principe bien établi, selon lequel les organismes de bienfaisance peuvent participer à l’avancement du bien-être des collectivités. L’acte d’« agitation » pour susciter un changement politique, a déclaré le tribunal, devrait être perçu comme bénéfique pour la société australienne. « L’affaire Aid/Watch constitue un dénouement heureux pour la démocratie australienne, commente George Williams. Cela signifie qu’un éventail d’organismes de bienfaisance peuvent participer au débat public plus librement et avec plus d’assurance. »
Susan Phillips fait aussi état d’une décision de 2014 impliquant Greenpeace of New Zealand qui avait demandé le statut de bienfaisance, lequel lui avait été refusé par le Charities Registration Board. Après une série de recours, la Haute Cour de la Nouvelle-Zélande a ordonné au Charities Registration Board de revenir sur sa décision, en faisant valoir que « l’exclusion pour une fin politique ne devrait plus être appliquée en Nouvelle-Zélande ». Susan Phillips dit que, depuis ces décisions, les deux pays ont libéralisé les règles régissant les activités politiques des organismes de bienfaisance. (Greenpeace Canada demeure un OSBL, non un organisme de bienfaisance enregistré.)
L’évolution de cet environnement législatif, en Australie et en Nouvelle-Zélande, tranche avec les développements politiques au Royaume-Uni et au Canada. En Grande-Bretagne, les organes de réglementation des organismes de bienfaisance, liés au système politique, avaient porté plainte contre le vénérable Joseph Rowntree Charitable Trust pour des subventions que cet organisme avait octroyées à une organisation cherchant à réhabiliter d’ex-détenus de la baie de Guantanamo.
Ici, au début des années 2010, les conservateurs de Stephen Harper ont établi à l’ARC un groupe de vérification des activités politiques — une mesure qui a freiné les organismes de bienfaisance orientés vers les activités politiques. Lors de la campagne électorale de 2015, les libéraux ont promis de mettre fin à ces vérifications. Après leur victoire majoritaire, leur promesse électorale faisait l’objet de lettres de mandats ministériels. En septembre 2016, le gouvernement a mis sur pied un groupe d’experts pour examiner les politiques régissant les activités politiques des organismes de bienfaisance.
Tandis que ce groupe d’experts faisait son travail, le petit groupe de défense des intérêts Canada Without Poverty (CWP), d’Ottawa, a entrepris de contester les conclusions d’une vérification de ses activités politiques par l’ARC, selon laquelle le seuil de 10 % avait été dépassé. Étant donné que CWP s’employait uniquement à changer le climat politique dans lequel sont promulguées les politiques concernant la faim, le logement et la pauvreté, la vérification a déterminé que pratiquement toutes les activités de CWP contrevenaient aux règlements de la Loi de l’impôt sur le revenu.
Toutefois, les avocats de CWP ont fait valoir que cet organisme de bienfaisance n’avait jamais prétendu faire autre chose qu’utiliser les dons pour plaider en faveur de changements politiques. L’affaire a été soumise à la Cour supérieure de justice de l’Ontario qui, en juillet 2018, a jugé que CWP « a droit à une véritable liberté d’expression », qui n’était pas limitée par l’article 1 de la Charte.
Le gouvernement fédéral a choisi de ne pas interjeter appel, et a ensuite adopté les recommandations du groupe d’experts qui a déposé son rapport quelques mois après la décision dans l’affaire CWP. En conséquence, dit Susan Phillips, les organismes de bienfaisance canadiens peuvent maintenant faire preuve de plus de transparence pour leurs activités de défense des intérêts. « Il y a un avantage dans le fait de pouvoir montrer que c’est ce que vous faites. »
Si le Canada a mis fin à des restrictions explicites quant aux activités politiques des organismes de bienfaisance, la situation n’est pas la même qu’en Australie, et ce, pour deux raisons importantes. Premièrement, l’affaire CWP ne s’est pas rendue jusqu’à la Cour suprême, ce qui signifie qu’il est possible qu’un autre gouvernement, ayant des opinions différentes au sujet des activités politiques des organismes de bienfaisance, puisse trouver le moyen de rouvrir l’affaire ou une autre similaire, et demander une décision définitive.
Deuxièmement, le raisonnement dans l’affaire CWP, contrairement à ce qui s’est produit pour Aid/Watch, s’est limité aux questions relatives à la liberté d’expression. Dans l’affaire Aid/Watch, la Haute Cour d’Australie a établi clairement un lien entre la défense des intérêts (« agitation ») menée par un organisme de bienfaisance et la santé de la démocratie australienne en général. Selon les décisions rendues par les tribunaux australiens, lorsque les organismes de bienfaisance recueillent des fonds pour plaider en faveur de réformes politiques, ils remplissent un devoir essentiel qui est au cœur du cadre juridique du droit philanthropique depuis plus de 400 ans : ils exercent une activité qui profite à la collectivité.
