La voie de la philanthropie islamique au Canada : du développement communautaire à l’innovation sociale

En mai 2016, les médias ont inondé les ondes de nouvelles sur les immenses feux de forêt à Fort McMurray. Les mosquées de tout le pays ont alors mobilisé leurs ressources et lancé diverses campagnes (lien en anglais seulement) pour soutenir les habitants de la ville. Des organismes de bienfaisance et de secours dirigés par des musulmans ont lancé des appels aux dons, et des organismes locaux en Alberta ont ouvert leurs portes aux résidents qui fuyaient les incendies. Il s’agissait d’un exemple de l’avènement de la philanthropie islamique et de la maturité d’un écosystème caritatif au sein du secteur plus large du bien social.

Toutefois, il convient de noter que le développement de cet écosystème n’a pas été une trajectoire simple ou linéaire. Il a emprunté un chemin semé d’embûches et s’est développé grâce à un processus itératif qui a mobilisé l’énergie et l’activisme d’une communauté en plein essor.

Son développement reflète celui de la communauté musulmane. En 1931, la population musulmane du Canada comptait 645 personnes. Ce nombre est passé à environ 33 370 en 1970. Lorsque la communauté a commencé à se regrouper dans les grandes villes, ses besoins croissants sont devenus plus évidents, et il est devenu urgent d’y répondre. Ces jeunes communautés et leurs dirigeants ont cependant été confrontés à des défis considérables. Elles étaient dispersées sur une vaste étendue géographique, elles ne disposaient que de maigres ressources financières et d’un petit groupe de donateurs potentiels, et elles manquaient de capacités organisationnelles. En l’absence d’une structure hiérarchique imposée par la foi, la stratégie de développement communautaire s’est alignée sur deux axes : répondre aux besoins locaux immédiats, et mettre en place une infrastructure organisationnelle pour soutenir le travail local et créer une cohésion au sein des nombreux éléments constitutifs de la communauté.

L’absence de hiérarchie a nécessité une mobilisation et une organisation fortes de la communauté. Les premiers efforts de renforcement des capacités organisationnelles ont porté sur l’établissement de liens solides entre les musulmans des États-Unis et du Canada sur les plans organisationnel, social et culturel. L’afflux d’étudiants poursuivant leurs études dans des universités du Canada et des États-Unis a donné l’élan nécessaire à cette initiative de développement communautaire. Animés par une vision qui reflète les idées de la renaissance islamique dans leurs pays d’origine, ils ont créé la Muslim Students Association (MSA) en 1963, desservant à la fois les États-Unis et le Canada. C’est ainsi que sont nées d’autres organisations (lien en anglais seulement) comme l’Islamic Circle of North America et la Muslim Arab Youth Association. L’Islamic Society of North America (ISNA) a été fondée en 1981 à la suite de délibérations stratégiques amorcées en 1975 par la direction de la MSA National. Des organisations professionnelles comme l’Association of Muslim Scientists and Engineers, l’Association of Muslim Social Scientists et l’Islamic Medical Association of North America ont également été fondées par la même cohorte d’étudiants musulmans dans les années 1960 et au début des années 1970. Le Conseil des communautés musulmanes du Canada a été créé en 1973. Certaines de ces organisations sont restées actives et se sont développées de différentes manières, tandis que d’autres ont cessé d’exister.

La pérennisation de ces initiatives était d’une importance capitale, car les ressources financières étaient limitées. Il fallait donc raviver et nourrir la culture philanthropique. En Amérique du Nord, la philanthropie islamique a prospéré à la croisée de trois forces : des dirigeants visionnaires, une mission solide et des besoins non satisfaits. Le don et la philanthropie sont une tradition de longue date dans les sociétés musulmanes et ont joué un rôle essentiel dans l’édification d’une culture musulmane dynamique au fil des siècles. La philanthropie islamique apporte une dimension spirituelle au calcul du don. Celle-ci influe donc sur la nature, la portée et même le moment du don. Fondamentalement, le don est conçu comme un devoir envers Dieu, et la richesse est considérée comme un don de Dieu qui doit être utilisé pour promouvoir le bien commun dans le but de maximiser le bien-être de la communauté. Son accumulation est donc découragée, et un certain nombre d’instruments ont été mis en place pour assurer une répartition équitable. Par exemple, la zakat, un impôt sur la fortune de 2,5 %, est le troisième des cinq piliers de la foi islamique.L’institution de la zakat n’est pas seulement un moyen de réduire la pauvreté, mais aussi un outil permettant d’investir dans la capacité des communautés à répondre aux besoins non satisfaits. En plus de cet outil de don obligatoire, les musulmans sont encouragés à donner volontairement, sans limites, dans le cadre de la sadaqa (aumône). Ces deux mots sont mentionnés plus de 80 fois dans le Coran, et ils sont souvent associés à la prière. (Dans la jurisprudence chiite, une contribution annuelle supplémentaire appelée khums, qui signifie « un cinquième », soit 20 %, est obligatoire sur tout revenu annuel excédentaire.) La motivation est une force puissante de la philanthropie, et ces fondements fournissent un cadre solide pour motiver les gens à donner.

