Compte-rendu de livre: The Price of Climate Action: Philanthropic Foundations in the International Climate Debate

The Price of Climate Action: Philanthropic Foundations in the International Climate Debate, by Édouard Morena. Palgrave Macmillan. London, 2016; 140 pp.: ISBN 9783319424835

Cet ouvrage – au cœur de l’actualité, propose d’explorer – sous l’angle des fondations philanthropiques, les débats sur les dérèglements climatiques. En d’autres termes, Édouard Morena (Maitre de Conférences en science politique à la University of London Institute in Paris) montre comment un petit groupe de fondations privées, c’est-à-dire dont la dotation provient d’une fortune individuelle ou familiale, principalement états-uniennes, a contribué et contribuent encore à influencer les débats internationaux sur le climat. En partant des origines de la philanthropie internationale liée au climat et son évolution au cours des trois dernières décennies, la thèse du livre est que les fondations philanthropiques via leurs activités subventionnaires et de mobilisation prennent une place importante dans les négociations internationales.

L’ouvrage est divisé en six chapitres. Après une longue introduction sur les débats théoriques fondamentaux concernant la place des fondations dans les discussions sur le climat et sur la présentation de la thèse du livre, le deuxième chapitre revient sur les origines de l’engagement des fondations philanthropiques pour le climat. Le troisième chapitre expose l’approche stratégique de la philanthropie dite « climatique » à partir du contexte politique des années 1990 et des positions à prendre vis-à-vis des subventions potentielles de l’époque. Dans le chapitre 4, ce contexte a conduit à la participation des fondations aux débats du sommet de Copenhague sur le climat de décembre 2009 (Conférence de Copenhague sur les changements climatiques ou COP15). L’auteur propose une étude de cas de deux initiatives dont les principaux bailleurs de fonds sont très étroitement liés : l’appel mondial à l’action pour le climat (GCCA) et Project Catalyst. Le cinquième chapitre présente une nouvelle initiative issue de ce même groupe de fondations, l’IPPI (international policies and politics initiative), que l’auteur décrit comme élitiste et non contraignante dans le but de faire le lit des discussions de la Conférence de Paris sur les changements climatiques ou COP21 à Paris (chapitre 6). L’ouvrage se conclut par l’annonce d’une nouvelle ligne de démarcation au sein de la communauté climatique en raison du jeu mené par l’IPPI depuis la COP15 et le réel manque de bailleurs de fonds progressistes dans l’espace de négociation actuel.

Du milieu des années 1980 jusqu’au début des années 1990, les fondations ont facilité la mobilisation des discussions sur le climat, en organisant des réunions internationales, en finançant la recherche et la formation de regroupements internationaux, mais aussi en appelant à une plus grande participation de la société civile au « nouveau régime climatique international ». De nombreux exemples sont mentionnés dans le livre : la subvention de la Fondation Rockefeller de 90 000 USD à Tata Energy Reserach Institute en Inde pour établir un centre de recherche sur le « réchauffement climatique » en 1989, ou encore la subvention de 490 000 USD en 1991 pour la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement. L’auteur souligne que certaines grandes fondations, investies depuis les années 1980 dans cette cause, sont aussi celles qui sont nées de grands empires industriels ou d’entreprises polluantes (que ce soit les industries traditionnelles d’extraction des ressources
ou les entreprises de technologie moderne).

Dès lors, depuis une vingtaine d’années, ce petit groupe de fondations partage une même approche autour de l’enjeu climatique et s’entend sur la stratégie à adopter : tirer parti de l’avantage comparatif de la philanthropie par rapport aux secteurs privé et public et octroyer des subventions collaboratives principalement axées sur les résultats et l’évaluation, le tout dans un climat favorable aux entreprises. La priorité est de rendre la philanthropie climatique plus efficace en s’attaquant aux limitations structurelles (actifs dédiés à la question climatique). On apprend également le co-financement de fondations nouvelles dédiées à la question climatique. Avec par exemple, ClimateWorks Foundation en 2008, dont les fonds proviennent, entre autres, de Hewlett Foundation, et de Packard Foundation. L’auteur montre que ces stratégies établies par les fondations sont comparables à celles du monde de l’entreprise de par leur langage et leur positionnement. Étant donné l’ampleur des enjeux climatiques, il serait plus “rentable” pour les fondations de ne pas travailler directement pour le changement, mais plutôt d’agir sur les leviers du changement : eux-mêmes favorables aux entreprises. Cette nouvelle vague de philanthropes et de fondations a tendance à redéfinir le paysage de la lutte contre le changement climatique tout en conservant les principes et valeurs libéraux fondamentaux, qui sont considérés par les critiques anti-libérale ou anti-capitaliste (critique environnementale) comme responsables de la crise climatique (Klein, 2014). Morena qualifie d’ailleurs ses organisations philanthropiques de « fondations libérales ».