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Avant les dernières élections fédérales, beaucoup de personnes du secteur de la bienfaisance ont été choquées lorsque de nouveaux rapports ont circulé au sujet d’un étrange avertissement émis par un fonctionnaire d’Élections Canada. Étant donné que le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, avait exprimé des doutes au sujet des changements climatiques, Élections Canada a mis en garde les organisations quant à la mention de cette question dans la publicité, parce que de tels messages pourraient être interprétés comme une attaque partisane contre le parti. Par ailleurs, des organismes de bienfaisance s’inquiétaient du fait que l’enregistrement à titre de tiers auprès d’Élections Canada, pendant la campagne électorale (ce qui est exigé des organisations qui dépensent de l’argent pour répandre leur message), serait considéré par l’ARC comme une preuve de partisanerie.
Les fonctionnaires gouvernementaux ont rapidement clarifié la question. « L’enregistrement en tant que tiers signifie que l’organisme de bienfaisance sera soumis par Élections Canada à des exigences en matière de rapports et à des limites de dépenses pour ses activités publicitaires électorales », était-il indiqué dans un document préparé par des fonctionnaires de l’ARC pour Imagine Canada. « Aux fins de l’ARC, toutefois, un organisme de bienfaisance ne risquerait pas de perdre son statut de bienfaisance simplement parce qu’il s’enregistre en tant que tiers. »
Bruce MacDonald s’inquiète cependant des répercussions de cet épisode. « Ceux qui s’étaient inquiétés [au sujet de la participation à des activités politiques] et qui respiraient plus facilement étaient encore une fois nerveux. Était-ce sécuritaire de plonger à nouveau? »
Pour les organismes de bienfaisance albertains, l’enquête du gouvernement Kenney relativement à l’apport de fonds étrangers dans le secteur philanthropique de la province semblait redoubler les ambiguïtés associées aux contradictions du temps qui a suivi la règle des 10 %, et resserrer les règles prévues dans la Loi électorale pour la publicité des tiers. « Cela n’a pas aidé de faire l’objet d’une campagne de désinformation », affirme Simon Dyer, de l’Institut Pembina. Mais, poursuit-il, l’organisation continuera de travailler avec le gouvernement ainsi qu’avec l’industrie de l’énergie et le secteur universitaire, afin de promouvoir des solutions et la recherche sur les changements climatiques. (Il souligne que la recherche de l’Institut Pimbina est citée dans les documents juridiques des avocats du gouvernement qui sont impliqués dans la contestation judiciaire de l’Alberta contre la taxe fédérale sur le carbone.)
Il convient de souligner que, pour des milliers d’autres organismes de bienfaisance canadiens (des mégahôpitaux et des fondations universitaires aux petits groupes locaux de sport amateur), le débat animé entourant les ADPPE et les activités politiques a très peu d’importance. En outre, selon Devika Shah, directrice générale de Social Planning Toronto, pour les organismes de bienfaisance qui fournissent des services (allant des logements abordables aux soins à domicile), lorsqu’ils parlent des politiques, la principale difficulté a toujours été bien davantage de mordre la main qui les nourrit, plutôt que de faire fi des règles de l’ARC. « C’est cela, notre préoccupation. » Elle ajoute que les subventions octroyées par le gouvernement à de tels groupes doivent être utilisées pour la prestation de services, non pour la défense des intérêts.
Même pour les organismes de bienfaisance qui pourraient s’aventurer prudemment dans le monde de la divulgation publique, précise-t-elle, une grande confusion persiste au sujet de ce qui est partisan on non. « On ne sait pas ce qui est permis et ce qui n’est pas permis. »
En fait, estime Peter Elson, il est peu probable que, pris individuellement, les organismes de bienfaisance se montrent plus directs au cours des prochaines années, en raison des conventions liées à la divulgation des politiques au Canada (et ailleurs dans le monde). Lorsque ces organismes cherchent des conseils ou une rétroaction, observe-t-il, les gouvernements se montrent beaucoup plus enclins à écouter des groupes représentant tout le secteur (des associations de l’industrie aux regroupements d’organisations), qui leur semblent parler de façon crédible pour représenter les intérêts de leurs membres. Il cite en exemple l’Ontario Nonprofit Network, qui n’est pas un organisme de bienfaisance mais qui a acquis de plus en plus d’influence depuis sa fondation en 2007. Il mentionne également la BC Non-Profit Housing Association, qui a repris les négociations contractuelles avec le gouvernement provincial au nom de ses nombreux membres moins importants. « Ces organisations fournissent une voix collective », dit-il.
Néanmoins, pour toutes ces autres dynamiques, Julia Howell croit que la fin de la règle des 10 % et de la stigmatisation associée aux activités politiques non partisanes renforcera graduellement le secteur de la bienfaisance. Elle prédit que, d’ici cinq ans, on verra davantage de preuves de transparence et de changement culturel. « Nous serons enfin en mesure d’embrasser cette réalité : le gouvernement est un partenaire essentiel [du secteur de la bienfaisance] et un levier qu’il faut utiliser. »