En matière de philanthropie, la France a souvent été un chef de file, contrairement aux idées préconçues qui prétendent qu’elle est à la traîne. Par exemple, l’érudit français Oresme a été le premier intellectuel en Europe occidentale à exhumer le terme « philanthropia » du grec ancien, en traduisant Aristote au XIVe siècle. Pour fournir un autre exemple, la France bénéficie depuis quelques années de l’un des régimes juridiques et fiscaux les plus favorables pour encourager la générosité des particuliers et des entreprises, comparativement à d’autres pays industrialisés. Aujourd’hui, l’innovation philanthropique se poursuit avec la naissance d’un lieu inédit : le Philanthro-Lab, qui pourrait inspirer des initiatives similaires ailleurs dans le monde, et pourquoi pas au Canada ?
Une plateforme novatrice pour l’écosystème philanthropique
Il s’agit d’un incubateur de projets solidaires soigneusement sélectionnés avec l’appui d’un comité scientifique, associé à des espaces de travail collaboratif (120 postes en cotravail, des bureaux privés, des salles de réunions), de réceptions et de conférences-débats, agrémenté d’un studio d’enregistrement multimédia et d’une incubateur gratuit, irrigué par un cycle d’ateliers professionnels et une offre de conseils (droit et fiscalité, communication, gouvernance, collecte de fonds, etc.) et de formations de haute volée (séminaires), le tout logé dans un écrin architectural fabuleux pouvant accueillir des expositions temporaires aussi bien que des soirées festives. Cela n’existait nulle part ailleurs jusqu’à présent !
Quelle est l’ambition d’un tel ensemble de ressources et de services ? Il s’agit tout simplement de contribuer à l’essor d’un vibrant écosystème philanthropique en France et, très certainement, de faire des émules au-delà des frontières.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, l’intuition des fondateurs du Philanthro-Lab a été, d’une part, de connecter les « briques » préexistantes de ce paysage philanthropique déjà très mature qui s’est constamment développé au cours des trois dernières décennies, et d’autre part, d’apporter quelques « briques » complémentaires, mais essentielles qui manquaient pour proposer une offre de services intégrée aux acteurs de l’écosystème français de la générosité.
En effet, s’il existe depuis longtemps des pôles français de recherche sur la philanthropie (CerPhi, Chaire philanthropie de l’ESSEC, Observatoire de la Fondation de France, PSSP, Recherches & Solidarités, etc.) ainsi que de nombreux réseaux de professionnels (Admical, Association française des fundraisers, Centre français des fonds et fondations, France générosités, Institut des dirigeants d’associations et fondations, etc.) et une énergique « Coalition Générosité » qui rassemble désormais la plupart de ces organismes représentatifs des différentes branches du secteur philanthropique, pour assurer un plaidoyer et parler d’une voix unie aux pouvoirs publics, il n’existait pas de site physique d’envergure où ces intervenants pouvaient se rencontrer et dialoguer « en terrain neutre », c’est-à-dire sans se placer automatiquement sous l’égide de telle ou telle institution tutélaire, forcément influente.
En outre, dans un secteur où la plupart des dirigeants se connaissent personnellement, et où une majorité d’événements sont de facto réservés aux professionnels, il manquait aussi un lieu ouvert vers l’extérieur, accessible au grand public, en complément des cénacles d’experts qui ont toute leur raison d’être, mais dont le fonctionnement ne permet pas de populariser largement l’idée de philanthropie au-delà des seuls « cercles d’initiés ». Au terme d’une première année de fonctionnement, l’existence de cette nouvelle agora suscite encore un certain débat parmi les acteurs du milieu philanthropique, et son appropriation est variable. Beaucoup des structures précitées sont déjà partenaires du Philanthro-Lab et de son incubateur, mais il faudra probablement du temps pour convaincre et rallier toutes les bonnes volontés.
Lieu de dialogue se voulant neutre et démocratique, le Philanthro-Lab entend aussi apporter certains services manquants, ou insuffisamment proposés aux acteurs du bien commun, par exemple, en organisant des rencontres entre mécènes et porteurs de projets, ou en offrant une gamme de prestations d’accompagnement à des entrepreneurs sociaux et des créateurs d’associations ou de fondations, afin de renforcer leurs compétences et donc leurs chances de succès, en particulier au sein de son incubateur qui couvre deux programmes: « émergence philanthropique » a l’attention des mécènes, et « accélération » à destination des porteurs de projet.
Mais l’originalité du Philanthro-Lab, c’est surtout d’avoir marié le contenu et le contenant, en déployant ce projet atypique au sein d’un élégant vaisseau de pierre, admirablement rénové.