Partout en Amérique du Nord, cette mission a été mise en œuvre par des dirigeants et des pionniers islamiques visionnaires. Ils ont su tirer parti des dimensions spirituelles du don pour motiver la communauté à relever les défis qui se présentaient. Des dirigeants dévoués ont sillonné l’Amérique du Nord pour inspirer les communautés musulmanes et les inciter à donner pour des causes louables. Ce n’est pas hors du commun pour ses efforts d’inclur des voyages outremer aux pays musulmans. Ils ont joué un rôle déterminant dans la mise en place d’une culture unique de don partout sur le continent. Il s’agit d’une véritable entreprise communautaire qui a permis de tisser un large éventail de liens sociaux et de tirer efficacement parti des réseaux familiaux et de parenté.

Bâtir des communautés dynamiques dans un nouveau pays

Au départ, la philanthropie islamique et les œuvres de bienfaisance musulmanes visaient à répondre aux besoins de la communauté en construisant des mosquées, des centres islamiques et des écoles. Les premières mosquées ont été construites à Edmonton et à Lac La Biche, en Alberta, et à London, en Ontario. Peu après, Toronto et la région du Grand Toronto sont devenues le point central de la communauté musulmane, et c’est là que la croissance est devenue plus évidente, depuis les débuts modestes entre 1961 et 1968, lorsque la première congrégation musulmane se rassemblait dans une maroquinerie bondée près des rues Dundas et Keele, à l’achat de l’ancienne église presbytérienne au 55, avenue Boustead, en 1969. L’Islamic Foundation of Toronto a été créée en 1969. Le Croatian Islamic Centre a été créé en réaménageant une ancienne école catholique, achetée pour 75 000 $ avec le soutien de la communauté croate catholique locale, et achevé en 1973. La même année, l’Ottawa Muslim Association a annoncé la construction d’une nouvelle mosquée, dont les travaux ont débuté en 1977.

Au Québec, l’Islamic Centre of Montreal (lien en anglais seulement) a commencé à offrir ses services en 1962 dans un bureau loué sur la rue Sherbrooke. Pour obtenir un statut officiel, la jeune communauté a fait pression pour que l’islam soit reconnu comme une religion mineure. Le projet de loi d’intérêt privé 194 a été adopté à l’Assemblée nationale et a reçu la sanction royale le 6 août 1965. Avec 13 000 dollars en banque, la communauté a commencé la construction du centre communautaire en 1971.

Des efforts semblables ont été déployés dans d’autres provinces. En Colombie-Britannique, Al-Masjid Al-Jamia Vancouver a vu le jour en 1965 en tant que centre culturel pour les Canadiens d’origine pakistanaise, et la BC Muslim Association a été créée en 1966. L’Islamic Association of the Maritime Provinces of Canada a été créée en 1966 et a ensuite été rebaptisée Islamic Association of Nova Scotia. La mosquée de Dartmouth a été fondée en 1971. La mosquée Hazelwood a été construite à Winnipeg en 1976. Le centre communautaire Jaffari de la communauté musulmane chiite a officiellement ouvert ses portes en 1979.

Les écoles ont également joué un rôle important dans la mise en place des institutions de la communauté. Toutes les mosquées offraient des cours de fin de semaine. L’ISNA Islamic School à Mississauga a été la première école privée à voir le jour en 1983. Elle a été achetée auprès du Peel District School Board.

