Sept ans plus tard : retour sur l’article Patterns, Principles and Practices in Social Innovation

Voici le deuxième article de notre série consacrée à l’innovation sociale. Celle-ci est publiée dans le cadre d’une collaboration entre The Philanthropist et La fondation McConnell.   

À certaines heures, non seulement l’avenir mais aussi le présent semblent bien obscurs. C’est ne pas voir comme le monde où nous vivons est déjà transformé, et non seulement par des cauchemars comme le réchauffement planétaire et la mondialisation, mais aussi par des rêves de liberté et de justice que nous n’imaginions pas davantage. – Rebecca Solnit, Garder l’espoir, Autres histoires, autres possibles

Introduction

En 2010, la revue The Philanthropist a publié plusieurs articles sur l’innovation sociale, y compris Patterns, Principles and Practices in Social Innovation, dont je suis l’auteur. Dans l’article, je présentais des idées, des initiatives et des tendances émergentes liées à l’innovation sociale au Canada, selon mon point de vue de président et directeur général de La fondation de la famille J.W. McConnell. Trois ans plus tôt, grâce à Tim Brodhead, son président et directeur général de l’époque, la fondation était en voie de devenir l’un des principaux défenseurs et professionnels de l’innovation sociale par la création de la Génération de l’innovation sociale (SiG).

Est-ce qu’il serait utile ou intéressant de réexaminer l’article sept ans plus tard? Peut-être, mais plutôt que de faire le bilan de ce qui s’est révélé vrai, faux ou hors sujet, je propose de résumer quelques-uns des progrès encourageants. Par la suite, j’examinerai les changements déterminants dans leur contexte et les défis qui ont vu le jour depuis les sept dernières années. Je poursuivrai en proposant des stratégies pour aller de l’avant qui reposent surtout sur la redéfinition de la relation entre la société civile et le secteur public et sur la participation aux réseaux mondiaux.

Depuis 2010, les mentalités ont évolué, et prennent en compte la complexité, l’ampleur et l’aspect systémique de l’innovation sociale. Si auparavant nous peinions à définir l’innovation sociale et à nous exprimer sur le sujet, le terme est aujourd’hui largement répandu. Le magazine The Economist a récemment publié un index mondial de l’innovation sociale. De nouveaux outils ont vu le jour, comme les laboratoires de l’innovation sociale, qui prolifèrent partout dans le monde, particulièrement dans le secteur public. Un nombre croissant d’initiatives phares existent maintenant dans le domaine de l’innovation sociale, dont le programme en résidence d’été à Banff de La Fondation Suncor Énergie et les programmes d’enseignement et de recherche à l’Université de Waterloo, à l’Université Simon Fraser, à l’Université Queen’s, à l’Université Mount Royal et à l’Université de Toronto. Des incubateurs d’entreprises sociales dans les écoles de tout le pays emboîtent le pas. La philanthropie évolue, elle aussi, grâce à plusieurs nouveaux groupes d’affinité qui sont des bailleurs de fonds, à des initiatives de colocation comme la Foundation House à Toronto, ainsi qu’à la participation croissante à l’investissement d’impact.

Surtout, nous avons collectivement renforcé notre capacité à relever des défis, tels l’avenir de notre approvisionnement alimentaire, la réconciliation autochtone et les changements climatiques.

Bien que ces avancées soient positives, l’innovation sociale est encore loin derrière l’innovation commerciale, scientifique et technologique. Outre les progrès réalisés par les provinces, comme la création du ministère du Développement social et de l’Innovation sociale en Colombie-Britannique, la stratégie de l’Ontario pour l’entrepreneuriat social et le modèle de carrefour en Saskatchewan, que nous examinerons plus loin, les progrès en innovation sociale sont attribuables dans une large mesure aux universités, aux organismes sans but lucratif et aux fondations. Comme Tim Draimin et Kelsey Spitz (2017) de SiG l’ont fait remarquer, bien que les lettres de mandat de plusieurs ministres fassent mention de l’innovation sociale, le gouvernement fédéral tarde à agir en la matière.

Alors que l’on prône et finance abondamment l’innovation commerciale, scientifique et technologique, on accorde beaucoup moins d’importance à l’utilisation d’outils d’innovation dans les systèmes sociaux, qui coûtent au gouvernement plus de 300 milliards de dollars par année. Il ne s’agit pas d’une stratégie mensongère à saveur néolibérale. L’amélioration des résultats pour les personnes vulnérables, la création d’établissements qui s’adaptent et sont réactifs ainsi que le déblocage de fonds actuellement absorbés par des modèles de prestation de services qui aggravent les problèmes qu’ils sont censés régler (comme c’est le cas de certaines pratiques d’incarcération, par exemple) sont des objectifs que nous pouvons tous appuyer et que l’innovation sociale cherche à atteindre.

Nous pouvons aussi aborder la question selon l’angle des objectifs de développement durable de l’ONU, adoptés par les 193 pays membres de l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 2015. Pour atteindre ces objectifs d’ici 2030, comme le Canada s’y est engagé, il lui faudra faire preuve d’ingéniosité, procéder à des expériences et disposer de fonds.

Le gouvernement et le secteur philanthropique peuvent tous deux investir davantage dans la recherche et le développement à caractère social et dans l’application à grande échelle de solutions viables. La transformation réussie des grands systèmes comporte des essais et des erreurs. Dans ce contexte, l’expérimentation et les échecs sont non seulement permis, mais aussi attendus. Puisque les fondations sont censées distribuer de l’argent sans s’attendre à un rendement financier, elles contribuent à la création de conditions favorables à l’innovation sociale, et mieux encore, si elles perdent de l’argent sur des investissements liés à des programmes, elles peuvent comptabiliser les pertes à titre de subventions.

