Opinion

Vous souhaitez donc financer l’emancipation de la diversité des genres?

Afin d’inclure la diversité des expériences en matière de genre, cet article utilise les termes généraux « Pluralité de genre » et « personnes de la pluralité de genre » pour désigner les personnes trans, transsexuelles, travesties, transféminines, transmasculines, non conformes dans le genre, non binaires, bispirituelles et d’autres identités de genre de partout au monde.


Ces dix dernières années ont été marquées par de nombreuses améliorations juridiques partout dans le monde pour les personnes de la pluralité de genre. Les personnes de la pluralité de genre sont de plus en plus visibles. Cependant, cette visibilité accrue a aussi eu un côté négatif, car seules certaines personnes de la pluralité de genre sont visibles, souvent celles qui sont les plus privilégiées. On ne peut pas s’attendre à ce qu’elles représentent adéquatement l’ensemble de nos communautés de la diversité de genre, qui sont encore pauvres et marginalisées pour la plupart. La visibilité a également créé la fausse perception selon laquelle la diversité de genre est une « tendance » et a eu une incidence négative sur la sécurité de nombreuses personnes noires, autochtones et racisées issues de la diversité de genre et de personnes marginalisées touchées par la transmisogynie. (La transmisogynie est la haine ou les préjugés à l’égard des femmes trans.)

Sur les plans organisationnel et systémique, ces améliorations n’ont pas apporté de changement majeur au Canada ou dans tout autre pays. Les gouvernements n’ont pas encore mis en place de services adaptés aux personnes de la pluralité de genre, ce qui crée une pression systémique sur le secteur sans but lucratif sous-financé et sous-rémunéré. À l’occasion de la Journée internationale de visibilité trans, mettons l’accent sur la majorité des personnes de la pluralité de genre, qui trouvent certainement de la joie à s’affirmer, mais qui luttent aussi pour trouver sécurité et stabilité. Discutons de ce que les bailleurs de fonds peuvent faire pour soutenir l’émancipation des personnes de la pluralité de genre et rendre notre société plus équitable.

S’appuyant sur les principes de la collecte de fonds axée sur la collectivité, élaborés et dirigés par des collecteurs de fonds de couleur, cet article met en lumière certains outils pratiques que les bailleurs de fonds et les dirigeants communautaires peuvent utiliser pour mieux soutenir les personnes de la pluralité de genre. En premier lieu, il examine deux modifications internes simples à mettre en œuvre : la planification stratégique et la priorité donnée à l’accès aux fonds. Il aborde ensuite la manière dont les bailleurs de fonds peuvent susciter le changement dans la société, grâce à des processus de responsabilisation pouvant être intégrés dans leurs réseaux immédiats et à des processus de recherche qui renforceront les connaissances en matière de diversité des genres.

A) Mettez l’accent sur la diversité des genres dans votre planification stratégique

Les bailleurs de fonds doivent délibérément intégrer les personnes de la pluralité de genre dans leur planification et leurs processus stratégiques. Comme personnes de la pluralité de genre, nos membres sont de communautés marginalisées, qui font elles-mêmes partie de communautés marginalisées plus larges. Nos besoins et nos problèmes sont souvent ignorés par d’autres mouvements d’émancipation politique, économique et sociale. Nous sommes souvent assujetties à diverses formes d’oppression qui ne peuvent s’inscrire dans une expérience aisément généralisable, ce qui rend encore plus difficile la création d’un programme à approche unique. La plupart des organismes LGBTQ2SI font de leur mieux pour nous soutenir, mais très peu d’entre eux ont la capacité de s’engager dans les réalités concrètes de cette diversité. La simplicité est parfois la meilleure solution.

Passer des modifications ciblées aux changements communautaires

Imaginons une municipalité de taille moyenne qui dispose de nombreux refuges. En tant que bailleur de fonds disposant de ressources dans cette municipalité et soucieux de cette question, vous savez également que les personnes de la pluralité de genre éprouvent de la difficulté à trouver un logement, en particulier dans votre ville. Comment pouvez-vous aborder ce problème? Commencez par trouver des leaders communautaires et soutenez leurs efforts pour créer des ateliers et des espaces où les besoins des personnes de la pluralité de genre sont compris, et fournissez du soutien à ces dernières lorsqu’elles sont confrontées à des difficultés. Si cela n’est pas clair pour vous, informez-vous auprès de leaders communautaires sur la manière de déterminer les défis qu’elles rencontrent : établissez une relation de confiance et trouvez des moyens de renforcer les liens afin qu’elles se sentent à l’aise de vous communiquer leurs besoins.