Il est intéressant de noter que c’est seulement à partir du recensement de 1981 que l’islam a été reconnu comme une catégorie religieuse distincte. Cette année-là, la population musulmane avait triplé pour atteindre 98 163 personnes. Au cours de la décennie suivante, la communauté s’est agrandie pour atteindre 253 260 personnes. Le Centre culturel islamique de Québec, une initiative de l’Association des étudiants musulmans de l’Université Laval créée en 1972, a vu le jour en 1985. Plus tard, ce centre deviendra le théâtre du pire massacre dans un lieu de culte au Canada. Le centre de la Muslim Association of New Brunswick a été construit en 1985, celui de la Islamic Association of Saskatchewan, en 1989, et celui de la Muslim Association of Newfoundland and Labrador, en 1990. La croissance s’est étendue à l’Arctique : la mosquée Midnight Sun d’Inuvik a été construite en 2010, et la mosquée Masjid d’Iqaluit a été achevée en 2016.

La création de ces institutions visait à protéger la communauté de fidèles contre les dangers de la désintégration et à lui donner une identité forte à mesure qu’elle s’enracinait dans le sol canadien. Ces centres ont favorisé la vie spirituelle, sociale et culturelle de la communauté, et la plupart sont devenus plus que des lieux de culte. Il s’agissait de carrefours communautaires offrant une variété d’activités : des écoles du dimanche, des cercles d’étude, des bibliothèques, des salles sociales, des installations récréatives et parfois même des salons funéraires.

Derrière chaque mosquée ou centre construit se cache un pionnier tenace qui a su mobiliser la communauté et travailler sans relâche pour diriger des bénévoles, recueillir des fonds et gérer la politique communautaire. Ils ont ouvert le chemin. Nombreux sont ceux qui ont suivi leurs traces pour ajouter à leurs bonnes œuvres.

De la préservation au renforcement de la communauté

Au début des années 1990, les dirigeants de la communauté ont ressenti la nécessité de définir quelque chose de plus précis et de plus représentatif de la réalité et de l’expérience des musulmans canadiens. Ils cherchaient une façon de construire une identité musulmane uniquement canadienne. Les liens continentaux ont fait place à des organisations locales et nationales fortes. L’Association musulmane du Canada a été fondée. ISNA Canada a été créé. Plus tard, l’Islamic Circle of North America (ICNA) Canada a emboîté le pas. Plus de 180 mosquées ont été créées dans tout le pays, souvent en transformant de vieilles églises, des maisons, des magasins de détail, des banques, des restaurants et même une station-service, ce qui constitue un véritable exploit pour la jeune communauté. Il n’y a pas de recensement précis des écoles islamiques, mais selon des estimations, il y aurait près de 80 écoles de diverses tailles.

L’héritage durable de cette phase a été la création d’un écosystème caritatif vital et vigoureux. Naturellement, cela a mené au développement de la deuxième phase de croissance philanthropique, qui s’est concentrée sur le travail de secours, la prestation de services sociaux et la défense des droits.

La Human Concern International a été créé en 1983. En 1984, en réponse à la famine dévastatrice en Éthiopie, l’International Development and Relief Foundation a été créée. Depuis, l’aide internationale est devenue une caractéristique des communautés musulmanes canadiennes, non seulement parce que l’aide est conforme aux valeurs fondamentales de la philanthropie islamique, mais aussi en raison des liens entre les musulmans canadiens, dont bon nombre ont immigré au Canada, et leur pays d’origine. La Islamic Relief Canada, la ICNA-Relief et la Penny Appeal comptent aujourd’hui parmi les organisations de secours musulmanes les plus actives.

Les organismes de services sociaux ont commencé à prendre forme et à élaborer des modèles de services adaptés à la culture. L’Islamic Family and Social Services Association d’Edmonton (créée en 1992), le Muslim Welfare Center de Toronto (1993) et l’Islamic Social Services Association (1999) font partie de la première cohorte (liens en anglais seulement). L’Islamic Social Services Association (lien en anglais seulement) a été créée en 1999 à Washington DC, puis s’est scindée en deux organisations indépendantes, l’une aux États-Unis et l’autre au Canada (à Winnipeg), en 2003.