Une autre façon d’améliorer notre infrastructure sociale consiste à changer l’empreinte civique des secteurs de la santé et de l’éducation. L’hébergement de « centres de données utiles » par exemple, comme l’a fait le Royaume-Uni avec le réseau What WorksNetwork, permettrait aux parties prenantes de surveiller les travaux de recherche portant sur les enjeux fondamentaux et de traduire les résultats en langage simple pour les décideurs, les professionnels, le secteur privé et le public. Les universités, les collèges et les hôpitaux peuvent également générer un impact social grâce à l’investissement responsable et à des politiques d’achat social.

Dans le même ordre d’idée, la mise en place de mesures à l’appui de l’innovation sociale au sein des organismes de services sociaux peut améliorer les résultats et souvent réduire les coûts. Le travail de l’organisme de conception de services InWithForward illustre bien cette approche. L’organisme applique les principes de l’ethnographie et du prototypage de laboratoire social pour remettre en question les hypothèses, bouleverser l’ordre établi et remplacer les habitudes paralysantes par l’apprentissage actif et l’innovation.

L’attribution de prix dans le cadre de défis conçus pour intégrer l’innovation sociale, commerciale, scientifique et technologique, comme le fait Grands Défis Canada pour des initiatives de santé maternelle et néonatale dans les pays en développement, est un autre moyen d’entraîner des changements à différentes échelles.

Pour orienter et coordonner ce travail, nous avons besoin de plateformes de consultation qui couvrent plusieurs secteurs pour mettre en relations différentes parties prenantes et permettre une réflexion systémique à long terme, comme ont commencé à le faire le Forum des politiques publiques du Canada et la SiG avec le gouvernement et des membres de la société civile dans un nouveau réseau d’accélérateurs d’innovation sociale.

Une autre façon d’opérer un changement de culture dans notre façon de collaborer consiste réunir des personnes issues des systèmes avec lesquels nous travaillons pour une réflexion approfondie et des projets de création conjointe à l’aide d’outils comme l’Art of Hosting, dans un cadre naturel propice à la réflexion et à l’imagination. Certains lieux semblent d’ailleurs propices à la philanthropie, comme Hollyhock, le Banff Centre, l’île Wasan et Windhorse Farm. L’innovation autochtone prend place, elle aussi, dans de tels endroits, comme le Turtle Lodge.

Il est évident que la société civile n’a pas le monopole de l’innovation sociale. Pour atteindre le niveau d’adaptation et de transformation des systèmes nécessaire à l’atteinte des objectifs de développement durable de l’ONU, il faut développer l’innovation sociale en tant que telle. En d’autres termes, il faut travailler avec les gouvernements, y compris avec les peuples autochtones, le secteur privé, les systèmes d’éducation et de soins de santé, les professionnels, les agriculteurs, les acteurs du système alimentaire et les médias afin de faire avancer la cause, tant au Canada qu’à l’échelle mondiale.

Le nouveau contexte de l’innovation sociale

Les changements suivants sont en train de transformer le contexte opérationnel de l’innovation sociale et d’orienter le travail à venir.

Les dures vérités à l’ère de la postvérité

Il y a 2 000 ans, Eschyle constatait que la vérité est la première victime de la guerre. Il est clair aujourd’hui que, pendant la période précédant le vote sur le Brexit et l’élection de Donald J. Trump au États-Unis, des organisations œuvrant dans l’ombre ont remplacé les discours de vérité et rationnels par des données psychographiques, des algorithmes des réseaux sociaux, des mensonges éhontés et des discours politiques enflammés, avec les conséquences que l’on sait. Toutefois, le véritable enjeu n’est toujours pas clairement cerné.

Dans mon article en 2010, j’affirmais avec justesse, mais aussi avec naïveté, que n’importe qui pouvait se lancer dans l’infonuagique en créant gratuitement un site Google et en invitant des tiers à collaborer. J’écrivais également qu’une grande partie de l’innovation sociale reposait sur la technologie, ce qui offre de très nombreuses possibilités, mais engendre également certaines frictions entre l’ancienne et la nouvelle garde. Maintenant que Google et Facebook mettent à profit l’énorme quantité de données personnelles que nous leur offrons gratuitement, nous devons nous demander à quel moment la « gratuité » menace la liberté, et ce que les innovateurs sociaux entendent faire à cet égard.

Même avant ces récents événements, certains critiques avaient l’impression que l’innovation sociale devenait synonyme de « léger changement social », que les processus l’emportaient sur les résultats et qu’aucun travail sérieux ou soutenu n’était accompli à l’égard des enjeux de justice sociale. La Fondation Young au Royaume-Uni fut l’une des premières à défendre l’innovation sociale, a commencé à parler d’« innovation sociale perturbatrice » pour définir un concept qui devenait de plus en plus flou et utilisé pour qualifier pratiquement tout changement progressif.

Aujourd’hui, nous courons deux risques. Le premier serait que nous n’arrivions pas à établir de priorités ni à nous organiser, et que nous perdions l’élan nécessaire pour atteindre les objectifs de développement durable de l’ONU. En plus de tenir tête à ceux qui voudraient miner les efforts de lutte contre les changements climatiques, il est important d’appuyer la résolution de problèmes mondiaux au moyen d’approches multilatérales. C’est là où le réseau d’Échange de l’innovation sociale a un rôle crucial à jouer. En tant que principal réseau de l’innovation social mondial, il regroupe des gouvernements, des entreprises, des universitaires, des bailleurs de fonds, des professionnels et d’importants intermédiaires pour mener des projets d’apprentissage en réseau, de travaux prospectifs et de collaboration. Le Canada peut se demander s’il doit créer un bureau officiel au sein du réseau d’Échange de l’innovation sociale, particulièrement au moment où l’on envisage d’éliminer graduellement le travail actuel de la SiG d’ici la fin de 2017.

Le deuxième risque serait que nous esquivions la question de politique publique, par peur de contrevenir aux dictats obscurs et antidémocratiques de l’Agence du revenu du Canada (ARC). De plus en plus de gens estiment que le gouvernement devrait effectuer des vérifications auprès des fondations et des organismes de bienfaisance pour s’assurer de leur intégrité financière, et non pour veiller à ce que leurs activités permettent d’accomplir leurs missions. Étant donnée notre responsabilité en matière de promotion de l’intérêt public, le gouvernement devrait peut-être exiger que nous consacrions au minimum 10 % de nos ressources, et non au maximum comme c’est le cas actuellement, à la sensibilisation aux politiques. Comme nous le verrons, je l’espère, la recherche de solutions aux problèmes de sensibilisation politique n’est que la première étape de ce qui devrait être une transformation en profondeur de la relation entre le gouvernement et la société civile.