En planifiant l’intégration des personnes de la pluralité de genre, vous vous rendrez compte que de nombreux groupes et problèmes propres aux diverses communautés doivent être considérés comme prioritaires. Les possibilités d’appuyer les personnes autochtones bispirituelles et de la pluralité de genre ou les femmes trans de couleur, ou d’être dirigé par elles, doivent être privilégiées.

B) Faites de l’accès au financement une priorité

Financez les initiatives favorisant la diversité des genres à l’étape où elles sont, et non à celle où vous désirez qu’elles soient. De nombreuses initiatives favorisant la diversité des genres ne bénéficient pas du soutien de l’État, d’institutions, de bailleurs de fonds privés ou de fondations. Nous sommes en effet des professionnels qui font des merveilles avec presque rien. Vous devez nous aider à structurer nos initiatives, nous donner des conseils pour créer un environnement de travail durable et développer des communications ouvertes avec nous.

La plupart des personnes de la pluralité de genre ne bénéficient pas du vocabulaire du secteur des organismes sans but lucratif ni des réseaux importants des personnes cisgenres (c’est-à-dire les personnes dont l’identité de genre correspond au sexe attribué à la naissance). La création de subventions accessibles à des fins collectives, organisationnelles et entrepreneuriales est une voie que de nombreux bailleurs de fonds ont empruntée ces dernières années au Canada, la dernière en date étant le Défi d’impact Transcend, dirigé par la Fondation Sonor. La facilitation de l’accès aux fonds devrait également comprendre la création d’emplois durables, comme on a pu le voir en Argentine . Les microsubventions ne devraient pas non plus être synonymes de petits fonds uniquement : les initiatives en faveur de la diversité des genres n’ont pas été financées pendant des siècles, il est donc temps d’y investir sérieusement et en toute confiance.

C) Suscitez le changement en intégrant des processus de responsabilisation

En tant que bailleur de fonds, vous devez demander des comptes aux organisations auxquelles vous accordez des fonds, mais aussi à votre environnement organisationnel. Au cours des dernières années, nous avons constaté un financement accru des organisations et des organismes à but non lucratif LGBTQ2SI. À première vue, c’est une bonne chose. Cependant, la plupart de ces organismes, même les organisations LGBTQ2SI, n’ont pas de leaders issus de la diversité des genres ni de programmes durables. Lorsqu’ils en ont, leur budget est élaboré dans une mentalité de pénurie, ce qui suscite plus de divisions et d’occasions à court terme pour le renforcement et l’autonomisation communautaires. En fin de compte, cette mentalité de pénurie profite aux plus privilégiés de nos collectivités, c’est-à-dire que les personnes les plus visibles bénéficient davantage du soutien.

Comment pouvons-nous changer cela? L’un des moyens consiste à demander des comptes et à engager des conversations difficiles afin d’accorder plus d’importance aux communautés de la pluralité de genre. Les enjeux liés à la diversité des genres trouvent leur origine dans des obstacles et l’oppression systémiques, ce qui se traduit par de nombreux problèmes concrets qui touchent toutes les sphères de la société. Si nous avons encore besoin d’organisations « pourr et par », c’est surtout parce que nous ne sommes pas pris en considération par les grandes organisations publiques. Les organisations « pour et par » sont souvent les mieux placés pour répondre aux besoins de nos communautés et leur apporter un soutien, mais nous ne devons pas oublier que les grandes organisations et les institutions doivent mettre en œuvre une politique de soins et qu’elles peuvent nous soutenir si elles sont dirigées de manière adéquate. Un plan d’organisation bien conçu doit tenir compte de son incidence sur l’environnement de l’organisation.

Passer des modifications organisationnelles aux changements communautaires

En travaillant avec les leaders des communautés pour créer un système de soutien à la lutte contre l’itinérance et la précarité, vous commencez à créer ensuite un réseau de refuges sûrs. Vous trouvez des organismes à but non lucratif bien intentionnés et élaborez ensemble des pratiques communautaires. Certains organismes axés sur les femmes se révéleront être des leaders communautaires en matière d’intégration des personnes trans et des personnes de la pluralité de genre dans leurs programmes et leur personnel. La création de passerelles et leur priorisation dans vos activités (et l’allocation de vos fonds) auront un effet bénéfique sur l’écosystème des refuges. La recherche de stratégies permettant de prévoir l’évolution des organismes récalcitrants de votre écosystème devrait également être abordée dans votre stratégie de responsabilisation et se fonder sur la justice transformatrice.

En tant que membres de petites communautés marginalisées, les personnes de la pluralité de genre ne devraient pas être les seules à plaider en faveur de l’inclusion de la diversité sur le plan du genre : les institutions et les organismes doivent fournir des voies permettant aux membres les plus marginalisés de nos collectivités d’accéder à du soutien et de renforcer leur autonomie.