Sont ensuite venus les foyers Sakeenah, NISA Homes, Naseeha Mental Health, DEEN Support Services, Smile et d’autres. Des groupes de défense ont été créés pour soutenir la communauté et lutter contre le racisme systémique croissant après le 11 septembre. CAIR-CAN, rebaptisé par la suite Conseil national des musulmans canadiens, et The Canadian Muslim Vote comptent parmi les organisations actives.

L’émergence des plateformes numériques et des outils de financement participatif a permis une adoption rapide du don en ligne. Anfiq (lien en anglais seulement), créée en 2013, a été la première plateforme de collecte de fonds. Launchgood (lien en anglais seulement) est une autre plateforme établie aux États-Unis qui prend rapidement de l’importance dans ce domaine.

La philanthropie islamique a connu une croissance saine, tant sur le plan organisationnel qu’opérationnel, au tournant du siècle. Le premier grand frein à cet élan est survenu avec la prévalence croissante des propos sur la guerre contre le terrorisme. Le discours politique a contribué à créer un climat de suspicion à l’égard de ces organisations de bienfaisance. Les lois antiterroristes ont entraîné des changements de politique qui ont considérablement modifié l’environnement de travail, et les organismes de bienfaisance canadiens dirigés par des musulmans canadiens ont fait l’objet d’un profilage disproportionné et injuste de la part de l’Agence du revenu du Canada.

Récemment, deux rapports ont révélé que les organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans étaient dans le collimateur du gouvernement depuis 2003. Le premier, publié par l’International Civil Liberties Monitoring Group, une coalition nationale d’organisations de la société civile canadienne établie à Ottawa, a établi qu’entre 2008 et 2015, la Division de la revue et de l’analyse de l’ARC a effectué des vérifications de 16 organismes de bienfaisance, dont huit ont vu leur statut d’organisme de bienfaisance révoqué, et parmi lesquels au moins 75 % étaient des organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans. Le second, intitulé Sous la suspicion stratifiée (lien en anglais seulement; résumé exécutif disponible en français) expose la manière dont les vérificateurs de l’ARC sélectionnent, interprètent et analysent les données pour étayer leurs conclusions. Il est apparu que ces vérifications sont le fruit d’un processus qui manque de transparence et de précision. Autre signe de la maturité du secteur, l’Association musulmane du Canada (AMC) a entamé une procédure de contestation judiciaire (lien en anglais seulement) contre l’ARC sur la base de la Charte des droits, alléguant à la fois une violation de la liberté de religion et de la discrimination relativement aux vérifications de l’ARC. Les conséquences durables de ces actions sont l’érosion de la confiance dans les organismes gouvernementaux au sein du secteur caritatif musulman.

Malgré l’islamophobie systémique, le secteur caritatif musulman continue de croître et d’évoluer. Lors de la crise des réfugiés syriens, par exemple, les organismes de bienfaisance musulmans ont joué un rôle essentiel en parrainant des familles, en contribuant aux programmes de réinstallation et en soutenant l’acclimatation et l’intégration de ces familles. Par exemple, l’AMC a collaboré avec le diocèse anglican de la Colombie-Britannique, l’Inter-Cultural Association of Greater Victoria et la Roman Catholic Episcopal Corporation of Ottawa, entre autres, pour parrainer 38 familles. Elle s’est associée à COSTI Immigrant Services et à d’autres organismes d’établissement des immigrants pour soutenir 493 familles. Ce travail a été reconnu par la gouverneure générale du Canada.

