The Philanthropist Journal commence aujourd’hui une nouvelle série occasionnelle : une série d’entrevues avec un éventail de Canadiennes et de Canadiens qui sont des leaders d’opinion, afin d’examiner les défis, les risques et les possibilités auquel le secteur à but non lucratif et de bienfaisance est confronté alors qu’il cherche à effectuer sa relance et potentiellement à se repositionner en réponse à la pandémie. Le premier numéro présente la sénatrice Ratna Omidvar qui a une connaissance approfondie du secteur de la bienfaisance au Canada. Avant d’être nommée à la Chambre haute, la sénatrice avait exercé des postes de direction à Skills for Change et à la Fondation Maytree.
La sénatrice Ratna Omidvar est une voix forte pour le renforcement du secteur de la bienfaisance au Canada, et plaide en faveur de l’équité, de l’inclusion et de la transparence.
En 1981, elle a quitté l’Iran pour immigrer au Canada, et cette expérience guide son travail. Elle est membre du Conseil mondial pour les réfugiés, directrice du Centre Samara pour la démocratie et présidente émérite du Conseil sur l’emploi des immigrants de la région de Toronto. Elle a aussi été vice-présidente du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance.
Elle a été reçue membre de l’Ordre de l’Ontario et de l’Ordre du Canada en reconnaissance de son travail de défense des droits des immigrants et des réfugiés, et de son dévouement pour la réduction des inégalités.
Quelles opportunités devons-nous saisir pour la relance post-COVID-19?
Omidvar : Entre autres, la sensibilisation accrue de la population canadienne à l’endroit du secteur. Nous avons la possibilité d’apporter des changements qui auraient dû être faits il y a plusieurs décennies.
C’est l’heure de la finance sociale. [La relance] fournit au secteur philanthropique l’occasion d’aider les organismes fournisseurs de services à renforcer leur capacité à participer à l’écosystème de la finance sociale. C’est une excellente opportunité. Le gouvernement y a déjà consacré 750 M$. Il faut espérer que ce montant sera doublé grâce à la participation de l’investissement privé et de l’investissement institutionnel.
Le secteur philanthropique a un rôle à jouer pour lutter contre le racisme. Sans se limiter au financement des organismes faisant la promotion de la justice raciale, il cherche à atteindre l’équité en ce qui a trait aux résultats obtenus par tous ses mécanismes d’appui financier.
La gouvernance est un enjeu important. S’il y a une leçon à tirer de la controverse entourant le Mouvement UNIS (WE Charity), c’est que la gouvernance des organismes de bienfaisance est un terrain fertile pour le renforcement des capacités et l’investissement. J’aimerais qu’on investisse dans la capacité des organismes de bienfaisance afin d’en améliorer la gouvernance, pour qu’ils ne prêtent pas le flanc à ce genre d’arrangements alambiqués.
Pour le secteur, le temps est venu de divulguer de l’information sur les leaders qui assurent sa propre gouvernance. J’ai fait des appels en ce sens. Commençons à insister pour que l’Agence du revenu du Canada (ARC) modifie son formulaire annuel afin de demander quels sont les membres du CA, et qui les dirige. Nous voulons avoir un portrait plus précis.
Quels devraient être les rapports entre le secteur et le gouvernement fédéral durant la relance?
Les fondations devraient proposer au gouvernement de hausser le contingent des versements. Je crois que le secteur philanthropique doit maintenant dire : « Nous participons à la relance, et c’est ainsi que nous y contribuerons. »
Ensuite, le secteur doit s’unir au secteur des services afin de demander des fonds pour la stabilisation sectorielle. La relance met sous forte pression le secteur des services et beaucoup d’organismes de bienfaisance. Nous ne savons pas s’ils survivront.
Lorsqu’on voit que les fondations privées possèdent 80 milliards de dollars d’actifs, la question est encore plus pertinente. Quel est le rôle du secteur dans l’engagement de cet argent à l’abri de l’impôt, alors que les besoins sont énormes au Canada?