Les gagnants, les perdants et le côté sombre de l’innovation sociale

Dans mon article de 2010, je prédisais que l’essor des TI, conjugué à la pénurie des combustibles fossiles que nous allions connaître bientôt, si la théorie du pic pétrolier était avérée, annoncerait une relocalisation de l’économie. J’ajoutais que le terme « localisme de masse » décrivait une nouvelle situation où les défis complexes sont relevés par des personnes travaillant dans des communautés en réseau à l’échelle mondiale. La théorie du pic pétrolier est peut-être vraie, mais pas selon l’échéancier que j’avais imaginé. Grâce à l’extraction du gaz naturel par fracturation hydraulique, nous sommes une fois de plus inondés d’hydrocarbures bon marché, et l’Accord de Paris durement obtenu est maintenant en péril.

Pendant ce temps, l’essor des TI permet aux entreprises mondiales de remplacer les détaillants locaux, les journalistes, les chauffeurs de taxi, et bientôt les camionneurs, qui seront mis à l’écart par les véhicules autonomes. L’intelligence artificielle et l’apprentissage machine risquent de bouleverser certaines professions, notamment dans les domaines juridique, comptable, médical et bancaire, qui semblaient auparavant à l’abri de l’automatisation. Au lieu d’assister à une transition dirigée fondée sur la croissance inclusive et l’innovation sociale en réseau, nous voyons que la progression sans entraves de technologies perturbatrices, les guerres commerciales, la construction de murs et l’imposition de taxes à la frontière risquent de générer des économies relocalisées, précaires et qui plus est, mesquines.

Frances Westley, titulaire de la Chaire de l’innovation sociale à l’Université de Waterloo, une initiative de La fondation de la famille J.W. McConnell a souligné [1] que les participants d’un programme d’innovation sociale ne pouvaient pas citer un seul exemple de cas où l’atteinte d’un objectif de développement durable de l’ONU n’engendrait pas des « perdants » dont les intérêts à court terme ne seraient pas menacés. L’innovation, quelle qu’elle soit, peut briser l’attachement des gens, et si nous n’accordons pas une attention suffisante à ceux qui subissent les conséquences de nos nouvelles politiques, nous risquons de nous laisser prendre aux flatteries trompeuses de ceux qui souhaiteraient nous faire revenir à une « époque plus simple ».

En 2017, maintenant que nous comprenons que la vérité et la technologie peuvent toutes deux être dénaturées à des fins intéressées, voire malveillantes, l’innovation sociale doit élaborer et communiquer des récits, déployer les ressources et bâtir des alliances de façon plus ciblée et stratégique (certains diront politique). De plus, en cette ère de réconciliation avec les peuples autochtones, l’innovation sociale et la philanthropie partagent une responsabilité fondamentale : changer les cultures, avec patience et respect, en commençant par la décolonisation.

Voici trois façons d’y arriver par l’intermédiaire de la philanthropie :

  1. Mettre l’accent sur la croissance inclusive et l’innovation sociale en réseau

La croissance inclusive « s’appuie sur les modèles de croissance économique traditionnels et met l’accent sur l’équité en matière de santé, de capital humain, de qualité environnementale, de protection sociale et de sécurité alimentaire » [traduction libre] (Hasmath, 2015, p. 2 et 3). L’innovation sociale peut donc s’appuyer sur ce concept pour soutenir les objectifs de développement durable de l’ONU. C’est dans ce contexte que revient à la mode le revenu de base universel garanti. Le Canada s’apprête d’ailleurs à lancer une autre importante initiative pour en faire l’essai. Au cours du premier essai, à Dauphin, au Manitoba, de 1974 à 1979, deux groupes présentaient un faible taux de participation au marché du travail : les nouvelles mères qui restaient à la maison pour s’occuper de leurs enfants et les adolescents des ménages à faible revenu qui demeuraient aux études au lieu de décrocher pour aider leur famille en occupant des emplois mal rémunérés. Il semble évident que cette mesure a profité non seulement aux plus vulnérables de la société, mais à la société toute entière. Pendant la période d’essai, le taux d’admissions à l’hôpital a chuté de 8,5 %, et le nombre de consultations liées à la santé mentale auprès des professionnels de la santé a lui aussi connu une baisse (Forget, 2012).

La Fondation Metcalf a publié en 2017 le rapport intitulé A Basic Income for Canadians: What would change?, qui illustre toute la complexité du sujet et explique comment les parties prenantes peuvent adapter une « politique universelle » à différentes situations.

Une autre méthode prometteuse réside dans le réseautage des centres d’innovation, des groupes et des accélérateurs ancrés dans le milieu. Que ce soit en raison de son immense territoire ou de la diversité culturelle de sa société, le Canada semble exceller dans l’innovation à l’échelle des systèmes sociaux.

Le réseau Hacking Health, qui a vu le jour à Montréal en 2012 et qui est présent dans une soixantaine de villes dans le monde, invite les professionnels de la santé et les innovateurs du domaine de la technologie à trouver des solutions aux problèmes de soins de santé de premier plan. Il cumule les réussites, et son équipe lancera prochainement un fond d’accélération complémentaire. Le moment serait‑il venu de mettre en place un réseau parallèle d’innovation dans le secteur des services sociaux?