La troisième phase du développement du don musulman et de la philanthropie islamique est définie par deux caractéristiques. La première caractéristique est la capacité accrue des philanthropes musulmans et une tendance à donner à des causes publiques dans l’ensemble de la collectivité. En 2015, deux éminents chefs d’entreprise musulmans canadiens, Mohamad Fakih et Kashif Khan, ont lancé le fonds Salaam-TPL (lien en anglais seulement) de 1 million de dollars pour soutenir les familles des anciens combattants. En 2016, Sajjad Ebrahim a annoncé (lien en anglais seulement) un don de 2,5 millions de dollars à la William Osler Health System Foundation. En 2018, Shakir Rehmatullah (lien en anglais seulement), président et fondateur de Flato Developments, a fait un don dans les sept chiffres à l’hôpital de Markham-Stouffville. En 2019, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a lancé son fonds Refugee Zakat et, en 2020, il a réussi à recueillir 1,5 million de dollars auprès du Canada et des États-Unis. En 2021, plus de 1 million de dollars sur une promesse de don de 5 millions de dollars (lien en anglais seulement) ont été versés pour le réaménagement du réseau Trillium Health de Mississauga. En 2022, la vedette de hockey Nazem Kadri a fait un don de 1 million de dollars à un centre de chirurgie de sa ville natale, London, en Ontario. La même année, l’Islamic Shia Ithna-Asheri Jamaat a fait un don de 1 million de dollars (lien en anglais seulement) à l’hôpital Cortellucci Vaughan. Il s’agit là de quelques-uns des exemples les plus remarquables, mais il est probable que de nombreux professionnels et entrepreneurs donnent des montants substantiels à de nombreuses causes publiques dignes d’intérêt.

La deuxième caractéristique est que l’institution du waqf a commencé à prendre forme. À la base, le waqf est un transfert de richesse d’un individu à une communauté au moyen d’un acte irrévocable, mais investi pour créer des retombées locales. Il pourrait être conçu comme une allocation de ressources de la consommation actuelle à l’investissement pour bâtir des actifs productifs pour la collectivité et la société en général. Historiquement, le waqf (awqaf au pluriel) est un moyen pour les individus d’exprimer leur contribution à la culture et à la société. Le waqf est une tradition de longue date dans les sociétés musulmanes et a joué un rôle essentiel dans l’édification d’une culture musulmane dynamique et la promotion du bien-être socio-économique au fil des siècles. Cela était particulièrement vrai à l’époque ottomane. Selon Wolfgang Drechsler, professeur de gouvernance à l’Université de technologie de Tallinn, le système du waqf est reconnu comme une institution unique d’administration publique islamique (article en anglais seulement). Il affirme que ce sont les sociétés islamiques qui ont fait évoluer le waqf en créant ou en améliorant ses formes organisationnelles, son cadre juridique et son ensemble de valeurs. En effet, à l’époque ottomane, ce sont les particuliers, et non le gouvernement, qui ont construit les infrastructures telles que les universités, les écoles, les bibliothèques, les hôpitaux, les auberges, les soupes populaires, ainsi que les routes, les trottoirs, les systèmes d’approvisionnement en eau et les ponts. (Une discussion détaillée sur les caractéristiques de cette institution dépasse le cadre de cet article.)

Une dotation de 1 million de dollars de l’Edmonton Council of Muslim Communities a permis d’établir la première chaire d’études islamiques (lien en anglais seulement) au Canada, à l’Université de l’Alberta en 2006. En 2011, la London and Windsor Community Chair in Islamic Studies du Huron University College, à l’Université Western, a été créée grâce à une dotation de 2 millions de dollars. En 2019, un don de 1 million de dollars (lien en anglais seulement) a été fait par la Bay Tree Foundation, une fondation familiale de Mohammad Al Zaibak, à la Fondation du Centre national des Arts pour encourager la programmation artistique arabo-canadienne.

Enrichir l’écosystème de l’innovation sociale

L’accent étant mis sur l’innovation sociale et la finance sociale, le waqf est un instrument polyvalent qui peut être facilement utilisé pour enrichir l’écosystème de l’innovation sociale. Les awqaf et les sukuk (obligations communautaires; lien en anglais seulement) en espèce sont de nouveaux outils de financement social en cours de développement qui peuvent propager les valeurs de la philanthropie islamique. Il s’agira probablement de la nouvelle frontière de la philanthropie islamique au Canada et en Amérique du Nord.

La philanthropie islamique et les dons des musulmans peuvent être analysés sous plusieurs angles, comme les habitudes de dons des donateurs individuels, les attributs uniques des dons des musulmans et leur évolution vers la maturité dans le contexte canadien, ainsi que leur trajectoire vers l’avenir et la manière dont ils peuvent enrichir le paysage philanthropique canadien.