Morena s’attarde sur deux moments qui illustrent au mieux l’influence des fondations de par leur contraste (échec-succès), leur médiatisation (rayonnement international) et la densité des événements (sur quelques jours) : le sommet de Copenhague (COP15) en 2009 et le sommet de Paris (COP 21) en 2015. Il s’agit d’un bon terrain de comparaison, étant donné que le premier est un échec avéré, concernant l’influence des fondations, et que le second, ayant tiré les leçons adéquates, s’apparente plus à un succès. À la lumière de cette étude, la promesse du livre de montrer l’influence certaine des fondations dans les débats climatiques internationaux est alors mieux illustrée. L’auteur annonce lui-même qu’il est très difficile d’établir des relations de causalité entre les actions des fondations et le résultat des négociations sur le climat. Toutefois, il s’attarde à montrer les efforts stratégiques développés en amont de la COP21. L’IPPI, ClimateWorks Foundation, et d’autres acteurs (composé d’un grand nombre « de visages familiers »), auraient fait équipe, dès 2014, pour encourager les États à réduire durablement et efficacement leurs émissions carbone tout en insistant sur la solution toute faite que proposent les technologies propres. Les conclusions de la COP21 iront dans le même sens. Morena dénonce alors le rôle non négligeable des fondations dans la promotion et l’adoption de solutions peu contraignantes et en accord avec les intérêts de certaines grosses compagnies.

À la lecture du livre de Morena, plusieurs discussions peuvent être engagées. Tout d’abord, la provenance des fonds ayant abouti à la création de ces fondations climatiques appelle à la question suivante : quel(s) intérêt(s) y a-t-il à financer un virage écologique lorsque les actifs financiers proviennent et continuent de provenir de grands pollueurs ? La réponse n’est pas clairement abordée dans le livre, toutefois l’auteur indique, dans l’étude de cas de Project Catalyst, l’inconfort des fondations à aborder ce sujet. Ensuite, étant donné l’implication de ces fondations pour le climat depuis les années 1980, comment ces fondations influentes contribuent-elles réellement et de façon positive à lutter contre les changements climatiques ? Comme annoncé dès le début de la lecture, l’auteur travaille principalement sur les jeux d’influence.

Le sujet du livre est d’une grande actualité, et les réseaux entre fondations et organisations internationales, qui sont difficiles d’accès, sont décortiqués pour le lecteur. Édité en 2016, cet ouvrage, dans le contexte politique actuel aux États-Unis et dans le monde, et face à la médiatisation grandissante de la crise climatique, apparaît comme une mise en garde sur l’impact réel des fondations philanthropiques libérales et leur rôle affiché d’expertes des changements climatiques. Édouard Morena dénonce l’alignement des stratégies pour asseoir une vision unique des enjeux climatiques en accord avec les intérêts économiques des fondations libérales au risque d’exclure des débats des communautés ou des organisations dont les objectifs sont animés par la justice climatique et sociale. Dans l’ensemble, le livre constitue un complément à la littérature critique sur les politiques mises en place concernant les changements climatiques et surtout sur les rapports entre la philanthropie et l’État, plus particulièrement le transfert progressif des obligations gouvernementales vers les organismes philanthropiques (Lesemann, 2011).

Références 

Naomi Klein (2014), Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique, Paris : actes Sud.

Lesemann, F. (2011). « Nouvelles fondations privées » et transition de « régimes institutionnels ». Lien social et Politiques, (65), 79–97.

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