C’est aussi à Montréal qu’est né le réseau des Ruches d’Art, qui offre un accès gratuit à des studios d’art communautaires. Toutefois, son nom ne donne qu’un aperçu de son activité. En moins de quatre ans, plus d’une centaine de Ruches d’Art ont ouvert leurs portes à l’échelle mondiale. Dans le studio d’origine du quartier Saint-Henri à Montréal, j’ai rencontré une dame de 80 ans vivant sur l’aide sociale qui exposait ses peintures pour la première fois de sa vie. J’y ai également fait la connaissance d’un chanteur mohawk qui dirigeait une chorale de 30 personnes dans le jardin communautaire adjacent, et j’ai assisté à une danse de remerciement exécutée par une Égyptienne récemment immigrée qu’elle dédiait à l’endroit ainsi qu’aux personnes qui l’avaient aidée à confectionner un costume à partir de matériaux recyclés, ce qui lui allait lui permettre de relancer sa carrière de danseuse de baladi.

La fondation de la famille J.W. McConnell travaille actuellement avec la Fondation Mirella et Lino Saputo sur le concept de Maison de l’innovation sociale, qui fonctionnera comme un incubateur d’innovation sociale mobile et qui fera le pont entre les personnes, les lieux et les idées dans toute la ville de Montréal et au-delà, comme le font le mouvement Impact Hub et sa centaine de centres et UpSocial à l’échelle mondiale.

Les initiatives en réseau comme celles-ci, y compris les laboratoires ouverts et les laboratoires communautaires, ou « fab labs », qui voient leurs nombres augmenter, sont les versions contemporaines des plus de 2 500 bibliothèques publiques qu’Andrew Carnegie a fondées entre 1883 et 1929, ou des Women’s Institutes qu’Abigail Hoodless a créés en Ontario en 1898, et dont le nombre dépasse aujourd’hui les 700 dans le monde entier.

Ces initiatives illustrent en quoi le localisme de masse en réseau peut renforcer l’inclusion sociale et la démocratie économique pour contrebalancer les forces abrutissantes et destructrices de l’exclusion, du nationalisme, du ressentiment et du racisme.

Il importe d’observer ce travail du point de vue des systèmes pour savoir quelles synergies lui sont profitables et quelles en sont les répercussions négatives. Comme le graphique de l’éléphant le démontre, bien qu’elle ait permis à des millions de personnes d’échapper à la pauvreté, la mondialisation a également créé une cohorte de « perdants » dont les aspirations sociales ont été bouleversées et dont le ressentiment alimente maintenant des mouvements rétrogrades planétaires.

  1. Répandre les nouvelles liées à l’innovation sociale qui peuvent nous servir et des récits de transformation

Le récent rapport du Forum des politiques publiques du Canada intitulé Le miroir éclaté : nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique dresse un portrait de la crise qui s’intensifie dans le milieu du journalisme canadien et qui reflète les tendances mondiales. Lorsqu’il explique en quoi la disparition du « journalisme axé sur la fonction civique » menace la démocratie, l’auteur Edward Greenspon (2017) recommande au gouvernement de lever les restrictions sur le soutien philanthropique au journalisme. Nous pourrions ajouter que les organismes de bienfaisance devraient pouvoir s’exprimer ouvertement, obliger les gouvernements à rendre des comptes ainsi que plaider en faveur d’un changement de politique sans restrictions arbitraires.

David Bornstein, corédacteur de la chronique Fixes dans le New York Times, soutient que, en plus de veiller à l’honnêteté des politiciens, le journalisme peut offrir un service public par le journalisme de solutions. Wikipédia définit ainsi le journalisme de solutions :

Une approche journalistique qui met l’accent sur les solutions aux problèmes sociaux et sur les problèmes eux-mêmes. Les articles présentent des solutions, soutenues par des preuves crédibles, et expliquent comment et pourquoi les mesures fonctionnent ou non. Cette approche journalistique a pour objectif de dresser un portrait à la fois plus exact et plus complet de ces problèmes et de dynamiser l’action citoyenne [traduction libre].

Selon M. Bornstein, le journalisme de solutions cherche et rapporte les solutions. Il est le cofondateur du Solutions Journalism Network, qui travaille avec 80 organisations médiatiques pour favoriser les discussions croisées entre les communautés aux prises avec les mêmes problèmes. L’outil Solutions Story Tracker du Solutions Journalism Network est décrit comme une base de données consultable en pleine expansion qui regroupe des articles rigoureux sur des solutions aux problèmes sociaux réalisés par 320 bureaux de presse dans 100 pays.

Compte tenu de la diminution du nombre d’articles d’actualité locale causée par la disparition ou la fusion de plus de 160 journaux communautaires dans 210 circonscriptions au Canada depuis 2008, le rapport Le miroir éclaté : nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique recommande à l’agence nationale de presse La Presse canadienne de créer une presse canadienne locale à but non lucratif pour combler les lacunes dans le domaine du journalisme axé sur la fonction civique. Ne serait-ce pas formidable si cette nouvelle agence de presse locale intégrait le journalisme de solutions en réseau?

  1. Participer à la réconciliation autochtone et au renouvellement personnel

La publication du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui contient 94 « appels à l’action », représente une occasion historique pour les peuples autochtones et tous les Canadiens de renouer une relation brisée. Bien que le rapport parle des rôles que l’éducation, les soins de santé, les arts, les affaires et le gouvernement ont à jouer, il ne fait pas mention du rôle de la philanthropie ni de celui de l’innovation sociale. Quoi qu’il en soit, nous devons nous engager fermement à surmonter les siècles de colonisation et les effets du génocide culturel. D’où l’importance de la Déclaration d’action de la communauté philanthropique, entrée en vigueur le 31 mai 2015, et des Sommets pour l’innovation autochtone organisé par l’Association nationale des centres d’amitié en 2015 et 2016.

De plus, le temps est venu pour les colonisateurs, y compris les innovateurs sociaux, de faire place à l’innovation autochtone et d’en tirer des leçons. Nous n’avons qu’à penser aux laboratoires de l’innovation sociale (Winnipeg Boldness), aux fonds d’investissement d’impact (fonds d’impact autochtone Raven), aux nouveaux modèles éducatifs (Dechinta), aux entreprises sociales transformatrices (Aki Energy), aux solutions aux grands défis, comme les logements dans les réserves (SÉDAC), et aux relations restructurées (Les Canadiens pour un nouveau partenariat, Mouvement jeunesse des 4R).