Il est difficile de déterminer la taille exacte de l’écosystème philanthropique dirigé par les musulmans. La meilleure estimation est fondée sur une analyse des déclarations T3010 pour l’année 2018, qui révèle un total de 359 organismes de bienfaisance, dont la plupart sont de petites institutions religieuses et des écoles islamiques. Les revenus de l’écosystème des organisations musulmanes ont atteint au moins 520 380 478 dollars cette année-là. La majorité des organisations, soit 72 %, ont des revenus annuels inférieurs à 1 million de dollars. Les 50 plus grands organismes de bienfaisance musulmans génèrent 87 % des revenus, soit un total de 454 694 396 dollars.

Par rapport à l’écosystème caritatif canadien, les organismes de bienfaisance musulmans ne représentent que 1,6 % des organismes de bienfaisance à caractère religieux (21 966 organismes de bienfaisance – lien en anglais seulement). Toutefois, leur part des dons recueillis est de 3,2 % (calculée en fonction du rapport Cardus mentionné ci-dessus). Il est important de noter que ce chiffre ne comprend pas les dons de musulmans à d’autres organismes de bienfaisance et à d’autres causes.

En ce qui concerne les habitudes de dons des donateurs individuels, les données sont rares au Canada. Toutefois, une étude (document en anglais seulement) récente, menée par la Lilly Family School of Philanthropy de l’Université d’Indiana et portant sur les dons des Américains musulmans en 2021, est instructive. L’étude a révélé que les musulmans américains donnaient en moyenne plus d’argent (3 241 dollars) que la population générale (1 905 dollars), soit 70 % de plus. Si l’on extrapole sur la population totale, l’estimation du montant total des dons pourrait atteindre 4,3 milliards de dollars en 2021. Les musulmans consacrent une proportion plus faible de leurs dons de bienfaisance directement aux lieux de culte ou aux mosquées (27 %) par rapport à la population moyenne (51 %). Le deuxième domaine de dons en importance est l’aide internationale (13 %) et nationale (11 %), avec un total de 24 %, suivi par l’aide liée à la COVID-19 (14 %) et les dons aux services sociaux (11 %). L’étude a également confirmé ce qui a été observé au fil des années, à savoir que ni la reconnaissance publique ni les reçus déductibles d’impôt ne sont des motivations essentielles pour les dons. Le don est plutôt considéré comme un devoir envers Dieu.

Deux tendances récentes pourraient être de bons indicateurs de la maturité de l’écosystème philanthropique islamique au Canada et aux États-Unis. La Muslim Philanthropy Initiative (lien en anglais seulement) a été inaugurée en 2019 à la Lilly Family School of Philanthropy. L’objectif du programme est de comprendre et de renforcer la philanthropie musulmane sous toutes ses formes. La seconde est l’organisation d’un symposium en mars 2021 par le Centre for Religion and Its Contexts, à l’Emmanuel College de l’Université de Toronto. En 2014, la Foundation for Philanthropy – Canada de l’Association of Fundraising Professionals a organisé une conférence (document en anglais seulement) qui a réuni des dirigeants d’organismes de bienfaisance, des donateurs et des bénévoles pour explorer la philanthropie musulmane en Ontario. Il est surprenant de constater que, malgré son ampleur et son succès, la philanthropie islamique n’attire guère l’attention du secteur philanthropique en général.

La vertu de la philanthropie islamique repose sur un impératif moral et un paradigme d’éthique communautaire : construire la solidarité communautaire en réduisant les inégalités et en décourageant l’accumulation de richesses. Grâce à ses divers instruments, elle apporte un nouveau calcul dans le but d’optimiser trois domaines interconnectés : le domaine spirituel, qui est le ciment de l’ensemble; le domaine financier, où les économies sont réinvesties dans l’économie pour créer de la richesse communautaire; et le domaine social, qui vise à renforcer la cohésion sociale en répondant aux besoins non satisfaits de l’ensemble des membres de la communauté. La philanthropie islamique fait de la satisfaction de ces besoins non seulement une responsabilité de l’État, mais aussi une responsabilité dans laquelle les individus peuvent jouer un rôle essentiel. Elle élève la conscience des valeurs communautaires de solidarité et de compassion en équilibrant l’avantage concurrentiel inhérent au système capitaliste — et ses tendances individualistes — en maîtrisant les désirs, en réduisant la consommation et en mobilisant les énergies spirituelles pour contrer le mode de vie égocentrique.

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