Mission transition: relever le plus grand défi du 21e siècle

Alors que les températures mondiales moyennes sont en voie d’augmenter de 3,6 °C d’ici la fin du siècle, l’urgence d’agir à l’échelle mondiale se fait ressentir pour assurer un avenir durable à la planète et à sa population. Dans cette série, la contributrice Diane Bérard se penche sur les raisons pour lesquelles les organisations à but non lucratif devraient mettre la transition socioécologique au cœur de leur stratégie sur la manière dont elles devraient s’y prendre.

Alors que les températures mondiales moyennes sont en voie d’augmenter de 3,6 °C d’ici la fin du siècle, l’urgence d’agir à l’échelle mondiale se fait ressentir pour assurer un avenir durable à la planète et à sa population. Dans cette série, la contributrice Diane Bérard se penche sur les raisons pour lesquelles les organisations à but non lucratif devraient mettre la transition socioécologique au cœur de leur stratégie sur la manière dont elles devraient s’y prendre.


Le rapport de février 2022 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) était on ne peut plus clair : si les émissions de gaz à effet de serre (GES) se poursuivent au rythme actuel, les températures mondiales moyennes augmenteront de 3,6 °C d’ici la fin du siècle. Les conséquences seront plus lourdes en Amérique du Nord, notamment dans l’est, où l’on peut s’attendre à une augmentation de 3,9 °C. Nous devons agir à l’échelle mondiale en faveur d’un développement résilient face aux changements climatiques, qui combine des stratégies d’adaptation aux changements climatiques et des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de soutenir le développement durable. Le plus grand défi du 21e siècle consiste donc en ce que l’on appelle la Mission Transition, c’est-à-dire un amalgame de changements sociaux et environnementaux dans le but d’assurer un avenir durable à la planète et à sa population. Ce sont les décisions, les choix et les actions cumulés des gouvernements, de la société civile, du secteur privé et d’autres organisations qui rendront possible la Mission Transition.

La mauvaise nouvelle : la fenêtre pour exécuter la Mission Transition rétrécit. La bonne nouvelle : il est encore temps d’agir. On peut observer des progrès en matière de planification et de mise en œuvre de l’adaptation dans tous les secteurs et toutes les régions, ce qui génère des résultats positifs. Par exemple, des stratégies d’adaptation efficaces et des politiques publiques favorables améliorent la disponibilité de la nourriture et la stabilité, et réduisent le risque climatique pour les systèmes alimentaires tout en augmentant leur durabilité. De nombreuses mesures d’adaptation existent pour les systèmes urbains, mais l’accès institutionnel, financier et technologique limite leur faisabilité et leur efficacité.

Le sixième rapport du GIEC clarifie le « quoi » : des instruments qui intègrent l’adaptation, comme des cadres politiques et juridiques, des incitations comportementales ainsi que des instruments économiques qui remédient aux défaillances du marché, comme la divulgation des risques climatiques et les processus inclusifs et délibératifs, renforcent les actions d’adaptation par les acteurs publics et privés.

Les experts du GIEC nous orientent également sur le « comment » : la gouvernance inclusive accorde la priorité à l’équité et à la justice dans la planification de l’adaptation, et la mise en œuvre conduit à des résultats d’adaptation plus efficaces et durables. Ces approches, notamment les plateformes de coapprentissage plurilatérales, les collaborations transfrontalières, l’adaptation communautaire et la planification participative, sont axées sur le renforcement des capacités ainsi que la participation significative des groupes les plus vulnérables et marginalisés, de même sur leur accès aux ressources clés pour s’adapter.

Dans notre série Mission de transition, nous présenterons quatre organismes à but non lucratif, une entreprise d’économie sociale et deux groupes de la société civile qui travaillent tous dans la zone de transition au Québec. Leurs actions ont des répercussions sur la sécurité alimentaire, le logement abordable, le verdissement urbain, la réduction des déchets, le transport actif et la transition énergétique.

Mais d’abord, explorons ce que trois experts québécois ont à dire à propos de la Mission Transition. Ces experts sont Mélanie McDonald, directrice générale de Chemins de Transition; le sociologue René Audet, titulaire de la Chaire de recherche sur la transition écologique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM); et l’économiste Mathieu Dufour, professeur au département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais (UQO).

Qu’est-ce que la transition?

