Ce texte fait partie d’une série d’entretiens menés auprès de six chercheurs de la communauté PhiLab sur leurs différents objets d’étude.
Ce texte fait partie d’une série d’entretiens menés auprès de six chercheurs de la communauté PhiLab sur leurs différents objets d’étude. PhiLab est un réseau canadien de recherche en philanthropie basé à Montréal, sur le campus de l’UQAM.
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Jacqueline Colting-Stol, étudiante au doctorat en travail social à l’Université McGill
À l’adolescence, aviez-vous une vision claire de votre avenir?
Non, mais j’étais douée à l’école et le scénario attendu de ma famille était que je complète des études supérieures.
Qu’est-ce qui vous a conduit vers l’univers de la recherche?
Pendant mon baccalauréat en psychologie, j’ai mené une recherche en partenariat avec L’Association canadienne de la santé mentale. J’ai effectué un stage de huit mois dans cet OBNL. C’était une décision stratégique. Je me disais que la recherche m’ouvrirait les portes des études supérieures. Or, j’ai découvert qu’elle peut aussi contribuer au changement social.
L’action philanthropique s’inscrit dans votre histoire de vie. Comment?
En effet, ma famille et moi avons été confrontés à la pauvreté et à l’itinérance. Lorsque j’ai été capable de surmonter ces défis, j’ai pu aider les autres à mon tour. À l’université, j’ai débuté des activités de bénévolat dans ma ville, à Ottawa.
Vous vous êtes penchée sur l’action climatique des fondations. Comment cette recherche a-t-elle été initiée?
En novembre 2019, le PhiLab a invité des acteurs clés de l’écosystème philanthropique canadien. Nous avons discuté de la façon dont le secteur peut accroître sa contribution à l’action et à la justice climatique, ainsi qu’à une transition juste. Ces partenaires nous ont aidés à définir l’objet et la portée de notre recherche. Nous avons convenu qu’il y aurait plusieurs phases. La première s’est d’ailleurs terminée en avril 2020, par la remise du rapport « Foundations and Climate Action ».
Pourquoi les fondations qui n’interviennent pas sur les enjeux climatiques devraient-elles s’intéresser à votre recherche?
Les fondations visent généralement la réduction des inégalités. Or, la crise climatique contribue à accroître les inégalités et affecte le bien-être des communautés. Les fondations disposent des ressources, du pouvoir, des ressources financières et du réseau pour contribuer aux changements sociaux, politiques et économiques requis pour agir sur la crise climatique.
Comment votre recherche aide-t-elle les fondations à réfléchir à leur action climatique potentielle?
Notre rapport combine une revue de la littérature et la présentation de huit cas de fondations actives dans le dossier du climat. Nous présentons leur stratégie, accompagnée d’exemples d’actions. Puis, nous proposons un cadre pour structurer l’action climatique philanthropique chez les fondations non initiées.
Votre rapport propose un cadre aux fondations pour élaborer leur action climatique. Quel est-il?
Il comporte trois étapes. D’abord, chaque fondation doit déterminer son angle d’approche. Chacune aura sa façon d’appréhender le changement climatique. Par exemple, certaines se concentreront sur le comportement des individus et chercheront à intervenir, entre autres, sur les choix de consommation. D’autres s’intéresseront au comportement des groupes et aux pratiques organisationnelles. Elles voudront, notamment, pallier au manque de mobilisation auprès des populations les plus affectées par la crise climatique. D’autres se pencheront finalement sur la réglementation et le changement systémique. Elles voudront contribuer à la réduction des émissions de GES, par exemple.
Une fois l’angle d’approche identifié, notre rapport propose une série de stratégies pour contribuer à la résolution de la crise climatique à travers la philanthropie. Nous traduisons ensuite ces stratégies en tactiques.
Votre rapport présente cinq récits principaux permettant d’orienter l’action climatique des fondations, quels sont-ils?
- L’innovation : nous avons besoin d’idées créatives pour répondre à cette crise.
- La rapidité et la portée: il faut des solutions que l’on peut déployer rapidement et à grande échelle.
- La mesure : on doit financer ce qui peut se mesurer. Il faut donc réfléchir à comment développer des indicateurs de performance efficaces.
- La capacité : il faut outiller les petits OBNL afin qu’ils puissent recevoir et traiter un financement plus important.
- La géographie : les fondations donnent dans leur communauté. Il fait donc réfléchir à comment développer une compréhension de notre interdépendance.
Vous présentez les études de cas de huit fondations canadiennes et étrangères qui financent des initiatives liées à la crise climatique, quelles sont-elles?
Il s’agit des fondations McConnell, Trottier, MakeWay, Catherine Donnelly, Ivey, Climate Works, Thousand Currents et Chorus.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de leurs stratégies climat?
La Fondation McConnell, par exemple, finance la transition énergétique à travers l’Accélérateur de transition, créé pour mener le Canada vers la carboneutralité. McConnell finance aussi l’Initiative canadienne de droit climatique (Canada Climate Law Initiative) qui offre aux administrateurs et autres fiduciaires les bases légales pour pratiquer une gouvernance incluant l’action climatique. MakeWay dirige son action, entre autres, vers les communautés du Nord. Elle finance le développement du leadership et des capacités de jeunes autochtones afin qu’ils puissent développer des solutions aux défis sociaux et environnementaux de leurs communautés. Tides contribue aussi à la création de systèmes alimentaires durables favorisant la souveraineté alimentaire des communautés rurales autochtones. La fondation Ivey mobilise des acteurs autour de le l’écofiscalité et de la tarification carbone. La fondation Chorus soutient les communautés reposant sur l’économie extractive dans leur transition vers une économie sobre en carbone. La fondation Thousands Currents finance des groupes citoyens afin qu’ils puissent contribuer au déploiement de solutions sur les enjeux qui les affectent, comme le changement climatique. Cette fondation vise particulièrement les groupes de femmes, de jeunes et les Autochtones.
Quels sont les angles morts de l’action climat des fondations?
Certaines fondations inscrivent leur action climat dans leurs programmes existants. D’autres nomment carrément la crise climatique dans leur mission, ou elles ont des programmes dédiés au climat. Mais nous sommes loin d’un virage concerté des fondations vers la justice climatique à travers des actions d’envergure, un travail d’influence politique, la mobilisation des populations et l’autonomisation des communautés. Dans le dossier climat, les fondations ont tendance à soutenir les innovations technologiques plutôt que le renforcement des mouvements citoyens et les programmes orientés sur les communautés. Évidemment, ces derniers posent un défi de mesure. Comment évalue-t-on l’efficacité d’un programme de mobilisation citoyenne?
La crise sanitaire a relégué la crise climatique au second rang, faut-il s’inquiéter pour l’avenir?
On peut voir la situation autrement. La crise climatique a permis de réaliser que les enjeux sont tous liés : climat, environnement, santé, emploi, etc. Chercher des solutions par silo ne nous permettra pas de régler les problèmes, d’où la nécessité que les fondations collaborent entre elles. À ce titre, on peut citer l’exemple de la fondation Trottier qui s’est associée avec les Villes du C40, la fondation Suzuki et cinq fondations pour aider la ville de Montréal à développer son plan climat pour la carboneutralité en 2050.
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Diane Bérard est journaliste de solutions indépendante. Cette pratique consiste à présenter, avec un regard critique, des solutions aux enjeux sociaux et environnementaux du 21e siècle.