Un splendide joyau architectural
Ce lieu unique en son genre est logé dans l’écrin somptueux de l’Hôtel de la Bûcherie, un monument classé fort de 600 ans d’histoire, qui abritait jadis la première faculté de chirurgie de la capitale. Le site d’implantation est central, au cœur de Paris, à deux pas des quais de la Seine, face à la sublime cathédrale Notre-Dame, loin des quartiers d’affaires dépourvus de grandeur d’âme. Lauréat d’un concours lancé par la Ville pour « Réinventer Paris », le Philanthro-Lab a été inauguré à l’automne 2021, après trois années de travaux pharaoniques représentant un investissement total de 40 millions d’euros (incluant l’acquisition du bâtiment). L’esprit du projet étant de mettre « le beau au service du bien », la rénovation a mobilisé des savoir-faire ancestraux pour mettre en valeur les éléments emblématiques (une rotonde avec coupole, une cheminée monumentale, des vitraux et des ferronneries, un impressionnant pilastre de pierre au sous-sol voûté, etc.) et des innovations au style plus contemporain. Les 2 000 m² de surface totale comprennent d’ores et déjà une terrasse végétalisée sur les toits avec une vue imprenable sur la cathédrale Notre-Dame. Le tout est chauffé écologiquement grâce à la géothermie.
L’instigateur et principal mécène du Philanthro-Lab est Philippe Journo, un promoteur immobilier fondateur de la Compagnie de Phalsbourg, initialement spécialisée dans l’immobilier commercial. L’histoire personnelle de ce milliardaire philanthrope féru d’architecture illustre un parcours méritocratique et sensibilisé tôt à la générosité : fils d’un petit commerçant et d’une institutrice qui lui ont transmis le goût de travailler dur, il déclare avoir été marqué très jeune par la force du bénévolat, notamment en observant des bénévoles lire et enregistrer des livres pour accompagner les études de sa sœur non voyante de naissance, devenue professeure de droit.
Dès 2007, inspiré par la philosophie du « give-back » (don en retour) anglo-saxon, il prend la décision formelle de donner 20 % de ses revenus personnels et des profits de son entreprise à des causes caritatives, parmi lesquelles l’élévation par la culture, les situations de handicap, la préservation du patrimoine et la vie associative. Dans le même esprit, il se montre solidaire de ses partenaires enseignes pendant la crise sanitaire en 2020 et ne réclame pas les loyers des boutiques de ses centres commerciaux dus pendant leurs fermetures relatives aux confinements administratifs. Son épouse, Karine Journo, est activement engagée à ses côtés dans l’aventure philanthropique du Philanthro-Lab, un projet initié et mené en couple autour de la conviction forte que « Toutes les causes sont bonnes ».
Aujourd’hui, seuls 15 % des foyers fiscaux français déclarent un don annuel. L’ambition affichée du Philanthro-Lab est de faire bondir ce chiffre à 30 % d’ici 2030. Ce défi peut sembler difficile, mais sans doute possible étant donné le bouillonnement du paysage philanthropique français. « Donner rend meilleur » est la devise audacieuse du lieu, inscrite au frontispice du bâtiment au-dessus des terrasses aériennes. La science n’a pas encore démontré la véracité de cet axiome, mais il a déjà été prouvé que donner rend plus heureux…
Une source d’inspiration pour d’autres pays
En dehors des États-Unis, habituellement perçus comme « le phare » des innovations philanthropiques dans le monde, de nombreux pays participent à la créativité du secteur et ont mis en place des initiatives tout à fait uniques. On peut citer par exemple la « Philanthropy House » à Bruxelles, qui héberge en un même lieu physique les sièges de plusieurs organisations représentatives des acteurs de la générosité et de l’engagement citoyen à l’échelle de l’Europe, en offrant ainsi un espace de rencontres, d’expositions, etc. Au Canada, on peut citer la « Maison de la Philanthropie » à Montréal et la « Foundation House » à Toronto, qui combinent chacune des espaces collaboratifs, des occasions de rencontre et des dynamiques de partage entre pairs du secteur philanthropique.
Au-delà d’une ambition comparable pour stimuler l’essor du secteur philanthropique national, le Philanthro-Lab a placé la barre très haut en affichant son ambition programmatique de faire émerger un « écosystème » robuste et de « démocratiser le réflexe du don » dans la population française, en sensibilisant notamment les enfants grâce à des approches ludiques et pédagogiques. La réussite de cette initiative serait une quasi-révolution. Observons donc attentivement l’évolution du projet à l’avenir, car il pourrait constituer une recette duplicable dans les pays qui ne bénéficient pas encore d’une telle plateforme. Après tout, elle prône un mantra à partager et à propager : « Tout le monde peut devenir philanthrope, à la mesure de ses moyens et de son temps ».
Note de l’éditeur : Cet article a été mis à jour le 28 octobre 2022 pour ajuster quelques données factuelles et tenir compte d’évolutions récentes du Philanthro-Lab.