« La transition s’inscrit dans un contexte de pénurie induite. Notre modèle économique a créé de multiples pénuries basées sur une production et une consommation exponentielles : combustibles fossiles, minéraux, eau, etc. Je refuse de découvrir ce qui se passera si nous n’agissons pas. Cela entraînerait une énorme injustice sociale. Je ne veux pas de cette vie pour mes enfants. Nous devons absolument imaginer des chemins de transition », insiste Mélanie McDonald, de Chemins de transition. Lancé en 2019, cet organisme à but non lucratif est une cocréation de l’Université de Montréal et Espace pour la vie, un complexe qui comprend cinq musées dédiés à la nature. Sa mission? Amorcer un débat sur la transition en identifiant les pistes les plus prometteuses pour un avenir enviable au Québec. Il s’agit de trouver collectivement des réponses à trois défis : comment faire converger les transitions numérique et écologique, comment nourrir sainement de plus en plus d’humains sans épuiser les ressources de la planète dans le contexte des changements climatiques, comment habiter le territoire québécois de manière sobre et résiliente dans un contexte de transition environnementale?

Pour trouver des réponses, des groupes de travail définissent les futurs possibles pour 2040. Ceux-ci sont constitués d’événements à venir et de bouleversements tirés d’analyses documentaires et d’entretiens avec des experts. Ensuite, les futurs désirés sont identifiés pour 2040. « La transition est une évidence. La question qui se pose est la suivante : pourrons-nous choisir la manière dont nous nous adapterons, ou bien nous sera-t-elle imposée? Les futurs possibles nous seront imposés. Les futurs désirés sont nos choix », déclare Mélanie McDonald. Une fois que les futurs désirés sont identifiés, des chemins sont déterminés pour les atteindre. Enfin, ces chemins sont détaillés par des actions précises.

Quels changements politiques, sociaux et technologiques devrons-nous instaurer? Quelles solutions existent déjà? Quelles ressources existent déjà et quelles sont celles qui font défaut? Pour chacun des trois défis mentionnés plus haut, un rapport sera publié et présenté aux instances de décision privées et publics. Le rapport sur les chemins numériques sera publié d’ici le printemps 2022, celui sur l’alimentation paraîtra à l’automne 2022, et le rapport sur le territoire sortira à l’hiver 2022-2023.

Scénarios de transition

Les ateliers de l’organisme Chemins de transition permettent à des univers différents, qui ne partagent pas forcément la même vision, de se rencontrer. « Lorsque le gouvernement parle de transition, il ne s’agit pas de la même transition que celle à laquelle la population fait référence », explique René Audet, qui étudie les scénarios de transition pour comprendre comment les différents groupes se positionnent. Par exemple, les gouvernements ont une vision technocentrique qui prône la substitution technologique. Ils s’attaquent à la crise climatique en remplaçant les voitures à combustible fossile par des voitures électriques. « Tout est une question de possibilités de marché, et jamais de contraintes. Dans ce scénario, le gouvernement peut influencer la population à adopter le comportement souhaité, en utilisant le principe de la carotte et du bâton », explique René Audet.

D’un autre côté, la vision des citoyens porte sur la réorganisation sociale. Leurs actions ciblent leur environnement de vie. Les projets visent à créer des liens sociaux et à renforcer la résilience communautaire par l’entremise du virage écologique, de l’agriculture urbaine et du covoiturage. « La technologie fait partie de l’équation, mais elle n’est qu’un moyen, pas une solution permanente. Par exemple, dans l’arrondissement de Rosemont–Petite-Patrie, le groupe de citoyens Solon teste la géothermie pour les résidents d’une agglomération d’habitations », indique René Audet. (Un prochain article de cette série présentera Solon en détail.) « Il s’agit d’une énergie plus propre, d’une meilleure autonomie énergétique et de la création de liens sociaux », ajoute-t-il. René Audet collabore avec l’association à but non lucratif Le Campus de la transition pour classer les scénarios de transition. Ces scénarios peuvent être examinés en fonction de leur portée (quartier, ville, région, pays), de leur objectif (qualité de vie, justice sociale, carboneutralité) ou de leur croyance (la transformation sociale entraîne un changement environnemental ou la régulation technologique induit un changement écologique).

Jusqu’où doit aller le financement de la transition?