Ces exemples ne sont que le début, mais déjà, nous pouvons en tirer de grandes leçons.

Dans son livre Lighting the Eighth Fire: The Liberation, Resurgence, and Protection of Indigenous Nations, l’auteure et enseignante mohawk Leanne Simpson relate une prophétie anishnaabe. Elle y parle des Oshkimaadziig, des gens de toutes origines qui s’unissent aux nations autochtones pour inaugurer une ère où la spiritualité transcende le matérialisme, où « la société colonisatrice choisit de changer ses habitudes, de décoloniser ses relations avec le territoire et les nations autochtones et de participer à la construction d’un avenir durable fondé sur la reconnaissance mutuelle, la justice et le respect » [traduction libre] (Simpson, 2008, p. 14).

Au Sommet pour l’innovation autochtone de 2015, l’aîné anishnaabe Dave Courchene a expliqué à 300 innovateurs sociaux autochtones et non autochtones que grâce à nos connaissances et à nos relations nouvelles, un avenir différent pourrait se présenter pour cette génération et celles à venir. S’exprimant à la même occasion, le sénateur Murray Sinclair a affirmé que l’innovation ne se résume pas seulement à la nouveauté, mais aussi à la capacité à puiser dans le passé pour remédier aux problèmes actuels.

Dans un essai en ligne sur la sagesse autochtone et le rétablissement de la paix intitulé Indigenous wisdom and peacemaking, Al Etmanski (2016) a écrit que « l’eau d’amont sacrée de l’innovation sociale se trouve dans le cœur et l’esprit des gens qui n’ont d’autre choix que d’inventer une façon de vaincre la douleur, la souffrance, la malheur, la dévastation et les épreuves » [traduction libre]. La sagesse et les cérémonies autochtones sont des remèdes spirituels qui apportent du soutien à ces peuples.

Tous ceux qui luttent pour promouvoir la paix et la justice subiront très certainement des échecs et des défaites. Ils pourraient s’apercevoir que, par ignorance ou de façon intentionnelle, ils ont été complices d’une situation qui cause du tort. Ces expériences peuvent faire naître des sentiments de culpabilité, de honte et de regret qui, s’ils sont ignorés, risquent d’alimenter la colère et la résistance au changement. L’initiative mondiale The Wellbeing Project vise à travailler avec des acteurs du changement qui ont vécu de telles émotions négatives pour les aider à trouver des façons de transformer ces émotions afin d’alimenter leur volonté de réconciliation personnelle et de réaffirmation de leur engagement.

La culture autochtone accorde beaucoup d’importance au lien entre la guérison interne et externe. En 2016, le ministre de l’Éducation et de la Formation du Manitoba, Ian Wishart, la présidente et directrice générale de Centraide, Connie Walker, et moi-même avons eu l’honneur d’assister à l’interprétation d’un chant sacré anishnaabe intitulé Abinoonjiiag (Chant sacré des enfants). Comme le dit le chant, la rivière sur laquelle nous pagayons est la rivière intérieure.

Quatre méthodes pour redéfinir les rôles et les relations avec le gouvernement

La croissance inclusive, l’innovation sociale en réseau, le journalisme de solution et la réconciliation autochtone ne sont que quelques-unes des approches isolées qui permettront de répondre aux besoins en matière d’innovation sociale d’ici 2030. Que manque-t-il à ce portrait? Un dialogue en profondeur entre la société civile et le gouvernement. Avant de décrire les quatre méthodes permettant d’atteindre cet objectif, penchons-nous sur l’initiative d’un gouvernement provincial.

Le modèle de la Saskatchewan

En 2010, Dale McFee, alors chef de police à Prince Albert, en Saskatchewan, assistait avec consternation à la montée du taux de criminalité au sein de la ville ainsi qu’à l’augmentation des budgets alloués aux services de police et à l’incarcération. Pour lui, il était évident qu’on ne réglerait pas le problème en multipliant les arrestations.

En cherchant une autre solution, il a découvert le modèle de carrefour écossais, qui conjugue les efforts de la police et des organismes communautaires dans les domaines de la santé, de l’éducation et des services sociaux, pour offrir un soutien aux personnes et aux familles présentant des facteurs de risques élevés contre lesquels aucun organisme seul ne peut lutter. Trois ans après avoir adapté et mis en œuvre le modèle à Prince Albert en 2011, le taux de crimes contre les personnes avait chuté de 34 %, et celui des crimes contre les biens, de 28 %. Depuis, le modèle de la Saskatchewan, fondé sur l’innovation sociale écossaise, a été transposé dans 13 autres municipalités et régions dans la province, et dans 65 autres ailleurs au Canada et aux États‑Unis.

Aujourd’hui, M. McFee est sous-ministre provincial responsable des services correctionnels et de la police (ministère de la Justice), et il supervise une transformation profonde de la façon dont fonctionne le gouvernement. En partant d’une hypothèse commune à bien des gouvernements, à savoir que 1 % des bénéficiaires absorbent jusqu’à un tiers des budgets consacrés aux services à la personne, et qu’entre 5 % et 10 % en absorbent un autre tiers, M. McFee et son équipe tentent de nombreuses expériences pour trouver différentes façons de faire, pour définir les secteurs prioritaires et évaluer les résultats au moyen d’analyses de données et d’analyses économiques.

Par exemple, M. McFee croit que nous devons renverser la tendance et éviter d’incarcérer les gens par volonté malavisée de punir les malfaiteurs. Selon lui, les jeunes qui entrent en prison n’exercent pas d’effet modérateur sur les criminels endurcis qu’ils rencontrent; c’est plutôt l’inverse qui se produit, les prisons deviennent des écoles où sont formés les criminels. Par conséquent, il croit que les établissements devraient embaucher du personnel qualifié qui mettrait l’accent sur la réhabilitation et non sur le maintien des délinquants dans les prisons. Il affirme qu’à la lumière des preuves recueillies, son équipe et lui sont arrivés à changer la vocation d’un établissement pour jeunes et à en faire un centre de formation provincial pour les délinquants adultes à faible risque, et qu’un deuxième établissement fera l’objet d’une telle transformation dans le nord de la Saskatchewan.