D) Suscitez le changement en encourageant les recherches et les connaissances

Considérez les connaissances comme un outil à promouvoir au sein de nos collectivités. Lorsque nous demandons un financement ou que nous défendons nos intérêts auprès des bailleurs de fonds, nous devons encore souvent prouver les besoins d’une collectivité. Les pratiques de financement axées sur les effets sont importantes, mais nous ne pouvons pas exiger des études empiriques ou des données de la part des collectivités qui ont peu de possibilités de mener des recherches. Nous attendons toujours de voir ce que les chercheurs en matière de la pluralité de genres pourraient créer pour le monde et nos collectivités s’ils bénéficiaient d’un financement concret et de l’appui d’organismes. La plupart des groupes de recherche sur la pluralité de genre sont dirigés par des personnes cisgenres, les personnes de la pluralité de genre n’occupant qu’un rang inférieur dans la hiérarchie. Comme pour les autres groupes marginalisés, il existe une longue histoire de médicalisation (la « médicalisation trans » étant l’intégration des réalités trans dans le modèle médical, où le fait d’être cisgenre est considéré comme sain et normal) et de stigmatisation contre les personnes de la pluralité de genre dans les institutions universitaires.

N’attendez pas de trouver la « formule parfaite » ou les bonnes données empiriques pour nous donner les moyens d’agir. En tant que petite communauté confrontée à de nombreuses discriminations, les personnes de la pluralité de genre devraient être celles que l’on écoute lorsqu’il est question de la manière dont les problèmes systémiques agissent sur notre vie quotidienne. En apprenant des personnes marginalisées issues de la pluralité de genre, en particulier des personnes transféminines, qui sont les plus exclues des groupes de recherche financés, vous remarquerez que les leaders communautaires mettent déjà à disposition ces connaissances au sein de nos collectivités. En apprenant avec nous, vous verrez que nos connaissances directes ne peuvent parfois pas être traduites dans des articles évalués par des pairs et que notre histoire n’est pas considérée comme linéaire ou progressive, puisque nos réalités changent si rapidement avec les nouveaux contextes politiques et les questions géopolitiques. Des événements qui pourraient être considérés comme superficiels pour d’autres collectivités, comme la perte d’un programme mineur axé sur les personnes trans, ont une incidence importante dans nos collectivités. N’attendez pas que des faits blanchis par des chercheurs cisgenres confirment notre état précaire. Pour renforcer ce savoir communautaire, vous pourriez envisager la création de centres de recherche alternatifs avec des activistes en matière de genre et des centres de recherche axés sur la collectivité bénéficiant du secteur universitaire.


Faire de la place aux personnes de la pluralité de genre

À l’occasion de la Journée internationale de visibilité trans, les bailleurs de fonds doivent soutenir nos initiatives en mettant l’accent sur l’accès, y compris l’accès au logement, aux refuges, à l’éducation, aux connaissances traditionnelles et aux spiritualités, à la guérison et aux soins de santé, à la justice ainsi qu’à la sécurité matérielle et financière. Dans cet article, nous avons présenté divers éléments permettant d’y parvenir sur les plans organisationnel et systémique : une bonne planification, des programmes accessibles et bien adaptés, des collectivités de soins et une responsabilisation croissantes ainsi que des connaissances et des recherches communautaires diversifiées sur le plan du genre.

Faire place aux personnes de la pluralité de genre comprend l’apprentissage et la compréhension des enjeux contemporains. Ces questions sont enracinées dans le « genricide », une longue histoire d’effacement et de violence à l’encontre des personnes trans. (Le terme « genrice » a été inventé dans les années 1990 par l’activiste trans Xanthra Phillippa MacKay dans la première édition du magazine canadien gendertrash.) Notre histoire trans n’est pas belle et est profondément liée à la suprématie blanche, au génocide colonial, à la domination patriarcale et à la dévalorisation de la nature. Suivant le mouvement et les principes de la collecte de fonds axée sur la communauté, l’inclusion de la pluralité de genre fait partie d’une lutte plus large pour la justice sociale : le travail avec et pour des leaders issus de la pluralité de genre est un pas vers un monde plus inclusif.


Désirée Nore Duchesne est une organisatrice communautaire, collectrice de fonds, chercheuse et semeuse de troubles à Ti:ohtia’khe/ de Montréal. Elle participe, entre autres, au TRAPs, une organisation transféministe.

Cet article a été rédigé avec le soutien de Sofia di Gironimo et de Zakary-Georges Gagné.

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