« Nous devrions financer les liens sociaux. Chaque fois qu’un groupe de personnes collabore à un projet de quartier, ses membres apprennent à compter les uns sur les autres. Cela renforce la résilience. Et nous en aurons besoin en grande quantité dans les années à venir », déclare René Audet. Mais les projets seuls ne suffiront pas; la réglementation est essentielle. « Nous devons faire pression sur les gouvernements pour qu’ils mettent en œuvre des lois de transition contraignantes. Les groupes de pression citoyens ont besoin de fonds pour exercer une pression réglementaire efficace. Les carottes ne suffisent pas. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire : “Voici des programmes d’incitation. Vous pouvez être un bon citoyen ou une bonne organisation et en profiter. Mais ce n’est pas grave si vous ne le voulez pas.” Il faut des bâtons, des conséquences », ajoute René Audet.

Tout le monde sait qu’une telle transition occasionnera des gagnants et des perdants. Le secteur « vert » va prospérer, tandis que les industries « brunes » vont décélérer. Ces travailleurs ont besoin d’aide, rappelle le professeur Mathieu Dufour. La requalification nécessite d’énormes investissements, et ce n’est qu’une partie de la solution. « On ne peut pas simplement trouver de nouveaux emplois pour les travailleurs des industries brunes », dit-il. « Nous devons provoquer un changement systémique. Il n’y a pas de transition possible au sein de notre système économique extractif et linéaire. Les ressources naturelles sont extraites du sol pour produire des biens qu’on enterre sous terre lorsqu’on en a plus besoin. Alors, que ce soit pour produire des batteries électriques ou des moteurs à combustible fossile, qu’a-t-on réellement gagné si l’on extrait des minéraux pour produire la même quantité de produits et ultimement, les enfouir tous les deux? »

Retour aux sources

La transition ne porte pas sur ce que nous allons remplacer, mais sur ce que nous allons abandonner, conclut René Audet. « Le fait de passer aux aliments bio n’éliminera pas le gaspillage alimentaire. Et les voitures électriques ne nous sauveront pas si les ventes continuent de croître de manière exponentielle. Le problème est la quantité; nous produisons tout simplement trop de tout. »

Alors, à quoi ressemblera notre vie de l’autre côté de la transition? « Il s’agira de sobriété et de partage », affirme Mélanie McDonald. Les maisons rapetisseront et les espaces partagés deviendront la norme : jardins, salles de jeux pour les enfants, cuisines communes, etc. Et nous devons aborder la question du « pas dans ma cour ». Si nous voulons une production locale, nous avons besoin d’usines locales, et [nous devons] trouver comment gérer le territoire pour cohabiter avec elles. »

Comment les fondations pourraient-elles contribuer?

Les fondations pourraient accélérer la transition en finançant des initiatives de mise en commun, suggère René Audet. « La mise en commun permet d’économiser des ressources et d’améliorer les résultats. La Cantine pour tous en est un bon exemple. L’organisme rassemble des organisations à but non lucratif qui distribuent des petits-déjeuners dans les écoles. Le partage des cuisines et des camions allège leur budget et accroît les possibilités. Les systèmes alimentaires pourraient tous bénéficier d’une mise en commun. »

Les fondations pourraient contribuer au changement systémique, selon Mathieu Dufour. Le secteur philanthropique a l’habitude de compenser les défauts de la société. La transition socioécologique est l’occasion de financer une nouvelle organisation communautaire. « Prenons le système alimentaire », dit-il. « Les banques alimentaires constituent des solutions de première ligne, mais elles travaillent à l’intérieur même du système. Des fonds sont nécessaires pour transformer la chaîne alimentaire, de la culture à la distribution. » Le financement des coopératives constituerait une bonne option dans le secteur agroalimentaire et dans d’autres industries. Les coopératives ne se délocalisent pas du jour au lendemain là où le coût de la main-d’œuvre est moins élevé ou la fiscalité plus accommodante, ce qui rend les communautés moins vulnérables. « Le problème du système économique actuel est que le capital est mobile; les gens ne le sont pas », explique Mathieu Dufour.

« Lorsqu’il n’y a plus de ressources naturelles à extraire, les entreprises plient bagage et creusent ailleurs ou changent pour une autre activité. Le financement de la transition ne se traduit pas par l’indemnisation des communautés orphelines. Cela signifie financer des organisations et des groupes de citoyens qui changent le système d’extraction », conclut-il.

***

Au cours des prochaines semaines, nous dresserons le portrait de sept organismes québécois qui font partie de la Mission Transition, en commençant par Insertech, un organisme à but non lucratif qui forme des adultes sans emploi pour réparer des appareils électroniques considérés comme des déchets et les offrir au public à des prix abordables.

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