  1. McFee croit que, d’un point de vue systémique, le secteur public doit se concentrer sur les résultats plutôt que sur les simples extrants. La transformation d’une grande quantité de données en observations pratiques permet de repenser la prestation des services sociaux et de passer d’un modèle réactif et ponctuel en un modèle proactif, fondé sur des données et transformationnel.

Grâce à des protocoles d’échange de renseignements qui protègent la vie privée, à la mise en pratique de la pensée systémique, à l’ouverture en matière d’expérimentation et à l’évaluation continue, M. McFee et son équipe comptent réduire les coûts liés à ces deux groupes de grands utilisateurs tout en améliorant les résultats. Quand on demande à M. McFee ce qu’il faudrait faire pour accélérer cet effort, il répond qu’il faut d’abord considérer le climat fiscal actuel comme une opportunité, et que, selon lui, il existe deux façons de faire avancer les choses plus rapidement : un budget basé sur les résultats et une plateforme qui appuie l’expérimentation et l’apprentissage avec des organismes communautaires.

Méthode no 1 : Augmenter la capacité de recherche et développement sociale

Vinod Rajasekaran a rédigé un article éclairant sur la recherche et développement sociale intitulé Getting to Moonshot. Pour illustrer notre propos, nous nous en tiendrons à trois éléments tirés de l’article.

L’auteur rappelle d’abord que le gouvernement fédéral s’est expressément engagé à l’égard de l’expérimentation. La lettre de mandat du premier ministre au président du Conseil du Trésor, Scott Brison, dit ceci : « Vous devez vous assurer auprès de vos collègues ministériels qu’ils consacrent un pourcentage fixe du financement des programmes à l’application de nouvelles solutions à des problèmes existants et à la mesure des répercussions de leurs programmes. Je compte sur vous pour instaurer une culture plus propice à la mesure, à l’évaluation et à l’innovation dans la conception et l’exécution des programmes et des politiques […]. »

Il observe ensuite que de nombreux ministères fédéraux croient qu’il serait opportun d’aller au-delà des vastes consultations qui se sont tenues partout au pays pour solliciter la participation de certaines organisations dans la société civile à titre de partenaires en vue d’une exploration approfondie et d’une création conjointe. À l’heure actuelle, de nombreuses activités de recherche et développement sociale sont menées de façon rapide et informelle. Toutes ces activités ne sont pas particulièrement bien documentées ni coordonnées, mais elles mobilisent des dizaines, voire des centaines d’organisations qui travaillent avec les décideurs à élaborer des approches expérimentales à l’égard d’enjeux comme le logement abordable, l’installation de réfugiés, la réconciliation autochtone, les accélérateurs des industries culturelles, l’énergie propre et les villes intelligentes.

L’auteur affirme que, puisque l’innovation prolifère en périphérie des systèmes actuels, il s’agit là d’une bonne chose. Quelques lignes directrices seraient donc les bienvenues, afin d’élaborer des calendriers et de mener des expériences conformément à un protocole établi. Il faudrait en plus pouvoir bénéficier de règles fédérales et provinciales plus souples en matière de dépenses; les gouvernements pourraient apporter leur concours et nous éviterions de devoir attendre le versement de modiques sommes ou de dépendre de l’argent des fondations ou d’organismes de bienfaisance.

Méthode no 2 : Intégrer la subvention philanthropique et l’investissement d’impact à une banque à infrastructure sociale

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a fait remarquer que, relativement aux objectifs de développement durable de l’ONU, les seuls fonds publics, de la façon dont ils sont alloués actuellement, ne suffisent pas à transformer les systèmes sociaux.  [2]Dans divers domaines, comme l’éducation, les soins de santé, la justice, la réconciliation autochtone, les infrastructures communautaires, les données ouvertes, l’énergie et la sécurité alimentaire, la nécessité d’expérimenter, d’élaborer des prototypes et d’investir dans l’application à grande échelle d’innovations basées sur des données probantes est freinée par les arrangements institutionnels.

En réunissant du capital provenant de différentes sources, une banque à infrastructure sociale pourrait augmenter substantiellement la capacité du Canada, non seulement en matière d’innovation sociale, mais aussi de ce que Grands Défis Canada appelle l’« innovation intégrée », c’est‑à-dire l’innovation sociale, scientifique, technologique et financière. La banque pourrait utiliser un instrument qui s’apparente à une structure de capital, qui combine différents types de capitaux provenant de diverses sources qu’elle investirait dans un projet. Dans une structure de capital classique, l’investisseur qui prend le plus de risque est celui qui peut profiter du meilleur taux de rendement. La présence d’un tel investisseur dans la structure permet à un autre, dont la tolérance au risque est moins élevée, de contribuer à un projet auquel il n’aurait peut-être jamais pensé apporter son appui. Les grands projets d’infrastructure sont souvent financés de cette manière.

Puisqu’elles peuvent à la fois octroyer des subventions et faire des investissements liés à des programmes, les fondations philanthropiques peuvent exercer une influence considérable de la même façon, en créant des conditions propices à l’harmonisation des efforts des bailleurs de fonds privés et publics pour créer un impact social. Grâce à cette approche, et en partenariat, La Fondation de la famille J.W. McConnell a pu diffuser un modèle de logement en propriété dans des réserves autochtones. Elle a d’abord eu recours aux services de la Société d’épargne des Autochtones du Canada pour documenter la réussite du fonds de placements hypothécaires qu’elle gère avec la Première Nation huronne-wendat, qui a permis le financement de plus de 400 maisons pour les membres de la bande. Ensuite, elle a vérifié si le modèle pouvait être mis en application dans d’autres contextes avec un fonds de démonstration de 1,7 million de dollars composé d’une subvention et d’un prêt sans intérêt de la Fondation, totalisant 500 000 dollars, et d’un financement symétrique d’Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC), ainsi que d’une ligne de crédit bancaire dont les modalités étaient conformes aux engagements de la Fondation et d’AANC. Le fonds, qui fournit un soutien et des prêts hypothécaires dans quatre réserves, a obtenu des résultats prometteurs, et les partenaires travaillent avec une banque d’investissement et un organisme fédéral pour reproduire le modèle à grande échelle.