Les fondations privées jouissent de nombreux privilèges. Elles ont de l’influence et des relations. Elles doivent utiliser ce pouvoir pour faire valoir ceci : le Canada ne pourra survivre à cette crise que si le secteur des services survit. Et le secteur a besoin du financement fédéral pour se stabiliser. En fait, cela peut faire partie de la relance.
J’aimerais que le secteur philanthropique lance un appel afin que les leaders donnent plus que 3,5 %. Je comprends que c’est volontaire, mais beaucoup de fondations font bien plus encore.
Enfin, j’espère que le secteur philanthropique s’unira à nous pour obtenir sa place au gouvernement, afin d’avoir voix au chapitre. Non pour des questions d’impôt (cela relève de l’ARC), mais en matière de législation et de politiques.
Pouvez-vous citer un problème du secteur de la bienfaisance, qui est bien connu mais auquel personne n’ose s’attaquer?
Le secteur a toujours éprouvé des difficultés en lien avec les ressources humaines. Typiquement, [les OBNL] n’ont pas de service ou de responsable RH. J’ai travaillé dans le secteur; je sais comment cela fonctionne : « Nous avons besoin de [recruter] quelqu’un. Connaissons-nous une personne qui peut commencer immédiatement? »
C’est vraiment très important d’avoir à votre emploi la bonne personne. Les salaires sont le premier poste budgétaire des organismes de bienfaisance. Je crois qu’il est essentiel de renouveler le portail du Conseil des ressources humaines. Il faut ramener ce sujet sur le tapis.
Le secteur a besoin d’aide pour gérer et comprendre les tendances relativement aux ressources humaines. Il a besoin d’une plateforme ou d’un service partagé pour l’aider à combler ses besoins de talents. Je pense que c’est le rôle du gouvernement de financer une telle plateforme, ou d’attribuer un financement par l’entremise d’un organisme sectoriel.
En ce moment, quelles sont les grandes questions qu’on doit se poser dans le secteur de la bienfaisance?
Comment contribue-t-il au bien public? Et quel est son rôle dans une période perturbée? Il y a eu des appels, par exemple, à hausser le contingent des versements. Il y a eu des appels à préserver les actifs pour l’avenir. Mais quel est le rôle de la philanthropie? Est-ce de maintenir le statu quo? Ou de bousculer le statu quo? Une période de bouleversement est un temps idéal pour innover.
On pourrait se demander quel est le rôle de la philanthropie pour assurer l’équité. Dans ces conversations au sujet de l’antiracisme, de l’équité et des privilèges, le secteur philanthropique doit se demander s’il fait partie du problème ou de la solution. S’il fait partie de la solution, que doit-il faire autrement afin d’être pertinent?
Quelles sont les trois principales mesures politiques que devrait prendre le gouvernement fédéral pour le secteur de la bienfaisance?
Modifier la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui a trait aux organismes de bienfaisance. Ça n’a pas été fait depuis 50 ans. Les tendances relatives aux dons sont inquiétantes. Dans l’ensemble, les dons peuvent être en hausse, mais le nombre de donateurs est en baisse. La majeure partie de l’argent provient des personnes plus riches qui font des dons aux plus riches organismes de bienfaisance.
Puis examiner la définition du mot bienfaisance, qui est ancrée dans des concepts élisabéthains de ce qui constitue la charité. Les autres juridictions se sont adaptées, mais nous sommes encore paralysés parce que nous n’avons pas permis à la common law d’évoluer.
Changer la formulation de la Loi de l’impôt sur le revenu concernant [la direction et le contrôle des intermédiaires], qui constitue une contrainte pour les organismes de bienfaisance travaillant avec des organisations de la société civile. On stipule que, pour respecter la lettre de la loi, c’est l’organisme de bienfaisance qui doit avoir une position de contrôle dans ses relations avec les autres types d’organismes.
Imaginez l’effet que produiraient ces mots dans le contexte d’un partenariat avec des organismes autochtones : « Nous vous donnerons de l’argent, mais nous allons vous diriger et vous contrôler. » Il y a des idées démodées qui ne cadrent pas avec l’évolution de nos sensibilités.
(La transcription a été éditée pour en réduire la longueur.)