Les obligations à impact social regroupent également des capitaux privés et philanthropiques pour réduire les risques du gouvernement. Leur utilisation se limite au Canada, mais pourrait bien être élargie sous peu. Par exemple, dans le Budget du Manitoba de 2016, le gouvernement fait connaître son intention d’étudier le possible recours aux obligations à impact social pour  améliorer les résultats pour les familles. Les fonds de garanties d’emprunt (comme celui que la Fondation et ses partenaires élaborent à l’heure actuelle avec la coopérative de crédit Desjardins au Québec), les obligations communautaires (Centre for Social Innovation), les sociétés de développement communautaire (comme New Dawn en Nouvelle-Écosse, un modèle éprouvé que l’Edmonton Community Foundation est en voie d’adopter), les fiducies foncières en coopératives (mises sur pied grâce à la coopérative financière Vancity), et les fonds de subvention communs (comme le Clean Economy Fund dirigé par l’Ivey Foundation) ne sont que quelques-unes des nombreuses idées émergentes en la matière.

Une banque à infrastructure sociale pourrait s’appuyer sur ces activités et les intégrer au programme d’innovation national. Puisque le gouvernement dépense 300 milliards de dollars par année pour les services sociaux, et que les fondations détiennent 75 milliards d’actifs en dotation, ne devrions-nous pas réfléchir à ce qui peut être accompli lorsque la créativité du secteur social, l’énergie citoyenne et le capital sont réunis pour relever des défis complexes?

Méthode no3 : Créer des centres de données utiles rattachés à des laboratoires de l’innovation sociale

Pour faire progresser l’innovation sociale, nous devons simplifier l’information liée à la recherche pour la rendre compréhensible par tous, puis la diffuser publiquement comme le fait le bureau du Conseil des ministres du R.-U. avec les centres What Works. Cette démarche présenterait deux avantages : éclairer l’innovation liée aux politiques et aux programmes et utiliser plus efficacement les fonds provenant de sources publiques ou d’organismes de bienfaisance, mais aussi stimuler l’investissement privé et l’entrepreneuriat.

Toutefois, nous devons absolument éviter que les données prévalent sur l’objectif final : l’innovation sociale. Le travail de Sarah Schulman au sein de InWithForward montre que la prise de décision basée sur des données ne peut remplacer l’innovation sociale ouverte et le travail ethnographique approfondi remettant en question les hypothèses, les pratiques et les structures des institutions sociales. La création de Kudoz, une entreprise sociale offrant une sélection d’expériences gratuites allant du bénévolat dans une animalerie à la visite de l’hôtel de ville, destinées à quiconque s’ennuie, se sent coincé ou simplement curieux, s’est basée sur la compassion, l’écoute attentive et l’imagination et non sur des données précises. Au bout du compte, les approches quantitatives et qualitatives sont toutes deux nécessaires. En effet, innover en respectant les contraintes des institutions existantes sans remettre en question leurs règles revient à poser un emplâtre sur une jambe de bois.

MaRS Solutions Lab constitue la tête de pont des laboratoires de solutions. Pendant ce temps, les laboratoires du secteur public prolifèrent (on en compte actuellement 22 gérés par le gouvernement fédéral). Le laboratoire CoLab du gouvernement de l’Alberta constitue un exemple remarquable dans la province. Quand j’ai demandé à son directeur, Alex Ryan, de nommer une seule mesure qu’il prendrait pour augmenter les capacités et l’influence du laboratoire, il m’a répondu qu’il faudrait ouvrir ses portes aux partenaires communautaires. De plus, dans un billet de blog particulièrement pertinent décrivant le travail de CoLab, il écrit :

  1. Un projet collaboratif modifie la culture plus rapidement qu’une initiative de changement de la culture.
  2. Accélérer la mise sur pied de politiques passe par davantage de points de vue et de complexité.
  3. Un ministère hiérarchique est le meilleur endroit où intégrer une équipe de conception interministérielle.

 Méthode no4 : Lier divers secteurs à des plateformes d’apprentissage et à des défis publics

Innoweave, une initiative lancée avec de nombreux partenaires dans les secteurs privé, public et philanthropique, a pour objectif principal de fournir des outils et des pratiques d’innovation sociale aux organisations de la société civile. Compte tenu du besoin pressant d’innovation dans le secteur public ainsi que de la possibilité d’accélérer l’innovation sociale au moyen de la collaboration intersectorielle, nous nous demandons ce qu’il adviendrait si Innoweave se retrouvait devant le secteur public et la société civile simultanément en disposant de modules supplémentaires pour soutenir la collaboration intersectorielle. Nous sommes présentement à la phase d’élaboration d’un partenariat potentiel avec une initiative fédérale nommée Talent Cloud qui évaluerait (à l’échelle pilote) comment le personnel du gouvernement peut travailler sur des projets discrets d’une durée restreinte concernant différents secteurs et différentes entités gouvernementales. S’il était mis en œuvre, le premier projet de démonstration utiliserait l’approche de Talent Cloud pour renforcer la capacité de la société civile et des secteurs public et privé à utiliser des données de manière collaborative.

Les plateformes de défi représentent un autre type de collaboration intersectorielle, et Grands Défis Canada(GDC) en est un brillant exemple. Cette plateforme est reconnue mondialement pour aider à l’élaboration et à la diffusion d’innovations en santé maternelle et néonatale et elle estime sauver un million de vies dans les pays en développement d’ici 2030. Pourquoi ne pas rapatrier ce concept au succès éclatant afin de répondre aux besoins criants des communautés autochtones en matière de santé, de logement et d’éducation?

McConnell s’est associée aux Affaires autochtones et du Nord Canada et à l’Association nationale des centres d’amitié pour contribuer au Fonds de démonstration de l’innovation autochtone. En plus d’octroyer des subventions, le Fonds a offert son soutien au renforcement des capacités à l’aide d’Innoweave. L’apport du soutien par les pairs, des commentaires d’experts et du mentorat aux défis publics contribue à une culture de l’innovation florissante qui favorise l’atteinte des objectifs de politiques audacieuses grâce à l’énergie et à l’ingéniosité propres à la société civile.

Qu’en est-il du secteur privé? Un nombre croissant de chefs d’entreprise éclairés de calibre mondial s’intéressent à l’intersectorialité. Ces dirigeants disposent d’importantes réserves financières, recherchent l’acceptabilité sociale et comprennent que les prochaines grandes fortunes mondiales seront basées sur l’économie des solutions. Les Canadiens sont bien représentés parmi les supérieurs de ces entreprises, mais des améliorations sont encore nécessaires à l’intérieur du pays. Durant une réunion regroupant des acteurs de la société civile, du secteur public et d’entreprises privées œuvrant dans le secteur des industries culturelles, le PDG d’une société technologique de premier plan avec une mission sociale marquée [3]déplorait que son entreprise suscitait beaucoup d’intérêt un peu partout dans le monde, mais étonnamment peu au Canada. Cependant, grâce aux modifications du paysage géopolitique, nous pourrions être sur le point de rapatrier une cohorte de chefs de file en matière de changement mondial.

La possibilité d’augmenter exponentiellement la capacité d’innovation canadienne est à portée de la main, et l’innovation sociale devrait constituer une source d’avantages économiques tout en permettant d’affronter d’importants défis.

Remarques finales

En 2004, l’urbaniste et économiste Jane Jacobs a publié Dark Age Ahead, qui contenait de sombres prévisions concernant l’érosion de la vie communautaire et familiale*, le déclin de la pertinence et de la qualité de l’éducation supérieure*, l’intérêt public décroissant envers la science* et la technologie*, l’augmentation de l’imposition* régressive, la faible réceptivité du gouvernement* aux besoins des citoyens, et la détérioration de l’autoréglementation* des professions* (*liens en anglais seulement). Curieusement, l’auteure ne traitait pas des changements climatiques ni des migrations massives de populations fuyant des conflits.

Certains aspects de la situation actuelle semblent confirmer ses prédictions. Toutefois, nous sommes en train d’acquérir une extraordinaire capacité à réaliser des changements positifs et adaptables, dont une partie s’articule autour des idées et des pratiques d’innovation sociale, d’entrepreneuriat social, d’investissement d’impact, de l’économie des solutions et du changement de système.

Au Canada comme dans le reste du monde, ces changements sont rapides et s’effectuent de plus en plus en réseau. Ils doivent maintenant franchir une nouvelle étape en matière d’influence, de durabilité et d’ampleur. Pour atteindre cet objectif, il y a certes beaucoup à faire au sein de la société civile, mais surtout, nous devons collaborer avec le gouvernement et le secteur privé dans le plus grand intérêt de la population.

Alors que je finissais d’écrire cette réflexion, je me préparais à participer à une réunion internationale sur la prochaine décennie d’innovation sociale. Quand je suis arrivé à l’aéroport de Londres-Heathrow, l’agent d’immigration m’a demandé le but de mon voyage. « Pour assister à une conférence », lui ai‑je répondu. « À quel sujet? », m’a‑t‑il demandé. « La prochaine décennie d’innovation sociale – comment rendre le monde meilleur », ai‑je répondu. « Si nous ne précipitons pas sa fin avant, vous voulez dire », a‑t‑il dit sans sourire.

 

Je voudrais remercier mes collègues Tim Draimin, Darcy Riddell et Laurence Miall pour leur contribution à cet article.

Bibliographie

DRAIMIN, T. et SPITZ, K. « Inclusive innovation policy struggles to connect the dots », Re$earch Money (en ligne), 18 janvier 2017. Article original disponible pour les abonnés seulement. Republié par SiG (avec autorisation).

ETMANSKI, A. Indigenous Wisdom and Peacemaking, Al Etmanski, 2016, (consulté le 24‑02‑2017). Sur Internet : http://aletmanski.com/impact/indigenous-wisdom-and-peacemaking/.

FORGET, E.L.  The Town with No Poverty: Health Effects of Guaranteed Annual Income (Dossier de politique No 10), (en ligne), 2012. Sur Internet : http://sociology.uwo.ca/cluster/en/publications/policy_briefs/index.html.

HASMATH, Reza, éd. Inclusive Growth, Development and Welfare Policy: A Critical Assessment, New York, Routledge, 2015.

JACOBS, J. Dark Age Ahead, New York, Routledge, 2004.

NATIONS UNIES.  17 Sustainable Development Goals (SDGs) of the 2030 Agenda for Sustainable Development, (en ligne), septembre 2015, (consulté le 24‑02‑2017). Sur Internet :

http://www.un.org/sustainabledevelopment/sustainable-development-goals/.

RAJASEKARAN, V. Getting to Moonshot, Toronto, Social Innovation Generation, 2016.

SIMPSON, Leanne. Lighting the Eighth Fire: The Liberation, Resurgence and Protection of Indigenous Nations, Winnipeg, Arbeiter Ring Publishing, 2008.

STAPLETON, J. A Basic Income for Canadians: What would change?, document de politique (en ligne), Toronto, Metcalf Foundation, 2017, (consulté le 24 février 2017). Sur Internet : http://metcalffoundation.com/wp-content/uploads/2017/01/A-Basic-Income-for-all-Canadians.pdf.

 

[1] Communication personnelle, janvier 2017.

[2] OCDE, Development Co-operation Report: The Sustainable Development Goals as Business Opportunities, 2016.

[3] La rencontre s’est déroulée sous la règle de Chatham House – l’identité de la personne ayant formulé un commentaire ne peut être révélée.

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